MIKE SENS : Howard Barker est-il l’outsider du théâtre anglais ou bien est-il le Théâtre Anglais ?
Ian McDiarmid : Je ne sais pas s’il est dans la marge ou dans le courant principal. En dehors de sa propre compagnie, la Wrestling School, son œuvre est surtout jouée à l’étranger. Nous avons monté quelques pièces, ici, à l’Almeida Theatre. Mais pas autant que j’aurais voulu. La première pièce que nous ayons montée, était TABLEAU D’UNE EXÉCUTION. Elle n’avait encore jamais été portée sur scène dans ce pays, mais déjà dans d’amres pays d’Europe. Glenda Jackson a joué la pièce pour la radio et je lui ai demandé si elle voulait la créer sur scène. Elle a die oui, à mon grand étonnement, et pour mon plus grand plaisir. C’était notre premier spectacle. Les répétitions étaient planifiées selon ses disponibilités ; elle jouait à Los Angeles Qui A PEUR DE VIRGINIA WOOLF et elle pensait en avoir seulement pour quatre semaines de répétitions. Mais la pièce connut un rel succès qu’elle fut prolongée et Glenda n’arriva que dix jours avant la première. Elle a travaillé vingt-quarre heures sur vingt-quatre. C’était une façon très excitante de commencer pour Jonathan Kent et moi à l’Almeida. Et ce fut un succès. Mais Howard Barker fur très irrité parce que beaucoup de gens lui demandaient quand il écrirait une pièce comparable à TABLEAU D’UNE EXÉCUTION. Il écrit ce qu’il a envie d’écrire, n’est-ce pas ? Mais je pense que c’est la pièce qui connut le plus grand succès populaire. Les autres, si elles ont coujours eu du public, ont été critiquées justement parce qu’elles étaient plus difficiles et plus complexes.
Revenons à votre question sur la marge : il est une des voix principales dn théâtre mais une voix originale. Et je sais qu’il se sent plutôt solitaire. Tout ce qu’il écrie attaque la tradition de l’humanisme bien pensant, c’est ce qui rend son œuvre excitante : ça ne l’intéresse pas de confirmer ce que nous savons, il préfère s’enfoncer dans ce que nous ne savons pas, ou pourrions imaginer. Il désire toujours aller au-delà du connu. Navi guer dans l’imaginaire, en explorer les frontières, c’est le travail de cour artiste. C’est pourquoi cane d’acteurs aiment jouer ses pièces.
Il est une voix solitaire. Et c’est magnifique qu’il ait sa propre compagnie. Je crois qu’il est le seul écrivain en Angleterre, à avoir une compagnie qui se consacre uniquement à jouer son œuvre. Mais son existence est précaire : il faut lutter chaque année pour qu’elle continue à vivre. Les oppositions sont nombreuses, mais je suis sûr qu’il reconnaît pourquoi. li y a quelque chose dans l’opposition qui vous permet de prospérer. Néanmoins il est en effet honteux qu’un artiste de raient ne soir pas reconnu comme il le mérite. Mais il y a d’autres exemples dans l’histoire, n’esc ce pas ? J’espère simplement que les manifestions que vous organisez à Bruxelles vont contribuer à faire agir son imaginaire sur le public européen, cout comme son propre pays ne mettra pas trop de temps à reconnaître sa vraie valeur. Pourvu que cela arrive avant qu’il ne meure.
M. S.: TABLEAU D’UNE EXÉCUTION
est-elle une pièce moins radicale que les autres ?
I. McD.: Non. Je pense qu’elle éraie seulement plus compréhensible. La pièce a une ligne narrative qui sert d’accroche pour le public, alors que ses pièces suivantes jouent sur la disjonction : l’histoire de TABLEAU D’UNE EXÉCUTION peur tenir en une ligne, les autres pas.
M. S.: Faites-vous partie de la Wrestling School ?
I. McD.: Non. J’ai joué pour elle, notamment dans HATED NIGHTFALL. Barker m’a dit qu’il l’avait écrite pour moi. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer avec elle, mais il m’a fallu réussir à concilier ce travail avec ce que je fais ici. C’est le problème : je dirige ici ma propre compagnie et je ne peux donc pas m’investir complètement dans une autre. Mais je crois que j’y suis impliqué par procuration.
M. S.: Barker proclame que la souffrance est nécessaire pour atteindre la beauté. Souffrez-vous en tant qu’acteur quand vous jouez ses pièces ?
I. McD.: Je vois ce que vous avez lu ! Je ne passe pas par le supplice pour jouer, mais par des angoisses. Parfois quand on est hors d’haleine, épuisé, c’est effectivement douloureux, mais il ne s’agit aucunement d’une expérience sadomasochiste. Je ne suis pas en train de souffrir devant les spectateurs, je suis capable de jouer chague soir la souffrance, mais je ne la vis pas réellement sur scène. Néanmoins, d’une manière générale, Barker a raison : le rôle des acteurs esr de faire ressentir ces émotions-là, de montrer la souffrance, de la faire partager au spectateur,de l’introduire profondément dans son propre univers de ténèbres et de souffrances. Le théâtre doit offrir une expérience de chair et de sang.
M. S.: Le théâtre d’Howard Barker repose également sur la force de son langage. Pourriez-vous la décrire ?
I. McD.: Pour moi, comme pour la plupart des acteurs, le langage est guelgue chose de physique, il passe par mon corps avant d’atteindre mon cerveau. Aussi dirais-je que le langage de Barker est terriblement musculaire et physique. C’est aussi — comme chez certains auteurs russes — un langage viscéral, en d’autres termes un langage sans sous-texte : avec Howard ce qu’on lit ou entend, c’est ce que l’on a. Le langage n’est pas cerce zone trop obscure qui sépare les hommes, comme dans les pièces de Harold Pinter. Tout doit être dit pour le moment présent, il n’y a pas de sens du passé qui avancerait en même temps que le discours au présent.
C’est une sotte d’expression dionysiaque qui rapproche plus ou moins l’acteur du mode de perception animal, il n’y a rien à lire sous ce que l’on dit : c’est excitant, dangereux et difficile à jouer parce qu’il ne s’agit pas de créer un personnage de toutes pièces, mais plutôt de se mettre dans un état de disponibilité, prêt à accueillir ce qui va arriver en face d’un public et faire avec. Il n’y a pas moyen de se servir des ficelles traditionnelles, de fuir grâce à l’ironie. Sinon on échoue de manière catastrophique… Barker nous force à être extrême, et c’est excitant. Ce qui nous ramène toujours à votre première question sur la place de Barker dans le théâtre anglais : dans le théâtre traditionnel anglais je vous parle en tant qu’Écossais — chaque fois qu’un acteur joue fort et vice, les critiques et le public lui demandent s’il ne pourrait pas être plus lent et plus calme. Ils ne cherchent pas à mieux l’entendre ou le comprendre, mais seulement à le contraindre à ne pas modifier leurs habitudes.