LA LONGÉVITÉ du Festival d’Avignon, qui soufflera cette année ses soixante-sept bougies, dans un monde qui depuis 1947 ne cesse de bouger, d’interrogations multiples en crises diverses, entre espérance d’un avenir meilleur et doute angoissant sur un futur peu maîtrisable, oblige à se questionner sur les raisons qui font aujourd’hui encore son succès. Comment a‑t-il pu résister au temps qui passe, aux évolutions et révolutions qui auraient pu en faire un objet d’étude historique, une forme dépassée ? Sans doute parce que les deux idées fondamentales sur lesquelles il a été fondé par Jean Vilar, produire un théâtre d’art et de création qui soit destiné au plus large public possible, restent aujourd’hui efficientes car incontournables.
S’inscrivant, dès leur projet de candidature, dans cet héritage, Hortense Archambault et Vincent Baudriller se sont questionnés sur le moyen de faire entendre avec force les poètes de la scène dans la diversité des formes possibles en ce début de XXIe siècle.
À un Festival, comme il en existe ailleurs, qui ressemble à un gigantesque marché du théâtre réunissant ce qui peut être considéré comme le meilleur de la production européenne, sinon mondiale, ils ont préféré imaginé un Festival qui permettrait aux artistes les plus représentatifs du théâtre contemporain et des arts de la scène, de France ou d’ailleurs, de trouver à Avignon les moyens de pouvoir travailler, les moyens de créer dans les meilleures conditions possibles les œuvres qui les habitaient. Un Festival qui prend le risque de déranger, de choquer, de perturber tout autant que de plaire, de séduire et d’enthousiasmer.
Pour signifier d’une façon éclatante ce désir de placer les artistes au cœur du Festival les deux directeurs ont proposé de demander à un ou deux artistes de venir chaque année « penser » le Festival avec eux en apportant leurs réflexions et leurs vécus. Faites de rencontres régulières, de voyages en commun, de discussions, cette collaboration a beaucoup intrigué ceux qui imaginaient le Festival comme une suite de propositions de grande qualité dans lesquelles le public était invité à faire son choix. Pourquoi lorsqu’il y a déjà deux directeurs chargés de choisir des spectacles, ajouter un troisième, parfois un quatrième, intervenant ? Quel pouvait bien être l’intérêt de cette multiplicité de responsables ? À cela Hortense Archambault et Vincent Baudriller ont toujours apporté la même réponse : avec un artiste associé nous dessinons chaque année la carte d’un territoire différent, nous écoutons ses questionnements, nous bénéficions de ses enthousiasmes, nous l’aidons à développer ses envies et ses projets. L‘artiste associé emmène les directeurs sur des terrains qu’ils ne fréquentaient pas obligatoirement, et il est lui-même amené à rencontrer des artistes qu’il ne connaissait pas. De cet échange naît chaque année un programme contenant des propositions artistiques, très souvent en lien les unes avec les autres, à l’intérieur duquel le public est invité à circuler pour mieux « entrer » dans l’œuvre des artistes invités, et plus particulièrement dans celle de ou des artistes associés, en présentant plusieurs formes artistiques pour le même artiste, que ce soit un autre spectacle, un concert, des lectures, des films, une exposition ce qui a l’avantage de pouvoir organiser en aval des rencontres et des débats beaucoup plus riches entre artistes et publics.
Les artistes peuvent aussi proposer des aventures nouvelles en fonction de leurs pratiques et de leurs centres d’intérêt. C’est Thomas Ostermeier qui, en racontant comment il organise un dimanche par mois des rencontres avec des philosophes dans son théâtre de la Schaubühne de Berlin, donne l’idée de créer le « Théâtre des Idées » où Nicolas Truong invite depuis 2004 ceux qui, dans le domaine de la pensée, se confrontent à des questionnements proches de ceux
des artistes présents au Festival. De la même façon c’est Frédéric Fisbach qui en 2007, à partir de son expérience de rencontres avec le public au Studio Théâtre de Vitry, permet d’imaginer à l’École d’Art d’Avignon un lieu qui sera depuis consacré en grande partie aux rencontres entre le public et les artistes, mais aussi à des expositions ou à la présentation de petites formes performatives.