TERRE D’ACCUEIL de plusieurs vagues d’immigration, cœur de la révolution industrielle, bras des premiers grands mouvements sociaux de l’histoire belge, le Borinage est un territoire de rêves et de désillusions.
Après avoir fait la richesse de la Belgique pendant deux siècles, la région peut sembler pour certains abandonnée, laissée à sa diversité et parsemée de hameaux-fantômes.
C’est là que Lorent Wanson et toute son équipe du Théâtre Épique ont posé leurs valises.
Dans le cadre de Mons 2015, le metteur en scène se lance dans une immersion sur trois années où l’élan, à nouveau, est de donner la parole aux invisibles (à l’instar de CQFD, LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE…). Mais cette fois, L’AUBE BORAINE n’est pas un spectacle. Elle n’est pas une longue récolte de matières pour écrire. Elle n’est définitivement pas un seul projet. Elle est un véritable thermomètre d’une région.
Ateliers, rencontres, mises en contact, actions poético-civiques et créations mélangent les artistes et la population sans attendre un théâtre, une boîte noire ou même souvent, des répétitions.
Tout commence par une marche au printemps 2013 où une quinzaine de comédiens partent sac à dos sur l’épaule à la rencontre des paysages hainuyers. Pendant trois jours et avec soixante euros en poche, ils rencontrent les habitants, ils mangent à leurs tables ou partagent avec eux une bière dans un café, ils dorment dans leurs maisons ou à même un terril. Ils notent les anecdotes, les accents, les colères aussi et donnent un rendez-vous : Charbonnage de Marcasse, apéro-rencontre pour prendre le temps et la parole. « Nous avons surtout rencontré une soif de parole énorme, débordant des années de frustration et de silence » raconte Lorent Wanson.
Lors de ces chaudes fins d’après-midi sur cet ancien site minier, le public d’habitués de Théâtre Épique, les Borains et les acteurs se retrouvent pour une veillée joyeuse. D’abord voulue comme une restitution de ce premier voyage, elle devient très vite un cercle improvisé où chacun lit des poèmes, chantent des chansons paillardes, racontent des souvenirs, partagent des lettres, dansent.
Pour un spectateur extérieur à l’aventure de ces marches, la puissance et l’émotion de cette prise de parole par les habitants mêlée aux regards de ces comédiens sont frappantes. Et déjà le projet pose toutes les questions d’équilibre entre l’exigence artistique et les témoignages réels, l’envie de liesse populaire et une dramaturgie complexe, kaléidoscopique jusqu’au public à qui l’on s’adresse (parler du Borinage avec lui, à lui, aux autres, à soi ?). C’est dans ces premiers pas que l’on prend la mesure de l’entreprise, nécessairement utopique, qu’est UNE AUBE BORAINE.
Théâtre Épique tisse depuis des liens directs et réguliers avec les citoyens, sans les oublier ou se faire oublier. Il faut être là sur le terrain, comme avec ces matchs de foot entre des acteurs et le RSC Wasmes (3 – 7), ce Cra-raoké géant (sorte de karaoké borain inventé où l’on se confie en musique) ou les nombreux apéro-amuses- gueules-barbecues-rencontres.
En toute petite équipe et suivie par un cercle de comédiens d’une fois à l’autre complices, la compagnie fait ce à quoi la définition d’un centre culturel renvoie. Elle crée, elle partage, elle va chercher, elle met en relation.
La Maison du Peuple de Pâturages, où s’est Le plus naturellement du monde installé Théâtre Épique, est devenue le lieu d’un délicat mélange entre la fête de quartier, les veillées où l’on témoigne, une résidence d’artistes et une boîte de production.
Car en effet, en marge et inspirés de ces nombreux rendez-vous populaires, Lorent Wanson a déjà mis en scène deux créations ; PENSER AVEC LES MAINS (décembre 2013) et C’EST PRESQU’AU BOUT DU MONDE (juin 2014). L’un, théâtre d’action participatif sur l’artisanat, l’autre, une fable poétique et musicale sur nos rêves et nos exils.

Et là où il n’est pas à la manœuvre, il accompagne en servant de rampe de lancement à huit petites formes pour huit comédiens. Avec les MONOGRAVIES, chaque acteur fait un portrait:celui de quidams ou de phénomènes, de folklores et de thématiques qui interrogent la région. Après la première impulsion, certains artistes développent même ces tableaux vivants hors du territoire indépendamment et au nom de Théâtre Épique, à l’instar de Denis Laujol et de son coureur cycliste quaregnonnais qui fera l’objet d’une création la saison prochaine.
Toutes ces initiatives construisent un réseau d’actions poétiques qui tendent à ce que Lorent appelle « un essai d’art contemborain » où, dans un moment suspendu (UNE GRANDE AUBE…), l’artiste rendrait au Borinage ce qu’il lui a donné avec un spectacle-témoignage. C’est foisonnant, c’est tentaculaire ! Il faut retenir de cette AUBE BORAINE qu’elle ne s’épuise pas et qu’elle s’acharne, qu’elle n’est pas un projet mais un lieu, réel et imaginaire, où on refait la lumière et réinscrit la population comme partie prenante de l’histoire en marche.