Au terme d’un parcours… Le Graal de l’overdose

Théâtre
Parole d’artiste

Au terme d’un parcours… Le Graal de l’overdose

Le 29 Avr 2013
ACTE INCONNU de Valère Novarina, Cour d’honneur du festival d’Avignon, 2007. Temps de pose, 1h45. Photo Frédéric Nauziciel.

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ACTE INCONNU de Valère Novarina, Cour d’honneur du festival d’Avignon, 2007. Temps de pose, 1h45. Photo Frédéric Nauziciel.
Article publié pour le numéro
116

« J’AI LU TOUS LES LIVRES » – de cette célèbre phrase de Mal­lar­mé j’ai, pro­gres­sive­ment, approché le sens jusqu’à ce qu’il se con­ver­tisse en don­née intérieure, en vécu dont j’ai pris la mesure le jour où, las tout autant qu’inquiet, j’ai for­mulé le même con­stat : « j’ai vu tous les spec­ta­cles ». J’assistais désor­mais, me dis­ais-je désem­paré, à la décli­nai­son du con­nu que je recon­nais­sais, par-delà les apparences d’une moder­nité à même de tromper l’innocence d’un pub­lic jeune. Et cela ne pou­vait que me décevoir, me désen­gager, m’éloigner, d’autant plus que ce « con­nu » ne revê­tait pas, comme en Asie, les habits délibéré­ment anciens du théâtre tra­di­tion­nel, il se dis­sim­u­lait der­rière les sim­u­lacres d’une orig­i­nal­ité facile à dénon­cer pour le spec­ta­teur à long terme que j’avais été. Je ne par­ve­nais pas à l’admettre et ses propo­si­tions me sem­blaient gal­vaudées, désamor­cées de toute charge explo­sive. Parce que je les recon­nais­sais, je suiv­ais cette agi­ta­tion en sur­face tou­jours déçu par ce qui échap­pait aux jeunes spec­ta­teurs et me décourageait, moi. Réti­cent à l’adage du « vieux spec­ta­teur » ren­voy­ant à un âge d’or d’outre temps, je ne pou­vais pas sur­mon­ter cette « lucid­ité » qui me con­dui­sait au même con­stat : essen­tielle­ment « le nou­veau » ren­voy­ait à des moules d’autrefois. « Éter­nel recom­mence­ment » – diag­nos­tic for­mulé par le bon spec­ta­teur que j’avais été en train de devenir son con­traire.

Le théâtre, comme d’ailleurs tous les arts, depuis les débuts de la moder­nité s’est dérobé à l’immobilisme d’un mod­èle hérité d’un siè­cle à l’autre et a fait de la trans­for­ma­tion son régime de fonc­tion­nement. Mais cette trans­for­ma­tion, je le décou­vre avec sur­prise, com­porte des choix qui revi­en­nent cyclique­ment et invi­tent à leur lec­ture dans une per­spec­tive his­torique. Il y a eu les années 60 où l’on a pra­tiqué la « mise en pièces » des textes – ce fut même le titre d’un spec­ta­cle de Roger Plan­chon, LA MISE EN PIÈCES DU CID – puis la réha­bil­i­ta­tion « inté­griste » opérée par des met­teurs en scène qui récla­maient le respect de la moin­dre réplique des pièces jouées – règne des aya­tol­lahs du texte, ren­ver­sé con­testé aujourd’hui lorsqu’on procède, exer­ci­ce qui fait retour, au traite­ment du texte comme matéri­au rad­i­cale­ment « décon­stru­it»… Le goût pour l’improvisation et la « créa­tion col­lec­tive » qui s’imposa aux alen­tours de 68 a con­nu un reflux pour qu’il soit réac­tivé ces derniers temps. Le nat­u­ral­isme et l’excès de matière déguisés en « fig­ure du monde » chas­sent la scène vide pour faire un pas en arrière. La val­ori­sa­tion du théâtre doc­u­men­taire est d’actualité… D’autres exem­ples peu­vent être con­vo­qués… Le spec­ta­teur – témoin du cours agité que le théâtre a emprun­té ne peut échap­per au scep­ti­cisme que pro­curent tous ces « retours » – de l’éclatement du texte, de l’improvisation, de la scène encom­brée, du doc­u­ment ! Il rel­a­tivise les engoue­ments immé­di­ats au nom d’un passé qui s’est déjà con­fron­té à des ques­tions appar­en­tées et doute d’un prométhéisme récent qui lui sem­ble être de pacotille. Spec­ta­teur scep­tique !

Parce qu’il « a vu tous les spec­ta­cles » et repéré le faux nou­veau des muta­tions actuelles, ce spec­ta­teur – mon dou­ble ! – ce spec­ta­teur devenu « mau­vais » – va au théâtre comme étant pourvu de ren­seigne­ments liés à des options anci­ennes qui lui per­me­t­tent, estime-t-il, de ne pas se four­voy­er dans l’engouement pour des aven­tures de dernière heure. Il a le mérite et, pour moi-même, je le revendique aus­si, de ne pas vouloir enfourcher le cheval du « jeune théâtre » comme en Ital­ie où un vieux cri­tique, Giuseppe Bar­toluc­ci, était devenu son « pape » à force d’accepter toutes les propo­si­tions, de se dérober à toute exi­gence pour dress­er les louanges d’un artiste au nom de sa seule appar­te­nance à une classe d’âge. C’est l’équivalent de cette illu­sion qui con­siste à se faire tein­dre les cheveux et, par le recours au « jeu­nisme » vouloir fuir sa biogra­phie grâce à l’intimité avec les créa­teurs d’une toute autre généra­tion. Il ren­voie aux désar­rois du pro­tag­o­niste de MORT À VENISE… Chaque artiste en herbe est un Tadzio poten­tiel pour le cri­tique qui cherche à nier son passé et se maquille pour dis­simuler ses rides. Cri­tique épris non pas tant du « nou­veau » mais de la « jeunesse ». C’est à cette défaite-là que jamais je ne me suis résigné.

Le « mau­vais spec­ta­teur », par quoi se définit-il ? Un jour, lorsqu’un ami insis­tait pour que je vienne voir son spec­ta­cle, je lui ai répon­du par une let­tre où, le plus sincère­ment du monde, je m’employais à motiv­er mon for­fait par le fait que je tra­ver­sais une péri­ode d’épreuves dif­fi­ciles qui ne me rendait pas disponible au théâtre. « Je ne suis pas “ouvert” ces temps-ci et ton spec­ta­cle, j’en suis cer­tain, ne pour­ra rien faire. Je suis replié, “fer­mé” sur moi-même. Je suis un mau­vais spec­ta­teur. » Depuis, je le sais, c’est le fait de vouloir accueil­lir ou pas le théâtre qui est le critère pre­mier. Il ne s’agit pas pour autant de se dérober à toute éval­u­a­tion et d’applaudir à la moin­dre sima­grée du plateau – non, il ne s’agit pas d’avoir l’orgasme for­maté – mais seule­ment de s’ouvrir à la scène en tant que sujet chargé de son his­toire, mar­qué par ses déter­min­ismes, respectueux de ses désirs. Et, par­tant, de jouir ! La clô­ture, par con­tre, voilà le symp­tôme de frigid­ité du mau­vais spec­ta­teur. Il s’érige en citadelle à inve­stir où l’on a retiré les pont-levis. Rétif à l’échange, il parie d’emblée sur la défaite du plateau !

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Georges Banu
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Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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