LES ENFANTS DE JÉHOVAH de Fabrice Murgia Quelques réflexions sur le théâtre politique

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LES ENFANTS DE JÉHOVAH de Fabrice Murgia Quelques réflexions sur le théâtre politique

Le 14 Avr 2013
Les Enfants de Jéhovah de et mis en scène par Fabrice Murgia, Festival de Liège, 2013. Photo Bart De Moor.

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Les Enfants de Jéhovah de et mis en scène par Fabrice Murgia, Festival de Liège, 2013. Photo Bart De Moor.
Article publié pour le numéro
116

FIDÈLE À SA DEVISE « un fes­ti­val inter­roge le présent », le Fes­ti­val de Liège a pro­posé cet hiv­er un éven­tail de spec­ta­cles en prise sur notre société, un théâtre au croise­ment du « poli­tique et du poé­tique », tel que le motif s’en est fixé au fil des édi­tions.
Manière détournée de désign­er un théâtre qui prend sa source dans l’état actuel de notre monde, pour le décrire, le cri­ti­quer, le ques­tion­ner, la for­mule vise aus­si à éviter la désig­na­tion de « théâtre poli­tique », trop frontale sans doute. Le dis­cours cri­tique comme les pris­es de parole des artistes mul­ti­plient en effet les périphrases pour désign­er ce qui se déploie sur les plateaux du fes­ti­val (mais c’est aus­si le cas ailleurs) en refoulant soigneuse­ment la notion de « théâtre poli­tique ». La notion ren­ver­rait-elle trop exclu­sive­ment aux formes de théâtre d’intervention, voire de théâtre mil­i­tant, assim­ilées à une sujé­tion à des mots d’ordre poli­tique, sujé­tion perçue comme haute­ment sus­pecte en régime d’autonomie artis­tique ? L’histoire du théâtre au XXe siè­cle est en effet celle de l’émancipation de cet art par rap­port aux divers pou­voirs, religieux, poli­tique et économique, qui l’ont, par le passé, régulé ou cen­suré. La quête de l’autonomie impli­qua dès lors de valid­er la recherche esthé­tique comme seule norme. De là apparem­ment la méfi­ance quant au con­cept de « théâtre poli­tique » sus­cep­ti­ble de sac­ri­fi­er l’art au nom de la poli­tique. Une méfi­ance dont les racines sont his­toriques et ciblent égale­ment les dimen­sions didac­tiques et utopiques présentes dans l’œuvre de Brecht, par exem­ple.

Faut-il cepen­dant tant de pré­cau­tions et de scrupules pour désign­er un théâtre qui vise un au-delà de lui- même, qui cherche à mon­tr­er la société dans son fonc­tion­nement, ses con­tra­dic­tions, son mou­ve­ment résistible comme aurait dit Brecht, bien davan­tage que comme un état de fait, un fatum ? Antoine Vitez, dont on ne peut con­sid­ér­er qu’il fai­sait du théâtre mil­i­tant, n’écrivait-il pas : «…le théâtre est un champ de forces, très petit, mais où se joue tou­jours toute l’histoire de la société, et qui, mal­gré son exiguïté, sert de mod­èle à la vie des gens, spec­ta­teurs ou pas. Lab­o­ra­toire des con­duites humaines, con­ser­va­toire des gestes et des voix, lieu d’expérience pour de nou­veaux gestes, de nou­velles façons de dire – comme le rêvait Mey­er­hold – pour que change l’homme ordi­naire, qui sait ? » ? Le théâtre poli­tique sem­ble encore génér­er le malen­ten­du, au moment même où le théâtre doc­u­men­taire, par exem­ple, trou­ve droit de cité et est exploré par un nom­bre crois­sant d’artistes. Par ailleurs, on entend de plus en plus régulière­ment sur les scènes les plus légitimées des dis­cours en forme de slo­gans poli­tiques assez directe­ment emprun­tés aux mou­ve­ments et par­tis rede­venus à la mode. Serait-ce alors peut-être que le flou dans la façon de désign­er ce qui se donne à voir mas­querait un geste artis­tique égale­ment très répan­du et con­sis­tant à faire du théâtre avec la poli­tique, du poé­tique avec le poli­tique ?  Une pos­ture, qui, si elle peut don­ner lieu à des spec­ta­cles d’une qual­ité esthé­tique cer­taine et sus­cep­ti­bles de capter le pub­lic, ne relève toute­fois pas d’un théâtre poli­tique, c’est-à-dire d’une poé­tique et d’une poli­tique tout uni­ment créées.

Et c’est en ce sens que s’oriente un spec­ta­cle comme LES ENFANTS DE JÉHOVAH de Fab­rice Mur­gia, insistons‑y : il ne s’agit pas d’envisager com­ment un tra­vail artis­tique s’inscrirait dans une caté­gorie nom­mée « théâtre poli­tique » mais de con­sid­ér­er ce que l’œuvre fait ou, plus mod­este­ment vu la place sociale du théâtre aujourd’hui, serait sus­cep­ti­ble de faire au théâtre, au spec­ta­teur, au monde…

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Nancy Delhalle
Nancy Delhalle est professeure à l’Université de Liège où elle dirige le Centre d’Etudes et...Plus d'info
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