« Le langage de Barker est terriblement musculaire et physique »

« Le langage de Barker est terriblement musculaire et physique »

Entretien avec Jan McDiarmid

Le 24 Oct 2025

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MIKE SENS : Howard Bark­er est-il l’out­sider du théâtre anglais ou bien est-il le Théâtre Anglais ?

Ian McDi­armid : Je ne sais pas s’il est dans la marge ou dans le courant prin­ci­pal. En dehors de sa pro­pre com­pag­nie, la Wrestling School, son œuvre est surtout jouée à l’é­tranger. Nous avons mon­té quelques pièces, ici, à l’Almei­da The­atre. Mais pas autant que j’au­rais voulu. La pre­mière pièce que nous ayons mon­tée, était TABLEAU D’UNE EXÉCUTION. Elle n’avait encore jamais été portée sur scène dans ce pays, mais déjà dans d’am­res pays d’Eu­rope. Glen­da Jack­son a joué la pièce pour la radio et je lui ai demandé si elle voulait la créer sur scène. Elle a die oui, à mon grand éton­nement, et pour mon plus grand plaisir. C’é­tait notre pre­mier spec­ta­cle. Les répéti­tions étaient plan­i­fiées selon ses disponi­bil­ités ; elle jouait à Los Ange­les Qui A PEUR DE VIRGINIA WOOLF et elle pen­sait en avoir seule­ment pour qua­tre semaines de répéti­tions. Mais la pièce con­nut un rel suc­cès qu’elle fut pro­longée et Glen­da n’ar­ri­va que dix jours avant la pre­mière. Elle a tra­vail­lé vingt-quarre heures sur vingt-qua­tre. C’é­tait une façon très exci­tante de com­mencer pour Jonathan Kent et moi à l’Almei­da. Et ce fut un suc­cès. Mais Howard Bark­er fur très irrité parce que beau­coup de gens lui demandaient quand il écrirait une pièce com­pa­ra­ble à TABLEAU D’UNE EXÉCUTION. Il écrit ce qu’il a envie d’écrire, n’est-ce pas ? Mais je pense que c’est la pièce qui con­nut le plus grand suc­cès pop­u­laire. Les autres, si elles ont cou­jours eu du pub­lic, ont été cri­tiquées juste­ment parce qu’elles étaient plus dif­fi­ciles et plus com­plex­es.
Revenons à votre ques­tion sur la marge : il est une des voix prin­ci­pales dn théâtre mais une voix orig­i­nale. Et je sais qu’il se sent plutôt soli­taire. Tout ce qu’il écrie attaque la tra­di­tion de l’hu­man­isme bien pen­sant, c’est ce qui rend son œuvre exci­tante : ça ne l’in­téresse pas de con­firmer ce que nous savons, il préfère s’en­fon­cer dans ce que nous ne savons pas, ou pour­rions imag­in­er. Il désire tou­jours aller au-delà du con­nu. Navi­ guer dans l’imag­i­naire, en explor­er les fron­tières, c’est le tra­vail de cour artiste. C’est pourquoi cane d’ac­teurs aiment jouer ses pièces.
Il est une voix soli­taire. Et c’est mag­nifique qu’il ait sa pro­pre com­pag­nie. Je crois qu’il est le seul écrivain en Angleterre, à avoir une com­pag­nie qui se con­sacre unique­ment à jouer son œuvre. Mais son exis­tence est pré­caire : il faut lut­ter chaque année pour qu’elle con­tin­ue à vivre. Les oppo­si­tions sont nom­breuses, mais je suis sûr qu’il recon­naît pourquoi. li y a quelque chose dans l’op­po­si­tion qui vous per­met de prospér­er. Néan­moins il est en effet hon­teux qu’un artiste de raient ne soir pas recon­nu comme il le mérite. Mais il y a d’autres exem­ples dans l’his­toire, n’esc­ ce pas ? J’e­spère sim­ple­ment que les man­i­fes­tions que vous organ­isez à Brux­elles vont con­tribuer à faire agir son imag­i­naire sur le pub­lic européen, cout comme son pro­pre pays ne met­tra pas trop de temps à recon­naître sa vraie valeur. Pourvu que cela arrive avant qu’il ne meure.


M. S.: TABLEAU D’UNE EXÉCUTION
est-elle une pièce moins rad­i­cale que les autres ?


I. McD.: Non. Je pense qu’elle éraie seule­ment plus com­préhen­si­ble. La pièce a une ligne nar­ra­tive qui sert d’ac­croche pour le pub­lic, alors que ses pièces suiv­antes jouent sur la dis­jonc­tion : l’his­toire de TABLEAU D’UNE EXÉCUTION peur tenir en une ligne, les autres pas.


M. S.: Faites-vous par­tie de la Wrestling School ?


I. McD.: Non. J’ai joué pour elle, notam­ment dans HATED NIGHTFALL. Bark­er m’a dit qu’il l’avait écrite pour moi. J’ai pris beau­coup de plaisir à jouer avec elle, mais il m’a fal­lu réus­sir à con­cili­er ce tra­vail avec ce que je fais ici. C’est le prob­lème : je dirige ici ma pro­pre com­pag­nie et je ne peux donc pas m’in­ve­stir com­plète­ment dans une autre. Mais je crois que j’y suis impliqué par procu­ra­tion.

M. S.: Bark­er proclame que la souf­france est néces­saire pour attein­dre la beauté. Souf­frez-vous en tant qu’ac­teur quand vous jouez ses pièces ?

I. McD.: Je vois ce que vous avez lu ! Je ne passe pas par le sup­plice pour jouer, mais par des angoiss­es. Par­fois quand on est hors d’haleine, épuisé, c’est effec­tive­ment douloureux, mais il ne s’ag­it aucune­ment d’une expéri­ence sado­masochiste. Je ne suis pas en train de souf­frir devant les spec­ta­teurs, je suis capa­ble de jouer chague soir la souf­france, mais je ne la vis pas réelle­ment sur scène. Néan­moins, d’une manière générale, Bark­er a rai­son : le rôle des acteurs esr de faire ressen­tir ces émo­tions-là, de mon­tr­er la souf­france, de la faire partager au spectateur,de l’in­tro­duire pro­fondé­ment dans son pro­pre univers de ténèbres et de souf­frances. Le théâtre doit offrir une expéri­ence de chair et de sang.

M. S.: Le théâtre d’Howard Bark­er repose égale­ment sur la force de son lan­gage. Pour­riez-vous la décrire ?

I. McD.: Pour moi, comme pour la plu­part des acteurs, le lan­gage est guelgue chose de physique, il passe par mon corps avant d’at­tein­dre mon cerveau. Aus­si dirais-je que le lan­gage de Bark­er est ter­ri­ble­ment mus­cu­laire et physique. C’est aus­si — comme chez cer­tains auteurs russ­es — un lan­gage vis­céral, en d’autres ter­mes un lan­gage sans sous-texte : avec Howard ce qu’on lit ou entend, c’est ce que l’on a. Le lan­gage n’est pas cerce zone trop obscure qui sépare les hommes, comme dans les pièces de Harold Pin­ter. Tout doit être dit pour le moment présent, il n’y a pas de sens du passé qui avancerait en même temps que le dis­cours au présent.
C’est une sotte d’ex­pres­sion dionysi­aque qui rap­proche plus ou moins l’ac­teur du mode de per­cep­tion ani­mal, il n’y a rien à lire sous ce que l’on dit : c’est exci­tant, dan­gereux et dif­fi­cile à jouer parce qu’il ne s’ag­it pas de créer un per­son­nage de toutes pièces, mais plutôt de se met­tre dans un état de disponi­bil­ité, prêt à accueil­lir ce qui va arriv­er en face d’un pub­lic et faire avec. Il n’y a pas moyen de se servir des ficelles tra­di­tion­nelles, de fuir grâce à l’ironie. Sinon on échoue de manière cat­a­strophique… Bark­er nous force à être extrême, et c’est exci­tant. Ce qui nous ramène tou­jours à votre pre­mière ques­tion sur la place de Bark­er dans le théâtre anglais : dans le théâtre tra­di­tion­nel anglais je vous par­le en tant qu’É­cos­sais — chaque fois qu’un acteur joue fort et vice, les cri­tiques et le pub­lic lui deman­dent s’il ne pour­rait pas être plus lent et plus calme. Ils ne cherchent pas à mieux l’en­ten­dre ou le com­pren­dre, mais seule­ment à le con­train­dre à ne pas mod­i­fi­er leurs habi­tudes.

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