Oui, alors…. (Petite pièce en un acte)

Hommage

Oui, alors…. (Petite pièce en un acte)

Le 23 Jan 2023
Georges Banu_Contemporanul Nostru II
Georges Banu_Contemporanul Nostru II
Georges Banu_Contemporanul Nostru II
Georges Banu_Contemporanul Nostru II
HOMMAGE A GEORGES BANU par Serge Saada.
Texte traduit en roumain et publié dans Secolul 21 Bucarest, George Banu, contemporanul Nostru, 2020, Serge Saada.

Deux amis discutent à la sortie d’un théâtre…

SERGE    

Je l’ai bien vu, je crois que tu n’as pas tout aimé du spec­ta­cle

GEORGES

C’est un beau spec­ta­cle mais les seaux d’eau ren­ver­sés à la fin, c’est inutile

SERGE  

Tu par­lais avec le met­teur en scène, tu lui as dit ?

GEORGES

Oui et il a hurlé à son assis­tant : je t’avais bien dit que Georges allait voir ça tout de suite !

SERGE  

Tu as changé entant que spec­ta­teur ?

GEORGES

Non pas fon­da­men­tale­ment mais je m’intéresse plus aux détails…

SERGE  

Tu as tou­jours du plaisir au théâtre ?

GEORGES

Par­fois ma vie est plus forte… Quand le théâtre peut être plus fort que la vie pen­dant deux heures, je suis un très bon spec­ta­teur

SERGE  

Tu ne trou­ves pas que les rires et les applaud­isse­ments devi­en­nent de plus en plus con­venus… Min­i­mum trois rap­pels les jours de pre­mières, même si c’est moyen. C’est fatiguant.

GEORGES

Au salut, j’ai un principe je regarde tou­jours les chaus­sures de toute la dis­tri­b­u­tion, je regarde si les chaus­sures s’accordent bien entre elles, j’ai appris ça en suiv­ant les spec­ta­cles de Strehler où les chaus­sures étaient une sorte de vocab­u­laire per­son­nal­isé de l’homme avec sa chaus­sure, on peut dire à quelqu’un qu’on accom­pa­gne et qui ne va pas sou­vent au théâtre :  regarde quand même les chaus­sures…

SERGE  

J’ai vu que ton voisin t’embêtait à gig­ot­er tout le temps

GEORGES

C’est le met­teur en scène, il est comme ça, il ne peut pas s’empêcher de bouger pen­dant son spec­ta­cle, il se grat­te la tête, il pié­tine en restant assis, comme un entraineur de foot qui fait les cent pas quand son équipe rate une action. Juste avant la fin du spec­ta­cle sa voi­sine était en rage, elle lui a dit : écoutez mon­sieur si ce spec­ta­cle vous déplait à ce point sortez ! (Rires) 

Qu’est-ce que tu fais ?

SERGE  

Je note sur un car­net toutes tes petites his­toires. Les chaus­sures je savais pas… Très bon… L’histoire des chaussures…Après il faut que je me sou­vi­enne com­ment tu les racon­tes… Sinon ce n’est pas drôle… Un grand cri­tique qui se focalise sur les chaus­sures c’est quelque chose...

GEORGES

Et tu fais ça depuis longtemps ?

SERGE  

Depuis qu’on se con­nait Georges. Dans ce petit car­net rouge repose la mémoire vive des anec­dotes de Georges Banu ! Mais pas que ça… (il ouvre son petit car­net rouge) par exem­ple j’ai noté là que j’aime beau­coup com­ment tu com­mences tes conférences, du moins en France tu com­mences presque tou­jours par : Oui alors… Un Oui alorsmât­iné de ton accent roumain, c’est très séduisant… Très ouvert…. Comme ça d’entrée de jeu, tu dis oui, alors à l’audience ou parce que le met­teur en scène est en retard et qu’il faut bien dire quelque chose, devant un groupe de tra­vail qui attend de toi une solu­tion tu dis : Oui alors… En faisant mine d’assumer à peine cette place qui t’es don­née tu dis « oui alors » avec une ingé­nu­ité par­faite, comme si c’était la pre­mière fois… Si Ari­ane Mnouchkine, Peter Brook, Luca Ron­coni, Eugénio Bar­ba, Patrice Chéreau, Armin Petras arrivent en retard, on le sent, tu vas nous racon­ter une his­toire qui com­mence par ton légendaire : Oui alors…

GEORGES

Tu es sûr que je le dis si sou­vent ?

SERGE  

Presque tou­jours, j’ai des témoins… Par exem­ple le jour où est sor­ti ton livre : Le rouge et or. A la sig­na­ture du livre, un peu gêné, tu dis :  Oui alors, cela me rap­pelle que lorsque j’ai écrit Le rouge et or qui est un livre sur les théâtres à l’italienne, Monique, ma femme, écrivait en même temps un livre sur Antonin Artaud. Il n’aimait pas du tout la struc­ture à l’italienne Artaud, mais moi…. … J’aime tou­jours ma femme… 

GEORGES

C’est vrai…

SERGE  

Un autre jour tu nous expliques pourquoi tu préfères le foot­ball au Rug­by…

(Un temps)

GEORGES

Oui et alors ?

SERGE  

Parce que tu con­nais les règles, tu ne peux pas voir un spec­ta­cle sans un min­i­mum de règles, ton hori­zon d’attente est large, par­fois même con­ciliant, mais si tu ne con­nais pas un min­i­mum de règles le plaisir ne vient pas. Ton oui alors c’est comme L’angoisse du gar­di­en de but au moment du pénal­ty

GEORGES

Incroy­able ce petit car­net, ça me met la pres­sion main­tenant…

SERGE  

Quelle pres­sion ?

GEORGES

Il faut que je sois à la hau­teur du per­son­nage que tu con­stru­is… Main­tenant quand je racon­te une his­toire, je sais que tu es là, tu notes… 

SERGE  

Oublions ça, reste naturel. 

GEORGES

Ça me rap­pelle un acteur qui un jour m’a racon­té… Tu vas le not­er ?

SERGE  

Allez, je range le car­net

GEORGES

Quand il n’aimait pas la propo­si­tion d’un met­teur en scène, même si elle était bonne il la jouait très mal pour la ren­dre inadap­tée…

SERGE  

Tu as voulu être acteur…

GEORGES

Au début

SERGE  

Tu aimes tou­jours autant les acteurs ?

GEORGES

Oui

SERGE  

C’est l’essentiel. Quel type d’acteur tu étais ?

GEORGES

Peu importe… Quand un spec­ta­cle me par­le, je ne peux sépar­er l’acteur et le per­son­nage. La qual­ité du jeu en sit­u­a­tion. L’accomplissement est lié à cette coex­is­tence d’un être réel et d’un être fic­tif. Même quand c’est du théâtre sans per­son­nage je crois qu’on arrive à percevoir la qual­ité d’implication d’un acteur, on arrive à saisir la charge humaine de cet acteur. Par­fois on a une con­fi­ance absolue dans ce qui émerge de sa présence. Je crois que je suis sen­si­ble à cela et quand quelqu’un n’est pas sen­si­ble ça m’énerve.

SERGE  

Les bons spec­ta­cles poé­tisent ton dis­cours Georges.

GEORGES

Oui une poésie con­stru­ite par l’homme devant moi. Au fond, cher serge, le spec­ta­teur c’est l’ombre de la scène, l’homme sans ombre est un homme mutilé. La scène a besoin de cette ombre.

SERGE  

Je peux le not­er

GEORGES

Ce n’est pas drôle…

SERGE  

C’est sen­si­ble

GEORGES

Alors, oui….

Fin

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Georges Banu
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Serge Saada
Auteur et essayiste, Serge Saada enseigne le théâtre et la médiation culturelle à l’université Paris...Plus d'info
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