Musique urbaine à Kin

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Réflexion

Musique urbaine à Kin

Le 15 Juil 2014
Lyke Mike en concert. Photo Michael Motong.
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Lyke Mike en concert. Photo Michael Motong.
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Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Il n’est pas encore six heures du matin dans le quarti­er « agri­cole » de la com­mune de Yolo à Kin­shasa. Dans ce vaste ter­ri­toire con­sacré aux cul­tures de légumes au cœur de la zone urbaine les mamans s’activent à la cueil­lette des matem­bele (feuilles de patates douces) avant de se diriger vers le marché. Mais elle ne sont pas les seules occu­pantes du lieu à cette heure mati­nale : une dizaine de jeunes se sont dis­séminés entre les plates ban­des et chantent ou exer­cent leur flow. C’est un endroit idéal, calme et prop­ice aux répéti­tions vocales. Chanteurs chré­tiens ou de rum­ba, mais aus­si rappeurs, tous souhait­ent échap­per à la mis­ère quo­ti­di­enne grâce à leur tal­ent. Et à Yolo, on est très sou­vent chanteur ou rappeur quand on est jeune. La musique envahit tout, les ter­rass­es bien sûr, mais surtout les églis­es créant dans la journée une véri­ta­ble cacoph­o­nie. Si l’omniprésence des églis­es à Kin­shasa sus­cite des voca­tions pour la musique religieuse, c’est là aus­si que se for­gent des voix, un goût pour la musique et le chant qui ensuite entrain­era des jeunes à se lancer vers, l’espèrent-ils, une car­rière musi­cale… Et le suc­cès, la gloire et l’argent… Lorsqu’on inter­roge les artistes kinois sur l’âge auquel ils ont com­mencé à le devenir, ils sont nom­breux à répon­dre que c’est à l’âge de cinq ans au sein de leur église qu’a com­mencé leur par­cours. Remar­qués dès leur plus jeune âge, ils intè­grent des chorales, devi­en­nent solistes et croient à leur tal­ent, leur don, déci­dent donc de ten­ter leur chance.

La rum­ba et le dom­bo­lo étant sou­vent assim­ilés à la musique de papa, un cer­tain nom­bre d’entre eux sont ten­tés par les musiques dites urbaines. Beau­coup ont été d’abord impres­sion­nés par les per­for­mances de Michael Jack­son, tou­jours très présent dans les esprits, mais aus­si par les grands du rap améri­cain, voire français, qu’ils décou­vrent à la télévi­sion ou à la radio. Les plus tal­entueux s’essaient au RnB mais la plu­part se tour­nent vers le rap, sont séduits par les tenues ves­ti­men­taires mais aus­si par les indices de réus­site des grandes stars du rap dans le monde, par les clips qu’ils ont l’occasion de voir (gross­es chaînes en or, tas de dol­lars, voitures pres­tigieuses et pléthore de jeunes femmes aux formes et vis­ages avan­tageux). D’autres ont pour mod­èle Tupac et son dis­cours engagé qu’ils envis­agent comme un con­tin­u­a­teur de Mar­tin Luther King. Se dessi­nent des mod­èles aux­quels on veut ressem­bler. Le rap, le RnB, mais aus­si la break­dance devi­en­nent une piste pour appartenir à une com­mu­nauté noire qui n’aurait pas de fron­tière et qui, n’en ayant pas, per­me­t­trait à ceux qui réus­sis­sent de quit­ter le pays et d’accéder au rêve d’une vie sans prob­lèmes financiers, une vie de dig­nité. Les musiques urbaines, les dans­es urbaines, s’expriment donc d’une part dans une volon­té de rompre avec les dif­fi­cultés sociales du pays mais aus­si avec la généra­tion d’avant, celle de la rum­ba et du dom­bo­lo, qui est réputée avoir fail­li. Ain­si se dévelop­pent à Kin­shasa deux ten­dances : ceux qui voient dans les musiques urbaines un moyen de s’approprier des moyens de vivre et qui copi­ent plus ou moins ces stars inter­na­tionales achetées par le pou­voir, qu’il soit poli­tique ou économique, et ceux qui voient dans les musiques urbaines un moyen de porter un mes­sage et d’être les inter­prètes d’une pop­u­la­tion aux abois, ceux qui œuvrent dans une entre­prise d’identification au suc­cès con­nu par de grands mod­èles inter­na­tionaux et ceux qui mènent un com­bat social.

L’aventure a com­mencé dans les années nonante avec des groupes comme Fati­ma CIA qui mêlaient et mêlent encore rap et dom­bo­lo, mais cela déjà dans une volon­té de rup­ture ou tout au moins de réno­va­tion. Mais très vite, c’est le beat qui s’impose et naît toute une généra­tion de beat­mak­ers. Un des pre­miers groupes très inno­vant dans ce domaine est Bawu­ta Kin, et dès leurs pre­miers titres s’exprime cette volon­té de chang­er le pays. Bawu­ta Kin, c’est du rap typ­ique­ment con­go­lais, ne serait ce que par l’utilisation du lin­gala. Keep qui­et, le groupe qui a révélé Mar­shall Dixon, se lance dans un réper­toire mêlant rap et chant, promeut une musique ent­hou­si­as­mante qui porte des mes­sages soci­aux forts et con­sid­érés comme essen­tiels par ses fans. NMB la pan­thère rad­i­calise sa musique en choi­sis­sant entre autres choses de n’utiliser pour s’exprimer que le kikon­go. Un des grands ini­ti­a­teurs en terme de musique urbaine est Beb­son de la Rue qui reste un des grands de la musique con­go­laise. Beb­son est un bricoleur de génie qui touche à tout, cus­tomi­sa­tion de voiture, fab­ri­ca­tion de bijoux et de vête­ments urbains, inven­tion de machines sonores faites à par­tir de matériel de récupéra­tion, tout est matière à réflex­ion et à créa­tion pour ce con­struc­teur de sons, musi­cien et chanteur à la voix inim­itable. Beb­son aura été de par son inven­tiv­ité per­ma­nente un de ceux qui imposera une révo­lu­tion dans l’esprit de toute une généra­tion d’artistes, qu’ils soient plas­ti­ciens ou musi­ciens, styl­istes ou per­form­ers. Il aime dire qu’il fab­rique de la musique élec­tron­ique, ce domaine le pas­sion­nant. Peu de ceux qui auront abor­dé la musique urbaine peu­vent dire qu’ils n’auront pas été influ­encés par son tal­ent et son inépuis­able créa­tiv­ité.

Un musi­cien dans un quarti­er c’est comme un nou­veau chef cou­tu­mi­er suivi par toute une généra­tion et on peut par­ler de cette façon de Beb­son de la Rue dans son quarti­er de la com­mune de Kin­shasa ou de Jupiter Bokond­ji dans sa com­mune de Lem­ba. Inévitable­ment, cela crée des voca­tions et les anciens acolytes de Beb­son ont aus­si créé leurs pro­pres réper­toires, très inspirés de celui de leur maître. Il en va ain­si de Love qui utilise des instru­ments pour la plu­part fab­riqués par lui ou par les mem­bres de son groupe. « Le grand prêtre de la musique Hip Hop », comme l’ont surnom­mé les fans de Beb­son n’hésite pas à mêler les sons de la rum­ba à ceux de la musique tra­di­tion­nelle de sa région d’origine, le pays Mon­go. Il les mâtine de sons élec­tro, de tonal­ité jazz, intro­duit des thèmes raga­muffins, rappe, et crée une musique orig­i­nale à l’image de son quarti­er. Il est de ceux qui encour­a­gent les autres, et tous les petits du quarti­er se sont vus recom­man­der de n’avoir peur de rien, ni des rythmes zou­glou, ni du jazz.

Les rythmes orig­in­aux du Con­go… C’est sur cette base que beau­coup tra­vail­lent pour dépass­er cette rum­ba venue d’ailleurs mais qui s’est si bien faite au pays qu’on la dit con­go­laise et qu’on la croit totale­ment inven­tée ici au point que les détracteurs de la musique urbaine, ceux-là qui n’écoutent que rum­ba et dom­bo­lo, dénon­cent vio­lem­ment une « Musique venue d’ailleurs, totale­ment étrangère et en rup­ture avec la musique con­go­laise ». Jupiter Bokond­ji et son groupe Okwess Inter­na­tion­al puise dans les musiques orig­i­nales du Con­go, celles des vil­lages, l’essentiel de son inspi­ra­tion. Mais lui aus­si, qui a vécu longtemps en Europe, crée sur cette base une musique totale­ment nou­velle et orig­i­nale servie par une voix de basse pro­fonde qui sur­prend dans un pays plus habitué aux voix de tête. Beau­coup de beat­mak­ers se ser­vent égale­ment de rythmes tra­di­tion­nels pour fab­ri­quer leurs beats et une oreille atten­tive décou­vre ici un thème kas­saïen et là un autre venant de la province de l’oriental. Un musi­cien rag­ga comme Oliv­er­man est passé par le Bas Con­go pour ali­menter sa musique de thèmes provenant de cette province mais ce chanteur d’exception joue sa par­ti­tion dans un mélange de styles et de beats fab­riqués par son éter­nel com­plice Stig Fin­gers dans une forme qui n’est qu’à lui et que con­nais­sent bien les jeunes de son quarti­er de Ban­dal où il est con­sid­éré comme une star.

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Alain Mutombo Canonne
Alain Mutombo Canonne est actuellement co-directeur d’un label de musique urbaine Elokomakasi Productions qu'il a...Plus d'info
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