Kinshasa-femme. Presque tous les poètes africains qui ont flirté avec cette ville, qu’ils soient Francis Bebey, Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba, Paul Mundanda, Antoine Wendo, Joseph Kabasele, Franco Luambo, Lomami Tchibamba… ont reconnu en elle une sorte de « mamiwata », capable du pire et du meilleur ! Monstre tentaculaire et pourtant véritable miroir aux alouettes, pour la majorité de jeunes condamnés à la misère des campagnes, Kinshasa continue à faire rêver. Étonnante ville dont le narcissisme, le culte du paraitre et un certain exhibitionnisme sont en fait des antidotes contre les assauts et les hideurs de la misère matérielle. Ville fière sans arrogance, charmeuse sans racolage, qui se livre sans se donner vraiment mais qui, lorsqu’elle se donne enfin dans l’ivresse, la musique, la violence
ou la démence, ensorcelle irrémédiablement le soupirant empressé.
C’est que cette ville-femme a tout connu tout au long de sa vie. Elle a surtout appris à se débrouiller parce que les différents soupirants, le colonisateur belge ou le politicien congolais, s’en sont servis. Sa force qui s’exprime par la passion de la vie, est donc une longue histoire inscrite dans le métissage d’une ville-carrefour, d’une ville mutante, d’une ville éprouvée.
Kinshasa est aussi une ville-fleuve. Ce fleuve Congo qui l’enlace est tellement identifié à la ville dans ses rythmes et saisons, dans sa course folle et impétueuse, avec ses entrelacs si dangereusement calmes et profonds, avec ses cataractes indomptables !
Attention aux apparences trompeuses, aux fausses dévotions, à l’indifférence plus ou moins feinte des Kinois ! Les douleurs et les passions criantes des Kinois ne sont parfois que parodies, alors que les euphories riantes n’ont d’égales que leurs colères imprévisibles et revanchardes : janvier 1959, lors des émeutes anti-belges ; juin 1969 et 1971 avec les révoltes estudiantines ; 1981 avec la fronde des parlementaires en plein régime dictatorial ; septembre 1986 avec la marche de protestation massive des femmes lumumbistes ; septembre 1991 et janvier 1993 avec les pillages ; février 1992 avec la marche réprimée des chrétiens contre la dictature ; mai 1997 avec la traque contre les « collabos » mobutistes ; août 1998 avec les mouvements de résistance populaire contre les infiltrations des rebelles à la solde du Rwanda. Tout cela est symptomatique d’une ville têtue qui n’a eu quelquefois que la logique du fleuve : le sens unique.
Oui, Kinshasa est ce fleuve du proverbe bantou : parce que, parait-il, le fleuve, avant son long voyage a refusé de suivre les conseils des sages, le voilà débrouillant un chemin tortueux, difficile et infini, à travers monts et vallées, au lieu d’adopter la ligne droite vers le but.