Barker et la critique
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Barker et la critique

Le 24 Oct 2025
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Diamé­trale­ment opposés

CE N’EST PAS LA PEINE d’es­say­er de retrac­er la car­rière de dra­maturge d’Howard Bark­er en se référant aux cri­tiques du LONDON THEATRE RECORD. Sur une péri­ode d’à peu près vingt-cinq ans, il y a eu une accu­mu­la­tion de malen­ten­dus qui ne per­me­t­tent qu’un accès indi­rect aux pièces de Bark­er. L’his­toire de Bark­er et de ses cri­tiques est le réc­it du désen­chante­ment de deux mon­des diamé­trale­ment opposés.
Cepen­dant, ces cri­tiques sont révéla­tri­ces des con­di­tions d’embauche des cri­tiques de théâtre dans un jour­nal lon­donien. Apparem­ment, le can­di­dat serait con­vo­qué à minu­it dans un théâtre vide du West End, où l’at­tendrait le fan­tôme de la Tante Edna de Rat­ti­gan.
Le cri­tique en herbe doit choisir quelques pièces de qual­ité qui lui tien­nent à cœur. Il doit ensuite jur­er de ne jamais recom­man­der une pièce que si le scé­nario est clair et net, si le dénoue­menc s’achève dans le dernier acte et si le mes­sage donne un sen­ti­ment d’élé­va­tion morale. Il faut égale­ment que les per­son­nages soient bien dévelop­pés, et qu’il y en ait au moins un auquel on puisse s’i­den­ti­fi­er.
Et même si la pièce doit se ter­min­er sur une note triste, on s’at­tend quand même à ce qu’elle soit suff­isam­ment diver­tis­sante pour pou­voir pass­er une bonne soirée. S’é­tant engagé à suiv­re ces con­signes, le nou­veau cri­tique est envoyé le lende­main soir démolir une pièce de Bark­er.
À par­tir du milieu des années soix­ante-dix, cer­tains cri­tiques jugèrent pour­tant Bark­er « promet­teur ». Toute­ fois, la majeure par­tie d’en­tre eux l’ac­cusèrent de ne pas prêter assez d’at­ten­tion à « l’in­trigue », de « s’in­téress­er peu à la con­struc­tion théâ­trale ou au développe­ment des per­son­nages », ou le traitèrent de « dra­maturge frus­trant ». Par­mi les théâtres sub­ven­tion­nés, le Roy­al Court fut le pre­mier à pren­dre le risque de le met­tre à nou­veau en scène depuis ses débuts con­testés. Dans les années soix­ante-dix, Bark­er a été mon­té à Sloane Square, et l’Eng­lish Stage Com­pa­ny le pro­gram­ma égale­ment. Quelques années plus tard, la Roy­al Shake­speare Compa­ny a joué trois de ses pro­duc­tions au Ware­house et, en 1985, celle-ci a pro­duit CRIMES IN HOT COUNTRIES, THE CASTLE ET DOWNCHILD pen­dant une sai­son au Pit. Si la sai­son de l985 a prou­vé l’im­por­tance du drama­turge dans le paysage théâ­tral, les pro­duc­tions de la RSC ont eu peu d’im­pact sur les réac­tions sou­vent hos­tiles des cri­tiques. On y par­le de sa « pseu­do-pro­fondeur » et de son « chara­bia ver­bal ». Le SUNDAY TELEGRAPH dit que « Mon­sieur Bark­er s’ef­force d’af­firmer un cer­tain nom­bre de choses à la fois, mais sans en met­tre aucune en lumière avec cohérence. » Et cous s’ac­cor­dent à dire que Bark­er est un auceur « dif­fi­cile », ce qui n’est pas une recomman­ dation pour les habitués du théâtre bri­tan­nique.
Les théâtres nationaux sont hos­tiles à Bark­er. Mais celui-ci attire pub­lic et acreurs comme le prou­ve
la créa­tion en 1988 de la Wrestling School. Cette “com­pag­nie ne pro­duit que les pièces de Bark­er ; en la per­son­ne d’Ian McDi­armid, le dra­maturge a trou­vé un acteur prêt à relever le défi des rôles com­plex­es et con­tra­dic­toires. La Wrestling School a mon­té les œuvres de Bark­er les plus mûres et les plus exigeantes et fut sou­vent accueil­lie à l’Almei­da The­atre à Isling­ton. La répu­ta­tion éli­tiste de l’Almei­da s’en est trou­vée rehaussée mais, compte tenu de sa sit­u­a­tion géo­graphique excen­trée, Bark­er est demeuré dans la marge, et les cri­tiques réputés n’ont pas changé d’at­ti­tude à son égard. Ce qui a changé, pour­tant, sans doute à cause de l’in­térêt gran­dis­sant que por­tent le pub­lic, les acteurs et les éru­dits aux pièces de Bark­er, est une ten­dance de la part des cri­tiques à le traiter avec con­de­scen­dance. Ce grand excen­trique de l’art dra­ma­tique anglais est-il un prophète, un poseur, un homme d’e­sprit ou un fou ? Ni le pub­lic ni les cri­tiques ne sauraient s’ac­corder sur ce point.
Du point de vue des éru­dits et des his­to­riens de théâtre, les rela­tions for­cées entre Bark­er et ses cri­tiques prê­tent à con­fu­sion. Elles don­nent surtout une impres­sion irréelle. Les argu­ments mis en avant dans les cri­tiques ne sem­blent pas faire par­tie du dis­cours théâ­tral des années qua­tre-vingt ou quarre-vingt-dix. Ces cri­tiques sont l’é­cho des argu­ments moral­isa­teurs et restreints des années cinquante. La fréquence avec laque­lle Bark­er a été accusé d’être « obscur » et « dép­ri­mant » nous rap­pelle la réfu­ta­tion en bloc de l’œu­vre de Beck­ett. Mais si ce dernier igno­rait les cri­tiques, Bark­er les défie et proclame sa révolte con­tre les con­ven­tions théâ­trales établies.
Son pre­mier recueil de dis­cours, de notes, d’es­sais ec de poèmes ARGUMENTS FOR A THEATRE parait en 1989.
Il est com­plété dans sa sec­onde édi­tion de 1993 et expose la théorie théâ­trale de Bark­er qu’il appelle « Le Théâtre de la Cat­a­stro­phe ».

Un malen­ten­du de plus

Les cri­tiques ont sup­posé que Howard Bark­er n’é­tait qu’un auteur poli­tique de plus. C’est pourquoi ils per­sistèrent à essay­er de décel­er des mes­sages dans ses pièces. Dans les années soix­ante-dix, en se basane sur une poignée de pièces, il parais­sait adéquat de faire le rappro­ che­ment entre l’œu­vre de Bark­er et celle de ses contem­ porains Howard Bren­ton, David Edgar ou David Hare. Ses pre­mières pièces telles que STRIPWELL et CLAW furent perçues comme une attaque con­va­in­cue des insti­tu­tions de la société qu’ap­parem­menc cous les jeunes auteurs con­sid­éraient comme pour­ries à la base. Ils sup­posèrent donc que Bark­er essayait d’é­galer les provo­ca­tions visuelles et ver­bales que Bren­ton, Hare, Grif­fiths, Wil­son et d’autres avaient mis­es en scène au Portable The­atre dans la pro­duc­tion très con­tro­ver­sée de Lay By en 1971. De plus, le style de présen­ta­tion satirique que Bark­er partageait au début avec ses con­tem­po­rains fut con­sid­éré comme preuve de son appar­te­nance à un groupe.

Rétro­spec­tive­ment, il est pour­tant plus facile de recon­naître que ces pre­mières pièces n’ex­pri­ment pas du tout la croy­ance absolue qu’un social­isme rénové est la réponse ulcime à toutes les doléances de la Grande Bre­tagne et du monde entier. Même à ses débuts, Bark­er n’a jamais feint d’e­spér­er une Nou­velle Jérusalem qui influ­ençait alors WEAPONS OF HAPPINESS de Bren­ton ou bien encore la FANSHEN de David Hare. Des pro­tag­o­nistes tels que Noe ! Biledew dans CLAW, dont les reven­di­ca­tions pour des valeurs human­i­taires n’empêchent pas son exé­cu­tion bru­tale, avaient ten­dance à anticiper la per­spi­cac­ité désil­lu­sion­née du dis­cours de Hare à Cam­bridge en 1978. Dans son dis­cours, David Hare a fini par avouer que « quelques déc­la­ra­tions de pacotille de la Gauche », pronon­cées au théâtre devant un pub­lic de sym­pa­thisants mar­gin­aux ne suff­i­saient pas à « régler le malaise pro­fond de réac­tion de l’An­gleterre mod­erne ».
Bark­er n’a pas non plus accep­té l’hy­pothèse de
« mes­sages d’abord » soutenue dans les années soixante­ dix par Bren­ton et d’autres dra­maturges tels que David Edgar. Ses plus récentes pièces se sont plutôt dis­tancées de ce qui est pure­ment poli­tique. La ténac­ité avec laque­lle Bark­er refuse d’u­tilis­er la scène pour faire pass­er des mes­sages et des ser­mons est peut-être mise en lumière de la meilleure façon par la com­para­i­son de son adap­ta­tion du mythe troyen avec celle d’Ed­ward Bond.
La ver­sion de Bond, THE WOMAN, fut pro­duite par le Nation­al The­atre en 1978. Même si cer­taines images visuelles ou ver­bales, telles que le meurtre bru­tal d’As­cyanax ou la descrip­tion glaciale de la mort d’Hécube, se retrou­vent dans la ver­sion de Bark­er, l’ar­gu­men­ta­tion poli­tique évi­dente de THE WOMAN souligne bien la dif­férence entre les deux pièces. Bond se sert du mythe troyen pour illus­tr­er un con­cept pro­gres­siste qu’il com­prend comme étant le chemin inévitable vers un social­isme rationnel. Dans THE WOMAN, la société féo­dale de Troie doit suc­comber aux pou­voirs du cap­i­tal­isme tel qu’il est représen­té par Achènes. Mais, pour Bond, il ne faut pas per­me­crre à la nou­velle Athènes, qui se nour­rit de l’esclavage et du colo­nial­isme, d’in­car­n­er le bue ultime de l’his­toire. Donc, sur une île utopique, le cap­i­tal­isme de la Nou­velle Achènes finie par se faire ren­vers­er par les efforts du peu­ple et les portes s’ou­vrent vers un meilleur avenir. Le lan­gage pop­u­laire uni­voque de Bond élim­ine toute pos­si­bil­ité d’in­ter­pré­ta­tion des images quelque­fois com­plex­es et ambiguës de THE WOMAN. Face au dévoile­ment de l’I-Iis­toire, le pub­lic est sup­posé être d’ac­cord. Une dizaine d’an­nées après THE WOMAN, la RSC a présen­té la pièce troyenne de Bark­er, THE BITE OF THE NIGHT, avec comme sous-titre « An Edu­ca­tion ». Dès le pro­logue, l’au­teur réfute toute pré­ten­tion à la « Clarté, la Sig­ni­fi­ca­tion, la Logique et la Con­sis­tance ». Ce qui suiv­it dans le Pit fut une décou­verte des dif­férentes couch­es de Troie dans lesquelles se con­fondaient passé et “présent. Les Troie de Bark­er ne provi­en­nent pas de fouilles mais de son imag­i­naire : les per­son­nages his­toriques et mythiques ren­con­trés en chemin se mêlent sans cohérence. Hélène non plus n’est pas un per­son­nage cohérent : elle est lit­térale­ment démem­brée, cout comme Je mythe qu’elle incar­ne tel qu’il fut énon­cé par Homère ou Schlie­mann. Ain­si, même les con­cepts de crois­sance et de con­ti­nu­ité dans !‘His­toire se trou­vent brisés. Toute­fois, il ne faut pas automa­tique­ment con­sid­ér­er le démem­bre­ment comme LB principe dom­i­nant de la struc­ture de THE BITE OF THE NIGHT. Ruby Cohen trou­ve la pièce « trop dense pour être com­prise à la pre­mière représen­ta­tion ou lec­ture ». Selon elle, les ques­tions soulevées par Bark­er sont : (…) l’im­pos­si­bil­ité de réc­on­cil­i­a­tion d’une pas­sion indi­vidu­elle ( … )et d’une respon­s­abil­ité publique (…), l’i­nap­ti­tude de l’amour de men­er vers une har­monie publique (…), la séduc­tion de
la pas­sion, la triv­i­al­ité de la comédie et du rire, le témoignage impuis­sant de poètes qui fuient l’ac­tion.
Tan­dis que la réitéra­tion assurée des pou­voirs
répara­teurs de la ratio­nal­ité et du social­isme dans THE WOMAN ne per­met qu’une setùe lec­ture, l’év­i­dence mul­ti­plic­ité de thèmes et de ques­tions de THE BITE OF THE NIGHT en per­met plusieurs. Tant que la
com­préhen­sion de l’arc est liée à des con­cepts de forme, l’aboutisse­ment de la décon­struc­tion ou absence de formes établies est cen­sé être plus qu’un manque de bue ou de forme. Il faut quand même se rap­pel­er que lorsque Beck­ett a déman­telé la struc­ture d’une pièce bien faite avec WAITING FOR GODOT, ENDGAME et HAPPY DAYS, les cri­tiques, lents à s’adapter à sa poé­tique réduc­tive, l’ont accusé lui-aus­si d’un manque de forme et de but. Dans le cas de Bark­er, ARGUMENTS FOR A THEATRE prou­ve que son défi à l’en­con­tre de la tra­di­tion dra­ma­tique est plus qu’une attaque lancée au hasard.

Le « Théâtre de la Cat­a­stro­phe »

ARGUMENTS FOR A THEATRE définit les rap­ports qu’en­tre­tient Bark­er avec les notions de destruc­tion, de cathar­sis et de renou­veau. Son « Théâtre de la Cat­a­stro­phe » s’adresse à ceux qui souf­frent d’une « imag­i­na­tion hand­i­capée », qui ressen­tent « un désir inar­tic­ulé de spécu­la­tion morale ». Un désir que ne saurait assou­vir ni la « télévi­sion kitsch », ni les comédies musi­cales, ni Je « théâtre human­iste » qui traite son pub­lic comme un chien en laisse : « Il me sem­ble qu’il y a une tristesse pro­fonde dans les rela­tions entre le Réc­on­cil­i­a­teur — le dra­maturge — et ceux qui recherchent l’har­monie — le pub­lic — dans le théâtre human­iste( …).»
La réponse de Bark­er à ce qu’il croit être le véri­ta­ble « devoir du théâtre » est à la fois exigeante et éli­tiste. Déjà dans les années soix­ante-dix, il dis­ait que le théâtre devai être : « le carter qui per­met de vidan­ger cous nos poi­sons et mal­ices, notre dés­espoir et notre ter­reur. Ce n’est pas un lieu de réc­on­cil­i­a­tion ou de soulage­ment. Ce n’est ni un lieu som­bre, qui vibre au son des rires ni un endroit privé cos­su où les mains se touchent. C’est un creuset en gran­ite dans lequel le con­flit et la col­li­sion provo­quent des étin­celles dan­gereuses et décon­cer­tantes. »
Néan­moins, il n’est pas assez naïf pour nour­rir l’e­spoir d’autre­fois d’Arnold Wesker qu’un jour les ouvri­ers emmèn­eraient des pièces de théâtre dans leurs paniers repas. Mais, il insiste sur le fait qu’il est pos­si­ble d’é­du­quer le pub­lic, qui a besoin d’une spécu­la­tion morale pour que ses attentes soient plus que le récon­fort d’une soirée au théârre. Il croit que le pub­lic est prêt à con­sid­ér­er le théâtre comme un défi, com­pa­ra­ble aux exi­gences du tra­vail et qu’il veut bien souf­frir des douleurs plus sévères encore que celles nor­male­ment infligées aux spec­ta­teurs par la tragédie. En d’autres ter­mes, Bark­er ne tient pas seule­ment à « émou­voir » son pub­lic : « Le théâtre vous sépare. Il sépare le pub­lic de ses croy­ances. Il sépare le social de l’in­di­vidu. Il sépare l’in­di­vidu de lui-même. À la sor­tie, le pub­lic a du mal à recoudre les morceaux de la vie. » Ce défi adressé au pub­lic se réalise à tra­vers la tragédie, dont Bark­er retient une expéri­ence destruc­trice et déraci­nanre. Néan­moins, il prive son pub­lic de la cer­ti­tude d’un renou­veau obtenu par la cathar­sis. Le théâtre de Bark­er, et là ses cri­tiques seraient cous d’ac­cord avec lui, « ne résout rien — au con­traire ».
La tragédie vise un pub­lic qui se sert de son imagi­ nation pour la spécu­la­tion morale. L’essen­tiel de la
pro­duc­tion doit devenir un poème et, comme un poème, elle ne peut se réduire à une série d’ex­posés sous d’autres formes. La pré­ten­tion de Bark­er à une com­plex­ité poé­tique s’ex­plique dans une richesse de métaphores, d’al­lé­gories, de paraboles et de fables. Même ses cri­tiques les plus sévères ont recon­nu sa maîtrise de la poésie. Mais peu importe la forme de l’ex­péri­ence poé­tique ren­due par Bark­er, elle n’est jamais dis­so­ciée de la douleur. L’ex­er­ci­ce de l’imag­i­na­tion pour cause de spécu­la­tion morale est sup­posé être douloureux et tout acte de recon­nais­sance gravé de douleur. De ce point de vue-là le « Théâtre de la Cat­a­stro­phe » de Bark­er est vrai­ment unique, bien qu’il ne peut guère pré­ten­dre être la seule manière d’éveiller l’imag­i­na­tion du pub­lic.

Une Bouf­fée d’Air Frais pour le Pub­lic

Néan­moins, la rigueur avec laque­lle Bark­er sépare l’ex­péri­ence théâ­trale de l’ex­péri­ence banale dif­féren­cie ses pièces des œuvres de ses con­tem­po­rains. Les exi­gences de son « Théâtre de la Cat­a­stro­phe » vis-à-vis du pub­lic expliquent son pen­chant pour des expres­sions de change­ ment et de boule­verse­ment vio­lences. Le con­texte de VICTORY est le change­ment his­torique et la Restau­ra­tion de Charles II. Dans THE POWER OF THE DOG, vers la fin de la guerre, Churchill et Staline redessi­nent la carte “d’Eu­rope, tan­dis que THE CASTIE et THE EUROPEANS évo­quent les per­tur­ba­tions cul­turelles engen­drées par les croisades et le siège de Vienne par les Turcs.
Dans les pièces de Bark­er, !‘His­toire est libre de toute pré­ten­tion à l’au­then­tic­ité. Toute­fois, il renonce explici­ tement à route « respon­s­abil­ité pour les con­ve­nances his­toriques ou poli­tiques ». L’his­toric­ité spé­ci­fique de ses con­textes de guerre et de révo­lu­tion n’est étudiée que pour rehauss­er la crise des valeurs, des idées et des idéolo­gies, ain­si que l’ef­fon­drement et le déracin­e­ment de l’in­di­vidu qui s’en suit. Dans les pièces de Bark­er, l’His­roire ne vainc jamais le chaos ni les con­tra­dic­tions qui lui sont pro­pres et, de ce fait, l’His­toire est tou­jours le con­tem­po­rain. Il est dif­fi­cile de dire avec cer­ti­tude si le pub­lic « a du mal à recoudre les morceaux de sa vie » après une représen­ta­tion d’une pièce de Bark­er, mais, il aura au moins fait face à des pro­tag­o­nistes aus­si déchirés et con­tradi­croires que le monde où ils habitent. Tout comme Brad­shaw dans VICTORY, qui dans la quête des restes du corps de son mari est exposée à la souf­france et l’hu­mil­i­a­tion, aucun de ces pro­tag­o­nistes ne doit éveiller de la com­pas­sion. Et leurs rires amers réson­nent dans un vide moral.
Le fait de refuser la com­pas­sion et d’im­pos­er la con­tra­dic­tion psy­chologique et idéologique à tra­vers de con­tin­uelles con­fu­sions de car­ac­tère per­met au spec­ta­teur de s’in­ter­roger, il décou­vre que « le nou­veau théâtre est une néces­sité pour sa survie morale et émo­tion­nelle ».
Dans WOMEN BEWARE WOMEN que Bark­er réécrit d’après Mid­dle­ton, les per­son­nages, au lieu de subir le sort auquel ils se prédes­ti­naient, font un appre­mis­sage douloureux donc la récom­pense est la survie. Sor­dide est le seul qui meurt et Bark­er le jus­ti­fie dans un dia­logue imag­i­naire avec Mid­dle­ton, en déclarant : « J’in­siste tou­jours pour que les per­son­nages puis­sent être sauvés. » Bark­er réécrit ÜNCLE VANJA con­tre Tchékhov qui se livre à une « célébra­tion mélan­col­ique de la paralysie et de la vacuité spir­ituelle » qui fait du théâtre « un art de con­so­la­tion, une orai­son funèbre pour une vie non vécue ». Selon Bark­er, ONCLE VANJA n’est pas seule­ment l’apothéose d’une société sta­tique donc con­damnée, mais aus­si l’in­car­na­tion de la paralysie actuelle du théâtre. Sa ver­sion (UNCLE) VANYA, trans­fert la paralysie des pro­tag­o­nistes de Tchekhov à leur créa­teur Lorsque le Tchekhov résigné de Bark­er se meurt sur scène, un Vanya de plus en plus fort le recon­forte. Dans un acte de recon­nais­sance, le Vanya de Bark­er déclare, « Je con­nais la peur de Tchekhov ! Je con­nais sa peur épou­vantable ! ». Pour lui, recon­naître que la peur et la douleur ne sont pas des expéri­ences soli­taires mais partagées, a un effet libéra­toire. Autrement dit, dans le nou­veau théâtre de Bark­er, le pro­tag­o­niste tra­gi-comique de Tchekhov !con­naît une libéra­tion douloureuse et sal­va­trice. Il n’est plus entravé par un plaisir de sybarite.

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