ANTOINE LAUBIN et Thomas Depryck n’ont pas voulu mettre en scène LEAR, le réécrire, le malmener. Ils en ont fait leur matériau. Que ce soit Patrick Declerck ou William Shakespeare, ce qui semble importer à ce brillant duo est l’impact qu’une œuvre provoque sur leurs sensibilités artistiques. Ils livrent avec honnêteté et passion leur regard sur une œuvre et sur leur monde. L’œuvre n’est pas un but, elle est prétexte.
Lear entre en scène. À ces mots « mon père était un con, solitaire et barbare », le spectacle dresse d’emblée sa perspective. Quel rôle jouer face au constat d’échec d’une génération dont les modèles de fonctionnement humain et social ont échoué ? Le L.E.A.R.d’Antoine Laubin et Thomas Depryck1 est une réflexion sur l’échec. Les deux premiers actes de la tragédie shakespearienne sont joués sur un rythme dense, dans une énergie de jeu remarquable. La narration est au cœur du propos. Le théâtre est ici conte tragique, épopée élisabéthaine aux nombreuses résonances contemporaines. Histoire éternelle d’un temps dont l’ordre des choses s’effondre. Chaque génération si elle veut avancer doit bousculer celle qui la précède, la questionner. La pérennité de l’ordre des choses est un frein pour l’humanité. La pérennité doit être celle du mouvement. Et ce mouvement s’exprime ici par l’engagement des comédiens, par une scénographie lumineuse de Stéphane Arcas où les comédiens juchés sur un canapé Chesterfield aux proportions démesurées semblent sans cesse en déséquilibre. Estrade mouvante et cadre de jeu dans lequel les acteurs entrent et sortent, utilisant les bords de cet hyper-canapé comme bords de ring. Scènes jouées et récits d’actions s’enchaînent comme des rounds. Les personnages se distribuent entre les six comédiens brillants. Une seule femme sur le plateau, peut-être un moyen de raconter la figure centrale de Cordelia dont le rien scellera la foudre et l’errance de son père.