L’acteur à l’épreuve de la démesure : expériences vécues

Théâtre
Réflexion

L’acteur à l’épreuve de la démesure : expériences vécues

Le 24 Nov 2013
Nâzim Boudjenah, au sol Thomas Matalou, derrière Bruno Sermonne, en alternance Albert Killy (le jeune garçon) dans LES VAINQUEURS, texte et mise en scène Olivier Py, CDN Orléans, 2004. Photo Alain Fonteray.
Nâzim Boudjenah, au sol Thomas Matalou, derrière Bruno Sermonne, en alternance Albert Killy (le jeune garçon) dans LES VAINQUEURS, texte et mise en scène Olivier Py, CDN Orléans, 2004. Photo Alain Fonteray.

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Nâzim Boudjenah, au sol Thomas Matalou, derrière Bruno Sermonne, en alternance Albert Killy (le jeune garçon) dans LES VAINQUEURS, texte et mise en scène Olivier Py, CDN Orléans, 2004. Photo Alain Fonteray.
Nâzim Boudjenah, au sol Thomas Matalou, derrière Bruno Sermonne, en alternance Albert Killy (le jeune garçon) dans LES VAINQUEURS, texte et mise en scène Olivier Py, CDN Orléans, 2004. Photo Alain Fonteray.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 119 - Le grand format
119

CIEL ET TERRE sont tenus cru­elle­ment séparés par les nuages bas des ténèbres qui recou­vrent le sol, inter­cep­tant la lumière du soleil.
Si nous regar­dons sans rien faire, ciel et terre ne se rejoin­dront jamais.
Pour que le ciel et la terre se rejoignent, il y faut un acte pur, décisif.
Afin d’accomplir une action aus­si résolue, il faut hasarder sa vie sans du tout songer pour soi-même à gag­n­er ou à per­dre.
Il faut se trans­former en drag­on, déchaîn­er l’ouragan et déchi­rant les nuées som­bres amon­celées s’élever dans le ciel bleu azur1 !

Deman­der à un acteur qui l’a vécue ce que lui a fait l’épreuve du grand for­mat. Le lui deman­der pais­i­ble­ment, en une con­ver­sa­tion raisonnable­ment longue. Revenir de ce moment riche de cette expéri­ence trans­mise et essay­er de trou­ver les mots pour l’ordonner. Céline Chéenne, Thier­ry Bosc et Philippe Girard ont accep­té cette con­ver­sa­tion ; qu’ils en soient ici infin­i­ment remer­ciés.

Dans l’expérience du grand for­mat au théâtre, ce sont les caté­gories de l’espace et du temps qui s’imposent. Pour l’acteur, ces caté­gories s’incarnent sous l’espèce du spec­ta­cle dans sa matéri­al­ité. Que vit un acteur con­fron­té au temps dilaté d’un spec­ta­cle de qua­tre heures, de neuf heures, de douze heures ou de vingt-qua­tre heures ? Que vit l’acteur con­fron­té à la démesure du lieu théâ­tral ? Que vit celui qui, par exem­ple, entre dans la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon et qui sait qu’il arpen­tera bien­tôt ce plateau devant un pub­lic assem­blé, qu’il devra s’accoutumer à son ouver­ture, se con­fron­ter à la hau­teur du mur gigan­tesque con­tre lequel, un jour de 1947, Jean Vilar a eu l’idée de faire son­ner des mots de poètes, ceux de Claudel notam­ment ?2 Cet acteur éprou­ve sans doute la peur que l’on appelle le trac, tou­jours présente, que le for­mat soit grand ou petit, que le spec­ta­cle se joue ici ou là. Mais le froid, la pluie ? Et la faim, le som­meil ? Et les spec­ta­teurs embar­qués eux aus­si avec sacs de couchage et bouteilles Ther­mos ? Cette aven­ture-là, celle de l’intégrale du SOULIER DE SATIN en 1987 dans la mise en scène de Vitez, les expéri­ences d’Olivier Py depuis son pre­mier spec­ta­cle de vingt-qua­tre heures, LA SERVANTE, jusqu’aux VAINQUEURS (neuf heures) en pas­sant par L’APOCALYPSE JOYEUSE (sept heures), ou encore PERTURBATION, le spec­ta­cle de Krys­t­ian Lupa qui durait cinq heures lors de sa créa­tion au Théâtre de Vidy-Lau­sanne en sep­tem­bre 2013, com­ment l’acteur les vit-il ? Quels liens crée-t-il avec les spec­ta­teurs ? Pourquoi est-ce for­cé­ment très dif­férent de ce qui se passe dans un spec­ta­cle qui n’est pas de grand for­mat ?

Dans ce voy­age au long cours, nous faisons le pari que l’acteur ne se perd pas, ne se dis­sout pas, ne s’étiole pas, mais que le grand for­mat opère sur lui comme un révéla­teur.

L’expérience du grand : la Cour d’honneur

Depuis 1947 et les pre­miers gradins de Vilar, les dif­férentes con­fig­u­ra­tions de la Cour d’honneur du Palais des papes ont été plus ou moins faciles pour l’acteur. La dis­po­si­tion de la Cour a longtemps été celle d’un orchestre en pente, avec une élé­va­tion en « tours » à une dis­tance plus grande de la scène qu’aujourd’hui. La nou­velle con­fig­u­ra­tion, depuis 2006, place le pub­lic très près du plateau et en à‑pic. Sen­sa­tion pour l’acteur d’être plaqué con­tre le mur. L’essentiel pour lui est alors moins de pass­er la rampe que de ne pas se laiss­er écras­er par les tours et de trou­ver dans le mur der­rière lui un appui pour résis­ter. L’acteur n’est plus seule­ment un passeur de texte, un texte qui doit s’entendre mal­gré le vent, pass­er au-dessus des vols des mar­tinets et par­venir aux oreilles du spec­ta­teur ; c’est un colosse qui lutte avec cette présence mas­sive du pub­lic. Et le prob­lème de la voix qu’il faut pou­voir enten­dre du dernier gradin se trou­ve relégué au sec­ond plan : la plu­part du temps, les acteurs sont désor­mais sonorisés, et les fau­teuils des spec­ta­teurs équipés eux aus­si. Il en résulte un sen­ti­ment neuf pour ceux qui ont con­nu la Cour dans dif­férentes con­fig­u­ra­tions, un sen­ti­ment de gêne, de dif­fi­culté, un corps-à-corps nou­veau et épuisant, mais où la voix, phénomène para­dox­al pour l’acteur, est d’une cer­taine manière et toute pro­por­tion gardée, aujourd’hui épargnée. Le corps est à la manœu­vre et la voix indemne : nou­velle présence de l’acteur qui pour la pre­mière fois de son his­toire sans doute, peut, dans ce cas pré­cis, vivre une forme de dis­so­ci­a­tion de son corps et de sa voix, tou­jours si intime­ment liés.

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Julia Gros de Gasquet
Julia Gros de Gasquet est maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3....Plus d'info
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