The rest is silence, le départ d’Horatio 

Hommage

The rest is silence, le départ d’Horatio 

Le 27 Jan 2023
Georges Banu, Les recits d'Horatio, Actes sud-Papiers, 2021
Georges Banu, Les recits d'Horatio, Actes sud-Papiers, 2021
Georges Banu, Les recits d'Horatio, Actes sud-Papiers, 2021
Georges Banu, Les recits d'Horatio, Actes sud-Papiers, 2021

HOMMAGE A GEORGES BANU

Mes pre­miers sou­venirs avec Georges Banu sont d’abord ceux d’une étu­di­ante. J’ai eu la chance de l’avoir comme pro­fesseur en licence et en mas­ter d’études théâ­trales à la Sor­bonne-Nou­velle. C’était à la fin des années 2000. Une époque où les smart­phones ne con­cur­rençaient pas encore les profs et où nous écriv­ions nos cours à la main. Nous pas­sions des heures à écouter cet homme aux allures de Maître Hibou (le célèbre habi­tant de la forêt des Rêves bleus) nous racon­ter pas­sion­né­ment Peter Brook, ressus­citer le Mahab­hara­ta ou nous faire courir aux Bouffes du Nord un dimanche après-midi par grand soleil pour décou­vrir la Flûte enchan­tée du grand met­teur en scène anglais, dont il accom­pa­gna toute sa vie le tra­vail. La reine de la Nuit était Noire, les Iks de l’Ouganda blancs. Nous plon­gions dans la magie du théâtre en com­pag­nie de cet Hor­a­tio sen­si­ble, dont les cours étaient un savant mélange d’érudition et d’observation, d’anecdotes vécues ou enten­dues et d’un je-ne-sais-quoi de savoureux qui tenait beau­coup à ce qu’aucun cours ne ressem­blait au précé­dent. Un par­fum de soufisme flot­tait par­fois dans la salle. Et les yeux pétil­lants, notre prof à l’accent roumain si chan­tant pre­nait un plaisir d’artiste à nous émer­veiller.   

Georges Banu m’a tou­jours ter­ri­ble­ment impres­sion­née. Par son éru­di­tion, ses remar­ques qui fai­saient mouche, par ses livres dans lesquels je me plonge régulière­ment depuis mes dix-huit ans. En un mot Georges Banu a beau­coup nour­ri mes « human­ités ». Mais longtemps, le croisant à la sor­tie du théâtre, je me suis gardée, paralysée par la timid­ité, de lui deman­der ce qu’il avait pen­sé du spec­ta­cle. Il impres­sion­nait par son savoir mais aus­si par son sens de l’à‑propos. Et puis j’ai appris à le con­naître autrement. A Paris 3 d’abord où il est devenu l’un de mes col­lègues –rapi­de­ment émérite- puis au sein du comité de rédac­tion d’Alternatives théâ­trales, revue qu’il a fait naître avec Bernard Debroux et à laque­lle il a su don­ner le ray­on­nement qu’on lui con­naît. 

Georges Banu se dévouait au théâtre mais il savait garder l’oreille ouverte sur le monde et sur les autres. Je me sou­viens notam­ment de sa curiosité pour les étu­di­ants étrangers aux­quels il posait tou­jours des ques­tions sur le théâtre dans leurs pays et les raisons de leur présence à la Sor­bonne-Nou­velle. Par ailleurs, bien que paraît-il rétif aux mon­dan­ités noc­turnes, tou­jours à l’affut d’un bon vin, d’un bon mets ou d’un bon mot, c’était aus­si un for­mi­da­ble cama­rade de fes­ti­val ou de col­loque. Une foule de sou­venirs à Reims, Avi­gnon, Paris ou Lou­vain-La-Neuve m’assaillent en écrivant ces lignes. 

Impos­si­ble d’écrire sur Georges Banu sans penser aus­si à ses colères. Elles étaient nom­breuses, sou­vent cinglantes et par­fois très à pro­pos. Dans cette époque asep­tisée, où tout le monde fait sans cesse atten­tion à ne pas bless­er l’autre comme s’il s’agissait d’une déli­cate stat­ue de porce­laine, ses colères, que je n’ai jamais con­nues empreintes de rancœur ou de frus­tra­tion, me man­queront. Elles étaient pro­fondé­ment vivantes. 

Ce n’était pas un maître à penser pour moi. Plutôt quelqu’un dont la lec­ture et la fréquen­ta­tion « à com­bus­tion lente », comme dis­ait Antoine Vitez, me don­nait des idées, des réflex­ions sur des sujets divers. Une cer­taine idée de la rou­blardise aus­si. 

Deux semaines avant sa mort, nous inter­ve­nions tous deux au sein de la même table-ronde dans un col­loque con­sacré à Jean-Marie Ser­reau à la Comédie-Française. Après avoir verte­ment remis en place Col­ine Ser­reau qui l’avait piqué au vif par une remar­que déplacée à notre égard (en gros les uni­ver­si­taires sont des gens d’un insup­port­able sérieux), Georges avait sub­jugué la salle en racon­tant les spec­ta­cles de Jean-Marie Ser­reau qu’il avait vus, jeune homme en Roumanie, et le temps qu’ils avaient passé ensem­ble. Son réc­it racon­tait Ser­reau bien sûr. Mais en creux, il était ques­tion de sa pro­pre jeunesse entravée par un régime poli­tique oppres­sant qui l’avait con­traint bien­tôt à par­tir. Comme lorsqu’il par­lait de Peter Brook, Banu invo­quait les pou­voirs du théâtre sur l’âme et les des­tinées. Ce jour-là, Georges m’a demandé le regard loin­tain, si j’avais remar­qué que Peter Brook ne fig­u­rait pas dans les « Dix grands dis­parus de l’année 2022 » de Libéra­tion. 

Mon inter­ven­tion, sur Jean Genet et Jean-Marie Ser­reau, l’avait intéressé. Quelques jours plus tard, il m’avait écrit pour me deman­der de lui envoy­er. Ce que j’avais fait avec plaisir mais en réécrivant mon texte. C’était cela aus­si Georges Banu, une curiosité sans lim­ite à l’égard de la jeunesse, une volon­té de trans­mis­sion bien grande et une exi­gence qui don­nait envie de se dépass­er. Ce témoin de l’ombre est peut-être par­ti rejoin­dre les Nuées. « Nous savons qui nous sommes mais nous ne savons pas ce que nous allons devenir », dit le per­son­nage d’Ophélie qu’il cite dans Les réc­its d’Horatio, ce texte tes­ti­mo­ni­al où il se met métaphorique­ment à la place du grand ami d’Hamlet. The rest is silence, dit-il. 

Hommage
Georges Banu
Partager
Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Marjorie Bertin
Docteur en Études théâtrales, enseignante et chercheuse à la Sorbonne-Nouvelle, Marjorie Bertin est également journaliste à...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements