Le spectateur rêvé du théâtre populaire : un objet déceptif

Théâtre
Réflexion

Le spectateur rêvé du théâtre populaire : un objet déceptif

Le 23 Avr 2013
Théâtre du peuple de Bussang. Photo D. R.

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Théâtre du peuple de Bussang. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
116

LE PROJET POLITIQUE du théâtre pop­u­laire, qui émerge en France au tour­nant des XIXe et XXe siè­cles, repose, d’une part, sur le rejet du théâtre et du pub­lic bour­geois et, d’autre part, sur l’appel à une com­mu­nauté théâ­trale com­posée de tous les seg­ments de la société. Pour les pio­nniers du théâtre pop­u­laire, seule l’instauration de cette com­mu­nauté pour­ra renou­vel­er des formes théâ­trales per­ver­ties car assu­jet­ties au mer­can­til­isme du théâtre bour­geois. Le spec­ta­teur est donc l’objet d’une atten­tion par­ti­c­ulière : non con­t­a­m­iné par les rites mor­tifères des scènes tra­di­tion­nelles, il devient celui par qui la réno­va­tion théâ­trale atten­due peut advenir. Ain­si, les pre­mières réal­i­sa­tions pra­tiques de théâtre pop­u­laire (celle de Mau­rice Pot­tech­er avec la créa­tion du Théâtre du Peu­ple à Bus­sang en 1895 ou celle de Jacques Copeau avec l’installation de la troupe des Copi­aus à Per­nand-Verge­less­es en 1925) con­sacrent la ren­con­tre d’un nou­veau réper­toire et d’un nou­veau spec­ta­teur. Plus tard, après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, lors de l’institutionnalisation du théâtre pub­lic, autour de la décen­tral­i­sa­tion théâ­trale, c’est ce même spec­ta­teur, dont la sen­si­bil­ité, vierge, reste à con­quérir et à édu­quer, qui sera le sym­bole de la réus­site des pre­mières expéri­ences de démoc­ra­ti­sa­tion cul­turelle.
Pour­tant, cette ren­con­tre entre un pro­jet artis­tique et un pub­lic pop­u­laire heurte la sen­si­bil­ité de ses ini­ti­a­teurs. À par­tir des écrits des pio­nniers du théâtre pop­u­laire, nous nous pro­posons d’explorer cette con­tra­dic­tion, pour met­tre au jour les ambiguïtés du théâtre pop­u­laire, entre un spec­ta­teur rêvé et un spec­ta­teur réel, objet de décep­tion.

Une réal­ité char­nelle rejetée

Le JOURNAL de Romain Rol­land, à la fin du XIXe siè­cle, est con­stel­lé de remar­ques hau­taines sur le com­porte­ment d’un peu­ple qu’il ne con­naît pas. Ses orig­ines bour­geois­es et provin­ciales, puis sa social­i­sa­tion parisi­enne à l’abri de l’École nor­male supérieure et au con­tact de la bour­geoisie intel­lectuelle et cos­mopo­lite, ne l’ont pas pré­paré à une fréquen­ta­tion assidue des pro­lé­taires, ouvri­ers, petits com­merçants ou paysans.
Ain­si, en août 1897, deux ans après la créa­tion du Théâtre du Peu­ple de Bus­sang, Romain Rol­land assiste à une représen­ta­tion du drame de Mau­rice Pot­tech­er, MORTEVILLE. Sa descrip­tion de la représen­ta­tion est un témoignage fon­da­men­tal pour saisir l’ambiance de ces pre­mières représen­ta­tions pop­u­laires, mais égale­ment pour com­pren­dre le posi­tion­nement de Rol­land vis-à-vis du pro­jet. Rol­land juge le pub­lic mal élevé, grossier, bru­tal, insen­si­ble, inca­pable de saisir l’intrigue. Der­rière ces con­stats, se cache une per­cep­tion dif­férente des con­ven­tions théâ­trales : le pub­lic de Bus­sang ne respecte pas les con­ven­tions aux­quelles Rol­land est par­faite­ment habitué, ce qui le gêne et le trou­ble. Il recon­naît être « blessé de la bassesse d’âme » du pub­lic qu’il a côtoyé, qui sem­ble n’apprécier que la « grossièreté » et la « bru­tal­ité ». À l’occasion de la représen­ta­tion de la pièce de Mau­rice Pot­tech­er, LIBERTÉ, le 24 décem­bre 1899, à l’université pop­u­laire de la Coopéra­tion des idées, Rol­land appré­cie la spon­tanéité des réac­tions du pub­lic, mais regrette l’absence d’un guide capa­ble de con­trôler l’expression peu policée des émo­tions et des sen­ti­ments de celui-ci. Der­rière ces con­tra­dic­tions, sem­ble se cacher la pos­ture type de l’intellectuel, qui appelle sur scène et dans la salle la présence du peu­ple sans l’envisager dans sa réal­ité sociale.

Une représen­ta­tion en miroir du peu­ple comme foule

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Marion Denizot
Marion Denizot est maître de conférences en Études théâtrales à l’université de Rennes 2. Diplômée...Plus d'info
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