Les représentations de l’enfant sont assez rares dans le théâtre antique. Ainsi, les premières — et uniques — figures qui viennent à l’esprit sont généralement celles de Merméros et Phérès, les fils de Jason et Médée, dont on connaît à peine les prénoms. Grecs ou romains, qui sont les personnages d’enfants dans le théâtre antique ? Que nous raconte cette absence ?

Dans la comédie et la tragédie antiques, les enfants semblent davantage des figures que des êtres incarnés. Pour quelles raisons ?
Les enfants n’ont aucune raison d’avoir des répliques dans ces pièces, car ils ne sont engagés en rien, ils ne sont là que pour les relations sociales qu’ils entretiennent avec leurs parents. Ils sont rien. En ce qui concerne Médée par exemple, les fils sont sacrifiés par leur mère, tout comme les enfants d’Héraclès le sont par leur père. C’est un peu la même chose : un père ou une mère qui tue ses enfants, et pour l’un comme pour l’autre, cela génère des douleurs atroces. Pour les Grecs et les Romains, rien de plus affreux que de perdre ses enfants et, pire encore, d’être à l’origine de leur mort. Dans Médée, Euripide fabrique une histoire tragique ; il invente le meurtre des enfants alors qu’historiquement les enfants étaient tués par les Corinthiens. L’histoire d’Antigone est une invention, celles de Médée et d’Œdipe aussi. L’infanticide est un coup de génie d’Euripide : il invente une Médée qui tue ses enfants ! C’est beaucoup plus spectaculaire, car elle devient à la fois meurtrière et victime. Et en prime, il y a la souffrance de leur père, Jason.
Qu’est-ce qu’un personnage d’enfant dans le théâtre antique ?
Les enfants n’y existent pas en tant que tels. Ce ne sont que des « fils et filles de », d’Héraclès, de Thyeste, etc. Généralement, ils n’ont pas de texte. Seule existe la perte des enfants. Elle n’intervient que dans la mesure où elle fait souffrir leurs parents de leur disparation. Les enfants sont là pour mourir dans des conditions tragiques. Comme Dans Hercule furieux de Sénèque : Héraclès les massacre dans un accès de folie. Lorsqu’il s’en aperçoit, c’est l’horreur. Dans Thyeste, les enfants n’apparaissent que pour être dévorés et tués.
Quant à Iphigénie, elle est tuée par son père, mais est-ce une enfant ? Les personnages sont définis par rapport à leurs parents tant qu’ils sont sous leur tutelle. Ce n’est pas une question d’âge. Ils sortent de la classe de l’enfance par le mariage. Avant, ils ne sont que parthenoï, une fille ou un garçon qui se situe dans la classe d’âge qui précède l’âge adulte. On les appelle « enfant » d’après la catégorie moderne, mais ça ne correspond à rien pour nous, ils peuvent tout aussi bien avoir dix-huit ou six ans. Et qu’ils parlent ou non, le caractère infantile n’est pas présent.
Chez Eschyle, par exemple, Oreste est un parthenos ; il dit qu’il vient reprendre son trône et les richesses de son père, mais il n’a pas le statut d’adulte. Son ami Pylade et lui sont des parthenoï. Il existe des études très poussées de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet sur le fait qu’Oreste ne se comporte pas comme un guerrier ; c’est une sorte de petit sauvage qui égorge… Chez Eschyle et Sophocle, Électre est également une parthenos. Sa mère refuse de la marier, car elle ne veut pas qu’il y ait de successeurs à Agamemnon. Le mariage est un rituel qui permet de passer à une autre classe d’âge. C’est pourquoi Électre se plaint : demeurer parthenos est une souffrance.
Pour englober les filles et les garçons, on parle de païs, à partir du moment où ils savent parler et qu’ils sont dans un processus d’éducation. Ce terme désigne aussi l’esclave, car un esclave ne devient jamais un homme ou une femme… Hyppolite est un païs, il n’est pas marié, il vit dans la sauvagerie et il est resté parthenos. Il n’admet pas de passer dans la tranche d’âge suivante, ce qui fait de lui un personnage transgressif.
Peut-on considérer qu’Antigone est une enfant, par exemple ?







