Wajdi Mouawad et sa Mère Courage

Compte rendu
Théâtre
Critique

Wajdi Mouawad et sa Mère Courage

Le 24 Nov 2021
Photo de Tuong-Vi Nguyen
Photo de Tuong-Vi Nguyen
Photo de Tuong-Vi Nguyen
Photo de Tuong-Vi Nguyen

Un grand spec­ta­cle auto­bi­ographique au Théâtre de la Colline — Paris

« Comme Dieu ne pou­vait pas tout faire, Il a inven­té les mères », dit un proverbe du Proche-Ori­ent. Dans bon nom­bre de cul­tures et des sit­u­a­tions extrêmes, elles agis­sent comme Son sub­sti­tut et, vouées à cette tâche extrême, les mères s’épuisent en efforts, s’érigent en gar­di­ennes de leurs proches, veil­lent sur eux et s’assument meur­tries jusqu’au sac­ri­fice de soi. Elles s’érigent en Dieu, un Dieu laïque, famil­ial et sou­vent débor­dé par les épreuves de la vie. Comme Mère Courage de Brecht ou une autre, de la même famille, cette Mère de Waj­di Mouawad. Les deux se trou­vent con­fron­tées à la guerre… com­ment être mère pen­dant la guerre ? À la même ques­tion, répons­es sim­i­laires. Mères qui se pro­tè­gent des émo­tions et livrent un com­bat sans mer­ci sur fond d’exaspération exces­sive qui ne peut con­duire qu’à la défaite finale, défaite crainte et pour­tant inévitable. Mères Courage… Waj­di renonce et à l’article défi­ni de « la mère » et à l’épithète « courage » pour pro­pos­er le titre générique de… Mère.

Photo de Tuong-Vi Nguyen
Pho­to de Tuong-Vi Nguyen

En rai­son de la guerre au Liban, Waj­di Mouawad enfant a vécu à Paris cinq ans avec sa famille exilée et il en porte encore les cica­tri­ces. C’est ce dont il par­le dans ce dernier volet du cycle Domes­tique qui a débuté avec Seuls,con­sacré au père, et s’est pour­suivi avec Sœurs. La mère, cette fois-ci, est la pro­tag­o­niste et, étrangère, telle une autre Médée, de même qu’elle arrachée à ses ter­res, vit cette con­di­tion comme un déchire­ment jusqu’au bout des nerfs. Elle n’est pas une « mau­vaise mère », elle n’en a que l’apparence en rai­son de son désarme­ment dont le fils éprou­ve avec les effets. À défaut de trou­ver des répons­es, la mère con­ver­tit son impuis­sance en déroute psy­chique. Désor­dre des sen­ti­ments, atom­i­sa­tion de l’être sans autre ressource que le cri. Mais Mère Courage de Brecht ne reste-t-elle pas célèbre pour son « cri » égale­ment ?

Ici il ne s’agit pas d’une auto-fic­tion comme dans tant d’autres livres et films récents, mais d’une auto­bi­ogra­phie assumée et resti­tuée du point de vue de la mère et de l’enfant qui se trou­ve à ses côtés. Le nar­ra­teur, auteur et met­teur en scène, se trou­ve sur le plateau à côté de son dou­ble d’autrefois, gamin espiè­gle et apeuré, per­du et enjoué. Si fic­tion il y a, elle se glisse dans les détails sans per­turber le fil prin­ci­pal du réc­it.

Photo de Tuong-Vi Nguyen
Pho­to de Tuong-Vi Nguyen

Un motif scan­de cette exis­tence d’émigrés en attente du retour ! Retour con­stam­ment reporté. D’un automne à un print­emps, d’une année à l’autre… Com­ment ne pas associ­er cette com­plainte aux temps mod­ernes, aux frac­tures de l’histoire qui ont engen­dré ce vœu de retour jamais accom­pli ? Le vœu des exilés par­tis pour sur­vivre ailleurs en attente de regag­n­er leurs ter­res… les Russ­es blancs ont trou­vé asile à Paris et des années durant ont con­sid­éré comme immi­nente la chute du pou­voir sovié­tique leur per­me­t­tant de revenir ou encore des amis iraniens ont pronos­tiqué la déroute des aya­tol­lahs afin de mon­ter dans un avion pour Téhéran et tant d’autres, Viet­namiens, Litu­aniens… Attente sans fin. Éter­nel impos­si­ble retour — des­tin com­mun à des émi­grés de tous bor­ds. Comme la mère de Waj­di. Mère, excep­tion­nelle­ment inter­prétée par Aïda Sabra, qui se livre à ses aveux au quo­ti­di­en dans l’arabe libanais, en con­fir­mant par ce choix de la mise en scène, son attache­ment inébran­lable à sa langue, sa réso­nance, ses expres­sions. Langue d’une iden­tité assiégée.

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Wajdi Mouawad
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Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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