“Verräter” de Falk Richter : Théâtre militant
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“Verräter” de Falk Richter : Théâtre militant

Le 13 Août 2025

Nou­veau cycle de créa­tion pour le met­teur en scène berli­nois vedette Falk Richter, qui, depuis 2014, jette les bases d’une nou­velle esthé­tique très agitée, au ser­vice d’un con­tenu plus mil­i­tant que jamais, et par­fois en grossis­sant beau­coup le trait. Finie la danse-théâtre sur fond de cri­tique du con­sumérisme (vue dans Trust ou Rausch), voici venir un théâtre encore plus poli­tisé, évidem­ment cam­pé très à gauche, qui flirte avec l’autofiction avant d’aboutir dans une série de mono­logues engagés et sur­voltés. Dans un enrobage de musique live et dans un cli­mat de grande per­mis­siv­ité, ses acteurs trou­vent un ter­ri­toire de jeu inédit, expéri­men­tant le reg­istre de parole du man­i­fes­tant, celui qui soulève la foule par sa dia­tribe dénonçant l’injustice ou l’inégalité. Il y eut d’abord Small town boy (2014), puis Fear, gros suc­cès de la Schaubühne en 2015, et main­tenant Ver­räter.

Du per­son­nel au poli­tique

Ceux qui appa­rais­sent sur scène ne sont pas des per­son­nages. On con­naît bien le principe. Falk Richter expéri­mente d’abord une forme de métathéâ­tral­ité et d’autofiction en met­tant en scène des acteurs jouant plus ou moins leur pro­pre rôle, racon­tant des bribes de leur enfance sans qu’on ne sache déter­min­er le vrai du faux, puis évo­quant une pièce qu’ils seraient en train de con­stru­ire mais qu’on ne ver­ra heureuse­ment jamais : une comédie musi­cale racon­tant l’Holocauste à la manière La La Land.
Ce jeu de con­fu­sion entre le réel et la fic­tion n’a plus grand-chose d’original sur la scène con­tem­po­raine mais, ici, il sert à pré­par­er le spec­ta­teur au car­ac­tère très per­son­nel de ce qui va suiv­re : des pris­es de parole dans lesquelles on sent bien l’investissement de chaque acteur, le regard sin­guli­er que cha­cun pose sur les dérives du monde actuel, et le chem­ine­ment per­son­nel qui l’a mené à ces per­spec­tives. L’idée, chère à Richter, que le social et le poli­tique influ­en­cent et déter­mi­nent jusqu’aux détails de nos vies intimes, s’incarne égale­ment dans cette esthé­tique du vrai-faux. L’intimité y sert de porte d’entrée au dis­cours sociopoli­tique et per­met d’arriver à la pleine con­science de l’inscription de soi dans une toile de réseaux géopoli­tiques.
La longue pre­mière par­tie du spec­ta­cle paraît néan­moins anec­do­tique à plusieurs égards. Dans leur volon­té d’offrir un spec­ta­cle per­son­nel dans lequel ils s’engagent entière­ment, les acteurs man­quent de recul dra­maturgique et peu­vent som­br­er dans les pièges de la com­plai­sance, du nar­cis­sisme et de l’épanchement — bien loin du pro­pos social que, pour­tant, ils vont bien­tôt ten­ter d’étoffer. Ain­si, la comé­di­enne Mareike Beykirch racon­te son iden­tité morcelée par la toute pre­mière « trahi­son » qu’elle a per­pétrée envers ses orig­ines, quit­tant son patelin de la Saxe-Anhalt pour échap­per à son con­ser­vatisme. Sa con­fes­sion touche d’abord à l’universel — de nom­breux expa­triés de la rural­ité s’y recon­naîtront — mais elle s’exprime aus­si dans  un sen­ti­men­tal­isme qui en surligne les enjeux de manière arti­fi­cielle et sur­jouée. Ce n’est qu’un exem­ple par­mi d’autres.


Colère con­tre un monde en régres­sion

Ils sont Berli­nois depuis tou­jours ou récents immi­grants, gais ou les­bi­ennes, juifs ou non, tous pro­fondé­ment dérac­inés quoi qu’il en soit. Mais ils sont aus­si des soci­o­logues impro­visés qui ten­tent de ques­tion­ner leur douloureux héritage alle­mand. Ils sont des fig­ures de la mar­gin­al­ité que leurs con­fes­sions pla­cent dans une posi­tion de rup­ture nette avec une société rede­v­enue hétéro­nor­ma­tive et con­formiste depuis l’élection de Trump. Avec la fig­ure hon­nie d’Erdogan, le prési­dent améri­cain sera la prin­ci­pale cible des mono­logues de la deux­ième par­tie du spec­ta­cle, parce qu’emblématique d’un pop­ulisme anti-immi­gra­tion et anti-homo­sex­u­al­ité qui affecte aus­si l’Europe. Son vis­age tri­om­phant et sa chevelure dorée appa­raîtront régulière­ment sur l’écran de fond de scène : sup­ports visuels par ailleurs mal inté­grés à la pièce et plus déco­rat­ifs que sig­nifi­ants.
Rap­pelons que la quête d’un monde moins hétéro­nor­matif est l’une des lignes direc­tri­ces du tra­vail récent de Falk Richter, laque­lle par­courait entière­ment son précé­dent spec­ta­cle Small Town Boy. Et cette quête se fait par l’expression d’une colère bien sen­tie. Les pris­es de parole, énergiques per­for­mances d’acteur dic­tées par la folle énergie du mil­i­tant, con­stituent, mal­gré un cer­tain manque de nuances et de per­spec­tive, de grands moments de théâtre. Elles sont d’autant plus sai­sis­santes qu’en cul­ti­vant un trou­blant effet de spon­tanéité, elles parais­sent qua­si impro­visées, absol­u­ment ancrées dans l’ici-maintenant et dans l’urgence de dire. Des numéros qui s’articulent aus­si selon une puis­sante pro­gres­sion dra­ma­tique et vocale en crescen­do.
La pièce n’en devient pas pour autant prévis­i­ble, inter­rompant sa nar­ra­tion bien gauchisante par une scène très théâ­tral­isée dans laque­lle la troupe fera enten­dre le dis­cours intolérant qu’elle dénonce, sous la forme d’une rad­i­cale prise de parole mas­culin­iste. L’acteur Daniel Lom­matzsch y brille par­ti­c­ulière­ment, cette fois dans un rôle de com­po­si­tion. Choc des con­trastes.
On en ressort habité de la con­vic­tion qu’il faut lut­ter con­tre le retour de tous les rad­i­cal­ismes. Mais pas néces­saire­ment armé pour réfléchir à la com­plex­ité de ces ques­tions.
Prochaine représen­ta­tion :

Le 30 sep­tem­bre 2017 au Théâtre Max­im Gor­ki

Am Fes­tungs­graben 2, 10117, Berlin, Alle­magne

 

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