Bernard Debroux : Comment êtes-vous venu au théâtre, quelle formation avez-vous suivie ?
Toto Kisaku : Je suis né à Kinshasa, un samedi midi, dans une voiture. Ma mère avait seize ans et mon père vingt- trois. Mon père venait plutôt de la classe moyenne tandis que ma mère était d’une famille très modeste. La famille de mon père n’a pas supporté cette différence sociale. Ma mère, deux semaines après ma naissance, a été mise à la porte. Ma grand-mère s’est occupé de moi parce que ma mère était encore très jeune. À l’âge de cinq ans, une voisine de ma grand-mère, qui trouvait que j’étais un enfant gâté, a voulu m’empoisonner : j’ai dû suivre un traitement durant deux ans dans un village du Bas- Congo. Une année de soin et une année de convalescence. Quand je suis revenu à Kinshasa, j’avais presque sept ans et demi. Toute la période de la maternelle était passée et j’ai commencé l’école primaire avec deux ans de retard. Le poison avait aussi provoqué un retard de croissance ; j’étais un tout petit dans une classe de petits, mais je n’avais pas le même âge que les autres. J’étais un vieux dans un petit corps.
On étudiait dans des conditions difficiles, à même le sol. Quand j’ai eu neuf ans, ma mère a rencontré un homme et je suis allé vivre avec elle. Mon beau-père me détestait, il ne m’avait pas accepté. Quand elle a eu les moyens, ma mère m’a inscrit dans une école privée. Elle louait notre habitation dans des annexes de villas, à Binza, un quartier de gens aisés, pour que je sois en contact avec les enfants des riches qui parlaient français. Elle considérait le français comme une porte vers l’émancipation.
Enfant, je ne me rendais pas compte de mon état de pauvre. Je côtoyais les enfants de riches, et on allait draguer les mêmes filles. On me rappelait régulièrement que je n’étais pas de ce milieu, je me sentais de plus en plus rejeté.
Quand j’ai eu mon Bac, ma mère n’était plus en mesure de payer mes études. J’ai dû me débrouiller seul (on vit dans le pays de la débrouillardise). Contraint de travailler, j’ai trouvé des petits boulots à gauche et à droite…
Un ami dont le père était très riche voulait me payer des études de droit à Lubumbashi. J’ai refusé, parce que c’était déjà l’art qui m’intéressait… Comme mon père est musicien, j’ai décidé de faire de la musique et de m’inscrire à l’Institut National des Arts (INA). Le hasard a voulu que je participe aux tests d’entrée de la section théâtre. Mon test d’improvisation a séduit le jury que j’ai fait beaucoup rire en inventant une liste absurde de médicaments à prescrire à une personne souffrant de la malaria.
C’est ainsi que j’ai démarré ma formation théâtrale à l’INA. Dès le début de mes études j’ai participé à un spectacle sur les victimes de Makobola (plus de cinq mille morts à l’époque, à l’Est, en 1998 – 1999) présenté aux facultés catholiques. Je jouais l’une des victimes et ma prestation a fort impressionné le public. Je n’avais jamais été dans une salle de théâtre, et ce soir-là j’ai signé des autographes ! J’ai été payé vingt dollars américains, que j’ai utilisés comme premier acompte pour mes études.
B. D. : Combien coûte la formation à l’INA ?