Le dérisoire de l’art peut faire face à l’énormité de la destruction

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Théâtre

Le dérisoire de l’art peut faire face à l’énormité de la destruction

Entretien avec Faustin Linyekula

Le 22 Juil 2014
De gauche à droite Veronique Aka Kwadeba, Papy Ebotani, Rosette Lemba, derrière Pasnas Mafutala et Pasco Losanganya dans Drums & digging, chorégraphie de Faustin Linyekula, Connexion Kin 2013. Photo Éric De Mildt.
De gauche à droite Veronique Aka Kwadeba, Papy Ebotani, Rosette Lemba, derrière Pasnas Mafutala et Pasco Losanganya dans Drums & digging, chorégraphie de Faustin Linyekula, Connexion Kin 2013. Photo Éric De Mildt.

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De gauche à droite Veronique Aka Kwadeba, Papy Ebotani, Rosette Lemba, derrière Pasnas Mafutala et Pasco Losanganya dans Drums & digging, chorégraphie de Faustin Linyekula, Connexion Kin 2013. Photo Éric De Mildt.
De gauche à droite Veronique Aka Kwadeba, Papy Ebotani, Rosette Lemba, derrière Pasnas Mafutala et Pasco Losanganya dans Drums & digging, chorégraphie de Faustin Linyekula, Connexion Kin 2013. Photo Éric De Mildt.
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121 – 122-123

Bernard Debroux : Vous bougez beau­coup ! Nor­mal pour un danseur… Par­ti de Kin­san­gani, vous êtes allé au Kenya puis vous êtes passé par la France. Votre tra­vail aus­si, mêle plusieurs dis­ci­plines : théâtre, danse, lan­gage, musique… Quels ont été vos pre­miers con­tacts avec la Bel­gique ? La pre­mière fois que vous y venez, c’est au Fes­ti­val de Liège, en 2005, avec Le Fes­ti­val des men­songes

Faustin Linyeku­la : Oui, pour une pre­mière étape de tra­vail du spec­ta­cle. Claire Ver­let, qui était à l’époque direc­trice de pro­gram­ma­tion au Cen­tre Nation­al de la Danse, a été par­mi les pre­mières per­son­nes à soutenir mon tra­vail en France. Elle a par­lé de moi à Jean-Louis Col­inet. On s’est ren­con­trés et il nous a pro­gram­mé au Fes­ti­val de Liège. Paul Ker­stens est venu me voir après le spec­ta­cle pour me pro­pos­er de ren­con­tr­er le directeur artis­tique du KVS, Jan Goossens. Je suis venu à Brux­elles et ils m’ont par­lé de leur pro­jet, Green Light1, qui rassem­blait des artistes belges d’origine africaine. Ils se posaient vrai­ment des ques­tions de fond sur la meilleure manière de nouer des liens avec le Con­go. C’est ain­si qu’a com­mencé ce com­pagnon­nage qui dure depuis bien­tôt dix ans.

Le KVS est le seul endroit en Europe où je peux appel­er en dis­ant : « dans deux semaines, serait-il pos­si­ble d’avoir un stu­dio pour tra­vailler?»; il y a de fortes chances qu’on me réponde oui et qu’il y ait un tech­ni­cien pour m’accompagner, même si ce n’est pas une pro­duc­tion prévue pour leur théâtre. Un dia­logue s’est noué avec Jan Goossens et son équipe, au-delà de mes pro­jets de spec­ta­cles : nous menons des échanges sur la place du théâtre et de la créa­tion dans une ville, à par­tir des ques­tions que se pose le KVS à Brux­elles et celles que je me pose dans un con­texte très dif­férent, à Kin­san­gani. Leur réflex­ion nour­rit la mienne, et vice-ver­sa.

B. D.: Quelle for­ma­tion avez-vous suiv­ie ?

F. L. : Ma for­ma­tion au départ est lit­téraire. J’ai com­mencé à écrire quand j’avais qua­torze, quinze ans, et comme beau­coup d’adolescents, j’ai écrit des poèmes. J’ai eu la chance, ou la malchance, de com­mencer à écrire en réac­tion à la Négri­tude. Je le dois prob­a­ble­ment à mon pro­fesseur de français de l’époque, pour qui l’aboutissement de toute démarche lit­téraire pour un noir était la négri­tude. Une phrase de l’écrivain Wole Soyin­ka2 m’a libéré : « Le tigre ne proclame pas sa tigri­tude, il saute sur sa proie et la dévore. » J’ai com­mencé à écrire ado­les­cent avec la con­science que je venais après les Sen­g­hor, les Césaire et que je devais, non pas me mesur­er à eux mais me con­sid­ér­er comme leur descen­dant. C’est une chance de com­mencer sa vie artis­tique avec la con­science d’arriver dans une His­toire impor­tante et de se posi­tion­ner par rap­port à elle.

B. D. : Ce qui m’a frap­pé lors de ma vis­ite à Kin­shasa, c’est que plusieurs artistes qui étaient par­tis tra­vailler en Europe, aux États-Unis ou ailleurs en Afrique sont revenus là où se trou­vent leurs racines alors qu’ils auraient pu faire car­rière ailleurs. Pourquoi avez-vous décidé de revenir, d’abord à Kin­shasa, puis à Kisan­gani et d’y créer une struc­ture de créa­tion ?

F. L. : Au-delà des ques­tions de forme, ce qui m’intéresse, c’est d’abord de racon­ter des his­toires, ou du moins d’essayer de les racon­ter. Les his­toires qui me met­tent en mou­ve­ment pour la créa­tion ne sont pas des his­toires d’exils, même si je suis très sen­si­ble à la ques­tion de l’exil. Pour être en accord avec moi-même, après un long séjour en France, je devais ren­tr­er au Con­go. Je ne pou­vais pas, au départ, aller directe­ment à Kisan­gani : durant la guerre la région était con­trôlée par les rebelles. En 2001, je suis donc allé à Kin­shasa où je n’avais jamais mis les pieds et où j’avais des amis qui pou­vaient m’accueillir.

Là, per­son­ne ne dévelop­pait le genre de tra­vail qui m’intéressait. J’ai alors eu le choix soit de ne créer que des soli, soit de met­tre en place un stu­dio où je pour­rais trans­met­tre des con­nais­sances, for­mer et tra­vailler avec un groupe. C’est cette direc­tion que j’ai choisie. Je tra­vaille aus­si pour ne pas être seul, pour ren­con­tr­er d’autres per­son­nes et essay­er de faire un bout de chemin avec elles : rêver, réfléchir, douter avec d’autres. Je n’arrive pas à avoir le même niveau de dia­logue avec les gens quand nous sommes en créa­tion que quand on est juste en train de boire des bières. On passe tant de temps ensem­ble en créa­tion qu’à un moment, il y a quelque chose de beau­coup plus pro­fond qui com­mence à se révéler, peut-être même mal­gré nous.

B. D. : Les Stu­dios Kabako, créés d’abord à Kin­shasa, étaient-ils conçus au départ comme une struc­ture de for­ma­tion ou de pro­duc­tion ?

F. L. : J’ai tout de suite lié les deux. Le pre­mier texte, qui se trou­ve tou­jours sur la pre­mière page du site (www.kabako.org), dit bien que les Stu­dios Kabako, ce n’est pas une com­pag­nie mais un lieu. Un lieu où on apprend, où on échange, où on doute, mais où cer­tains soirs il s’impose comme une cer­ti­tude. Un lieu où on peut oser, où on peut imag­in­er que le dérisoire de l’art peut faire face à l’énormité de la destruc­tion.

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Faustin Linyekula
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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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