La Convivialité, valeur ajoutée

Compte rendu

La Convivialité, valeur ajoutée

Le 3 Oct 2016
Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans "La Convivialité", photo Véronique Vercheval
Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans "La Convivialité", photo Véronique Vercheval
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Quand on con­nait la gram­maire cri­tique (et icon­o­claste !) de Marc Wil­met, émi­nent lin­guiste, qui a don­né sans con­teste l’un des cours les plus intéres­sants du cur­sus en Langues et lit­téra­tures romanes de l’ULB (Uni­ver­sité Libre de Brux­elles), on ne peut rater La Con­vivi­al­ité, spec­ta­cle dont le visuel est un marteau, à l’image des règles orthographiques martelées depuis la ten­dre enfance (Viens mon chou, mon bijou, mon jou­jou, sur mes genoux, et jette des cail­loux…).

La langue française est chas­se gardée de l’Académie depuis son pre­mier dic­tio­n­naire pub­lié en 1694, dont le choix de priv­ilégi­er l’ancienne orthographe est expliqué par le fait qu’elle « dis­tingue les igno­rants d’avec les gens de let­tres et les sim­ples femmes » ( !). L’Académie française est com­posée d’amateurs, certes éclairés mais qui dévelop­pent à l’en­con­tre de l’orthographe un rap­port presque épi­der­mique. Ce sont eux (et non des lin­guistes, c’est-à-dire des experts) qui déci­dent de la norme, qui nous con­traig­nent à écrire de façon rétro­grade sous peine de nous sanc­tion­ner sociale­ment – on con­naît la valeur néga­tive d’une faute dans un CV ou une let­tre – et presque… morale­ment !

L’orthographe (et son coro­laire, la dic­tée) est le fer de lance de l’enseignement oblig­a­toire en France et dans les pays fran­coph­o­nes. La dernière réforme date de 1990. Chaque ten­ta­tive de « sim­pli­fi­ca­tion » (qui est sou­vent le fruit de rec­ti­fi­ca­tions d’erreurs d’érudits de la Renais­sance mal infor­més) s’est sol­dée par une lev­ée de boucliers de la part des enseignants, des media et de la pop­u­la­tion. La peur du change­ment et les mau­vais sou­venirs liés aux efforts con­sid­érables four­nis au moment de l’acquisition de cette pénible écri­t­ure en sont sans doute une par­tie de la rai­son. Or, la véri­ta­ble fonc­tion de la gram­maire, écartée depuis plus de deux siè­cles, devrait être l’étude de la langue. Et l’écriture, un out­il à notre ser­vice, et non l’inverse…

Cette « croisade » pour une orthographe mod­erne et con­viviale (l’orthographe pour tous !) mérite qu’on s’y attarde pen­dant une soirée au moins, voire plus. C’est ce qu’Arnaud Hoedt et Jérome Piron pro­posent en ce moment au Théâtre Nation­al (Brux­elles).

Présen­té au Fes­ti­val XS (2016) en for­mat court, le for­mat « long » per­met d’approfondir la ques­tion, et d’interroger plus large­ment les ques­tions de notre soumis­sion à (une) l’autorité et de notre résilience, terme gal­vaudé s’il en est, mais présen­té ici de façon détournée.

Com­ment se fait-il que notre esprit cri­tique soit à ce point asep­tisé pour accepter des absur­dités telles que l’accord du par­ticipe passé avec un objet qui le précède (com­ment se dis­tingue un objet ? et pourquoi seule­ment s’il le précède ?) ou des pluriels en « x », alors que rien ne jus­ti­fie ces règles, irréfragables pos­tu­lats jus­ti­fiés a pos­te­ri­ori par des démon­stra­tions for­cées frisant sou­vent l’absurdité.

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans "La Convivialité", photo Véronique Vercheval
Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans “La Con­vivi­al­ité”, pho­to Véronique Vercheval

Mais au-delà du pro­pos, c’est la forme de ce spec­ta­cle qui inter­pelle. Arnaud et Jérome se présen­tent d’emblée comme des profs et non des comé­di­ens, essayant de nous faire croire que ce nous ver­rons n’est en aucun cas du théâtre – arti­fice con­sub­stantiel au théâtre lui-même, tout comme la con­tra­dic­tion, d’ailleurs, qu’ils dévelop­pent avec brio – et, tels les socra­tiques, nous aideront à enfan­ter la vérité et à nous libér­er (ou du moins nous desser­rer) de l’étau de cette orthographe inutile­ment com­plexe qui bâil­lonne notre écri­t­ure (et notre esprit cri­tique) et prive les exclus (ceux qui écrivent mal) de pou­voir s’exprimer.

Au terme de cette céré­monie « dionysi­aque » con­viviale, menée de main de maitre par les « acteurs » (ces corps répon­dant au chœur : le pub­lic), le soulage­ment lié à cette délivrance est pal­pa­ble dans la salle.

La Con­vivi­al­ité remet en place cer­taines idées reçues et, tout comme le Raoul col­lec­tif qui jouait Rumeur et petits jours en même temps au même endroit, nous invite à « résis­ter ».

http://www.laconvivialite.com/
La Convivialité, jusqu'au 15 octobre au Théâtre National.
De et avec : Arnaud Hoedt, Jérôme Piron
Création vidéo : Kévin Matagne
Co-mise en scène : Arnaud Pirault, Clément Thirion
Aide à la mise en scène : Dominique Bréda
Assistante : Anaïs Moray
Conseiller artistique : Antoine Defoort
Régisseur générale: Michel Ransbotyn
Régisseur lumière : Guillaume Rizzo et Jacques Perera
Régisseur vidéo et son : Kevin Matagne
Développement du projet et diffusion : Habemus Papam (Cora-Line Lefèvre et Julien Sigard)
Création : Compagnie Chantal & Bernadette
Production : Chantal & Bernadette
Coproduction : Théâtre National/Bruxelles

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Théâtre
Critique
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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