Avignon entre le local et l’international

Théâtre
Réflexion

Avignon entre le local et l’international

Le 23 Mai 2013
Dirk Roofthooft dans ROUGE DÉCANTÉ de Jeroen Brouwers, adaptation de Guy Cassiers, Dirk Roofthooft et Corien Baart, mise en scène Guy Cassiers / Toncelshuis, Festival d'Avignon 2006. Photo Christophe Raymand de Lage.
Dirk Roofthooft dans ROUGE DÉCANTÉ de Jeroen Brouwers, adaptation de Guy Cassiers, Dirk Roofthooft et Corien Baart, mise en scène Guy Cassiers / Toncelshuis, Festival d'Avignon 2006. Photo Christophe Raymand de Lage.

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Dirk Roofthooft dans ROUGE DÉCANTÉ de Jeroen Brouwers, adaptation de Guy Cassiers, Dirk Roofthooft et Corien Baart, mise en scène Guy Cassiers / Toncelshuis, Festival d'Avignon 2006. Photo Christophe Raymand de Lage.
Dirk Roofthooft dans ROUGE DÉCANTÉ de Jeroen Brouwers, adaptation de Guy Cassiers, Dirk Roofthooft et Corien Baart, mise en scène Guy Cassiers / Toncelshuis, Festival d'Avignon 2006. Photo Christophe Raymand de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 117-118 - Utopies contemporaines
117 – 118

EN 2004, il faut recon­stru­ire Avi­gnon. Car le non- fes­ti­val de 2003, même s’il fut fon­da­teur par bien des aspects, a défait une part des liens de con­fi­ance entre la ville et son Fes­ti­val. De là, sûre­ment, naît le choix délibéré de situer la poli­tique du Fes­ti­val entre le local – où les enjeux munic­i­paux, l’implantation de la direc­tion et de l’équipe, l’implication d’un pre­mier cer­cle de pub­lic, ont été pri­mor­diaux – et l’international – essen­tielle­ment l’horizon européen, comme cadre artis­tique, réflexif, et d’économie de la cul­ture. Les directeurs du Fes­ti­val, jusqu’alors, étaient claire­ment des hommes de cul­ture de dimen­sion nationale : leur échelle était celle du théâtre français, du forum d’opinions de portée nationale, de l’État cul­turel, qu’il soit bailleur de fonds ou ini­ti­a­teur de poli­tiques cul­turelles. Certes, la munic­i­pal­ité avi­gnon­naise a tou­jours été impliquée dans l’histoire du Fes­ti­val ; bien sûr, Paul Puaux avait des attach­es biographiques locales ; évidem­ment, d’Alain Crombecque à Bernard Faivre d’Arcier, une pre­mière ouver­ture sur le monde, à tra­vers les civil­i­sa­tions et les artistes invités, a joué de ses effets au cours des années 1990. Il n’en reste pas moins que Bau­driller et Archam­bault présen­tent un pro­fil atyp­ique : ce ne sont pas des per­son­nal­ités nationales mais des acteurs cul­turels à l’engagement bifrons, local et inter­na­tion­al, comme si l’Europe de la scène et de la cul­ture ne pou­vait pour eux se con­cevoir qu’à tra­vers un pro­fond enracin­e­ment avi­gnon­nais.

Ils se sont ain­si tou­jours employés à restau­r­er les liens avec les pou­voirs locaux et avec le pub­lic sur place. Marie-José Roig, maire d’Avignon depuis 1995, réélue deux fois au cours des années 2000, est dev­enue incon­tourn­able pour les directeurs du Fes­ti­val, qui ont su met­tre en place un solide modus viven­di, évi­tant les crises de con­fi­ance et finan­cières qui ont terni les rela­tions entre la mairie et la man­i­fes­ta­tion esti­vale tout au long des années 1990, notam­ment en 1996 quand la munic­i­pal­ité s’est bru­tale­ment désen­gagée d’une part du finance­ment du Fes­ti­val. « Il y a trop de théâtre à Avi­gnon »1, avait sim­ple­ment lâché l’adjoint à la cul­ture, Gérard Guerre, anti­quaire de renom, lors d’un con­seil d’administration entéri­nant l’arrêt de plusieurs pro­jets d’importance, une expo­si­tion sur l’histoire du Fes­ti­val et l’installation en Provence du Cen­tre nation­al du théâtre.

Peu à peu, la con­fi­ance mutuelle est rev­enue et la munic­i­pal­ité a pu con­stater, avec l’annulation de 2003, que le Fes­ti­val était pour elle un enjeu vital, ne serait-ce que parce qu’il attire plusieurs cen­taines de mil­liers de per­son­nes en juil­let. L’installation avi­gnon­naise de Vin­cent Bau­driller (dans une petite mai­son sur l’île de la Barthe­lasse) et d’Hortense Archam­bault (un apparte­ment du cen­tre ville), dès 2003, implan­ta­tion locale prévue dans leur pro­jet ini­tial, n’est pas qu’un sym­bole : c’est finale­ment l’ensemble de l’administration du Fes­ti­val, une trentaine de per­son­nes, qui a pris racines à Avi­gnon, trans­fert défini­tive­ment réglé au début
du sec­ond man­dat, en 2008. À l’exception du ser­vice de presse, sous la direc­tion de Rémi Fort, parisien par déf­i­ni­tion, le Fes­ti­val est désor­mais entière­ment piloté, géré, pro­gram­mé, admin­istré, pro­duit, depuis Avi­gnon. En 2006 comme en 2010, quand la ques­tion du renou­velle­ment des directeurs du Fes­ti­val s’est posée, au niveau nation­al du chef de l’État et du min­istre de la Cul­ture, il est cer­tain que le sou­tien local a pesé de tout son poids, Marie-José Roig ayant l’oreille de Jacques Chirac (qui a lancé sa cam­pagne prési­den­tielle en 2001 depuis Avi­gnon). Si Olivi­er Py a dû patien­ter près de cinq ans avant de pou­voir entrevoir une nom­i­na­tion à la tête du Fes­ti­val, alors qu’il béné­fi­ci­ait de l’actif sou­tien des min­istres de la Cul­ture suc­ces­sifs, c’est que l’influence de la maire d’Avignon était déci­sive et que le duo Bau­driller / Archam­bault prof­i­tait, à juste titre, de son investisse­ment local.

L’édition 2005, mar­quée par une querelle d’ampleur inat­ten­due, place la direc­tion du Fes­ti­val devant une autre oblig­a­tion d’urgence : son pro­jet ne pour­ra per­dur­er et pren­dre sa con­sis­tance que s’il s’appuie sur la ren­con­tre avec le pub­lic. Il s’agit de fidélis­er dif­férentes strates de publics en empathie avec le Fes­ti­val. L’été 2005 a mon­tré que l’enjeu était vital, car il est à peu près cer­tain qu’une défec­tion du pub­lic aurait entraîné la chute de la direc­tion, don­nant libre cours au cat­a­strophisme d’un dis­cours de rup­ture entre théâtre con­tem­po­rain et pub­lic pop­u­laire. Or, c’est pré­cisé­ment à cette déli­ai­son que ne se résout pas la direc­tion d’Avignon, qui a mis en place des liens de mobil­i­sa­tion de dif­férents cer­cles pos­si­bles de spec­ta­teurs. Nous sommes là au cœur du pro­jet avi­gnon­nais : organ­is­er la ren­con­tre entre pub­lic pop­u­laire et inno­va­tion artis­tique.

Le pre­mier noy­au des spec­ta­teurs est avi­gnon­nais, du moins com­tadin, soit env­i­ron deux mille per­son­nes qui for­ment le socle du Fes­ti­val, son ancrage local. L’enjeu va au-délà des ventes de places l’été durant. Il s’agit de la recon­sti­tu­tion de l’identité d’un pub­lic spé­ci­fique, le plus déter­mi­nant peut-être, lais­sé en jachère depuis les années 1970 et l’action de Paul Puaux – qui vivait lui-même à Avi­gnon – à la tête d’un Fes­ti­val qui se vivait égale­ment comme un cen­tre cul­turel, avec sa dynamique locale pro­pre.

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Antoine de Baecque
Historien du cinéma et du théâtre, Antoine de Baecque a publié AVIGNON, LE ROYAUME DU...Plus d'info
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