Entretien avec Camille Garcia1
Quand j’étais enfant…
Quand j’étais enfant, je suis tombée gravement malade. Une fois que les traitements ont fonctionné et que toute cette histoire s’est résolue, j’ai eu envie de goûter à plein de choses. Théâtre, dessin, danse, j’avais plus de sept activités par semaine ! C’était une soif de vie énorme !
J’ai débuté le théâtre à l’âge de neuf ans et j’ai eu la chance de rencontrer, à Compiègne, la ville où j’habitais, Vincent Martin ainsi que Thierry Ferrer et Laurent Vacher, qui étaient les artistes et professeurs de l’Acte théâtral2, une compagnie de théâtre de rue. Ma semaine était centrée sur ces heures d’atelier théâtre du mercredi, remplie de joie, de gestes et de sons. À travers toutes sortes de jeux et d’exercices collectifs ou de recherches plus individuelles, j’y ai découvert des émotions etdes sensations physiques encore ancrées en moi aujourd’hui. Il y avait également les spectacles de fin d’année, qui comprenaient une centaine d’élèves, toutes générations confondues : l’Acte théâtral voyait les choses en grand et investissait le grand plateau du Théâtre de Compiègne. Je me souviens, entre autres, du spectacle Mémoire de vivre : l’histoire d’une femme qui, relisant son journal intime, retraversait les épreuves de sa vie. Nous interprétions cela par des tableaux collectifs et musicaux qui restent toujours gravés en moi.
Donc, mon envie de jouer, elle vient clairement à la fois de ce bonheur trouvé et de l’exigence de ce théâtre-là.
Le texte théâtral, c’est arrivé assez tard …
J’ai été brièvement initiée à une pièce de théâtre au collège – Le Bourgeois gentilhomme de Molière – et je me souviens encore de ma mère cousant mon costume de Monsieur Jourdain en velours bleu. C’est après mon bac, dans les cours de l’école du Samovar (à l’époque rue de Charonne), avec Philippe Dormoy comme enseignant, que le texte théâtral est entré dans ma vie. À l’époque, le Samovar3 n’était pas l’école de clowns qu’elle est devenue, mais une école de théâtre avec des cours les plus divers : théâtre de texte, chant, clown, théâtre gestuel, masque, marionnettes… L’enseignement était très ouvert et il fallait choisir un peu à la carte. En parallèle à ces cours, je suis entrée, en tant qu’actrice professionnelle, dans la compagnie de l’Acte théâtral, avec laquelle j’avais débuté enfant !
Durant cette même année, j’ai passé le concours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, où j’ai été sélectionnée. Là, j’ai pu approfondir le travail du texte avec Philippe Adrien, pour lequel j’ai eu la joie de faire une création d’Yvonne, princesse de Bourgogne4 de Gombrowicz un peu plus tard, avec Daniel Mesguich, qui effectuait un travail au millimètre près sur les textes et les scènes, et surtout avec Joël Jouanneau, avec qui j’ai travaillé dix ans par la suite.
Même à l’heure actuelle, je n’ai pas une grande culture théâtrale. Pendant longtemps, le texte n’était pas ce qui m’intéressait le plus : j’adorais les rôles quasi muets et ça ne me dérangeait pas de ne pas avoir de texte sur le plateau. Avec l’âge cependant, je sens que les choses changent peu à peu. Récemment, j’ai joué un long monologue. Donc les choses évoluent, et plus j’avance dans ma carrière, plus j’ai des textes conséquents.

Les rôles d’enfant
J’ai véritablement abordé un rôle d’enfant dans L’Adoptée5, un spectacle jeune public de Joël Jouanneau. J’avais le rôle d’un petit garçon étranger et muet qui débarquait du jour au lendemain chez Procolp, une vieille femme rustre en pleine campagne. Je ne parlais qu’à la fin de la pièce, en grommelot (langage imaginaire). Joël Jouanneau avait une langue très forte, et il jouait tellement avec les mots et les sonorités que les adultes étaient déstabilisés au niveau du sens, contrairement aux enfants, qui les accueillaient comme ils venaient.
Pour jouer l’enfant, on ne va pas le nier, il y a l’avantage de ma petite taille. Je fais très exactement un mètre quarante-trois et demi ! Quand je suis seule sur le plateau, c’est moins flagrant qu’en présence d’autres acteurs : c’est à ce moment-là que cela se voit ! Il y a ma voix aussi, elle est assez aiguë. J’ai fait beaucoup de fictions radiophoniques, où l’on m’a demandé de prendre en charge des voix d’enfants. Grâce au théâtre de rue, j’ai acquis de la puissance vocale, mais le spectre de ma voix, pas très large, n’était que dans les aigus. Aujourd’hui, j’ai gagné de l’amplitude !
Pour jouer l’enfant au plateau, deux choses m’importent. D’une part, le costume, qui aide énormément. D’autre part, évidemment, il y a le travail corporel, l’expression des émotions et la manière de tisser des relations avec les autres comédiens et comédiennes. Dans L’Adoptée, je n’avais pas de texte, alors j’ai beaucoup travaillé le corps et le relationnel. Joël avait écrit ce texte en résonance avec son enfance, dans la ferme de ses parents.
En tant que spectatrice, la présence d’un « véritable » enfant sur le plateau me fait un peu décrocher, comme celle d’un un animal – si je puis me permettre de les associer –, car cela m’attire trop l’œil. Un adulte peut très bien jouer ce rôle et la présence de l’enfant peut se trouver en soi. En raison de la maladie qui m’a frappée de façon précoce, il y a une part d’enfant qui est restée bloquée en moi (comme c’est le cas pour beaucoup d’acteurs, par ailleurs) et cette chose qui reste, c’est une curiosité de dingue et d’ouverture au monde ! À l’hôpital, quand j’étais malade, j’avais un magnétocassette et j’écoutais Henri Dès. J’avais toutes les cassettes de ce chanteur, et ses chansons, que je connais par cœur, ont nourri mon imaginaire. Mes livres d’enfant, je les ai gardés. Les livres de mes enfants, je les garde aussi.






