Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?
« Moi, je veux vivre dans un château avec des artistes et des chevaux. 1 »

Implantée depuis 1995 à Marseille, la compagnie de Manolo et Camille travaille, entre théâtre et cirque, une forme autonome spécifique : l’acteur-centaure. L’hybridation, mais aussi la technicité de ce couple homme-animal, en fait un élément poétique et singulier dans le paysage des spectacles mettant en scène des chevaux. Dans la revue Arts de la piste2, ce duo d’artistes définit sa recherche artistique comme celle d’une gestuelle hybride dont la finalité est de dépasser la prouesse technique du dressage équestre au profit d’images poétiques que l’on pourrait définir d’entre-deux. En effet, Camille et Manolo cherchent de nouvelles manières de considérer la relation homme-cheval sur scène : un homme qui parle sur un cheval en mouvement.
Dans leur répertoire théâtral, on compte notamment Les Bonnes de Jean Genet, créé en 1998, Macbeth de William Shakespeare en 2002, ou encore Otto Witte de Fabrice Melquiot en 2009. Leurs spectacles ne parlent pas de chevaux, mais ils les utilisent pour parler d’autre chose. Avant la mise à jour de leur site en 2013, on pouvait lire ceci : « On peut monter toutes les pièces, sauf celles qui parlent de chevaux. »
L’utilisation du texte comme matière au spectacle coexiste avec les mouvements du corps. Le répertoire gestuel qui est présenté est celui de l’équitation académique associée à la voltige, la haute école ou parfois le travail en liberté. C’est l’hybridation des espèces, de l’homme et de l’animal, qui leur permet de produire de nouvelles formes.
J’ai rencontré Manolo le 9 juin 2014 lors d’une performance pour la transHumance de Marseille capitale culturelle. Le soir, sous le chapiteau, il fait une représentation de l’Observatoire du bout du monde3. Manolo apparaît au grand galop derrière le public par une coursive longeant les gradins jusqu’à la piste. Les spectateurs étaient assis sur un plan incliné, parsemé de petits coussins. De prime abord, nous pouvions songer à une salle d’exposition, mais la sobriété du lieu nous faisait davantage songer à un temple bouddhiste, propice à la méditation. En fond de scène, une constellation est projetée : et Manolo sur son cheval noir, face à la projection, est devenu centaure. Le cheval noir cabre au bord de l’écran et Manolo, sur son dos, tente de toucher les étoiles immatérielles. Puis, par un jeu d’acteur, les rênes attachées à la ceinture, Manolo et son cheval s’emballent, tournoient dans l’espace, les gestes des mains de l’homme suivant les jambes de l’animal ; le rythme s’emballe, marquant des arrêts synchronisés ; l’illusion du centaure est bien là. L’espace que Manolo et Camille ont imaginé pour que naissent ces centaures fonctionne par sa taille : la piste englobe le public et nous permet d’observer des changements de hauteur au cours desquels un corps de femme se dresse sur un corps de cheval ou encore des chevaux se couchent sur des corps d’hommes. Les mouvements qu’ils ont trouvés pour les chevaux coexistent avec ceux des humains. Camille, debout sur son cheval, prend la forme d’un hybride. Lors de leurs performances urbaines, nommées Surgissements, elle arpente les rues de Marseille d’un air naturel, provoquant des hétérotopies.
À l’occasion de son 25ᵉ anniversaire, en 2017, la compagnie imagine le spectacle Quand nous étions enfants4, né d’une proposition de Fabrice Melquiot, dramaturge avec lequel elle collabore régulièrement.





