Des formes nouvelles, sinon rien !

Des formes nouvelles, sinon rien !

Le 4 Jan 2015
Yves Vasseur et Didier Fusillier. Photo Véronique Vercheval.
Yves Vasseur et Didier Fusillier. Photo Véronique Vercheval.

A

rticle réservé aux abonné·es
Yves Vasseur et Didier Fusillier. Photo Véronique Vercheval.
Yves Vasseur et Didier Fusillier. Photo Véronique Vercheval.
Article publié pour le numéro
124 – 125
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

« AUJOURD’HUI, après l’hôpi­tal et tous les autres bâti­ments publics, avec la nais­sance de ce théâtre, s’achève enfin, et grâce à l’aide améri­caine, le temps de la recon­struc­tion… ». Par cette déc­la­ra­tion du maire en 1983, s’ouvraient les belles années de con­quête. Ces années 82 – 83 coïn­ci­dent aus­si avec la créa­tion à Béthune du Cen­tre Dra­ma­tique Nation­al du Nord- Pas-de-Calais, dirigé par Jean-Louis Mar­tin-Bar­baz qui prend l’ini­tia­tive d’en­gager un dia­logue avec des villes de La région qui ne dis­posent pas encore d’une pro­gram­ma­tion théâ­trale de ser­vice pub­lic : Dunkerque, Maubeuge, Laon…, créant ain­si autour de Béthune une con­stel­la­tion. Jean-Louis Mar­tin-Bar­baz, qui dévelop­pa ain­si une des mis­sions du Théâtre Pop­u­laire des Flan­dres de Cyril Robichez. C’é­tait le début des années Lang.

La pour­suite sans faille de cette aven­ture s’est faite avec le sou­tien indé­fectible des maires de la ville Jean-Claude Decagny, Alain Car­pen­tier, Rémi Pau­vros et aujourd’hui Arnaud Decagny, ain­si qu’avec le bougmestre de Mons, Elio Di Rupo.

Recon­struc­tion

Avec le label estampil­lé de la DRAC, on pas­sait ensuite à la Région, et on repar­tait avec l’équivalent de 150 000 euros en ayant moins de 30 ans…

Nous avons donc lancé deux fes­ti­vals et avons imag­iné les « Théâ­trales » des trois provinces : la Picardie et les deux Hain­aut, belge et français. Nous avons dès le début tra­vail­lé avec des auteurs qui à la fois témoignaient de la mémoire ouvrière et pop­u­laire, et inven­taient des formes nou­velles d’écri­t­ure, comme Jean Lou­vet par exem­ple. Et puis nous avons asso­cié des met­teurs en scène comme Robert Cordier qui nous fai­sait décou­vrir Shake­speare. Toutes ces formes nou­velles, où par­fois, et même sou­vent, s’imposait la nudité des corps, firent aus­si grin­cer les dents. Nous étions habités par cette phrase du jeune Tre­plev dans LA MOUETTE de Tchekhov : « Des formes nou­velles, sinon rien ! » et des aven­tures du Fes­ti­val de Nan­cy et du Mick­ery à Ams­ter­dam.

Par effrac­tion

Il y avait alors sur place des artistes qui nous ont aidés à affirmer le choix de cette moder­nité : Gérard Hourbette, le fon­da­teur du groupe Art zoyd, qui en était l’emblème absolu, le sculp­teur Gré­go­ry Anatchkov, Richard Castel­li aujourd’hui directeur de l’a­gence artis­tique Epi­dem­ic.. Et vint Philippe Thiry, le directeur de l’ON­DA, l’Of­fice Nation­al de la Dif­fu­sion Artis­tique, qui fut aus­si l’un de nos bien­fai­teurs. Il nous don­nait ren­dez-vous à l’é­tranger, en Ital­ie, à Lis­bonne, et pre­nait en charge notre séjour sur place. On y retrou­vait des fig­ures pio­nnières comme François Le Pil­louër, Jean Blaise, Jean Marie Songy, Michel Ori­er, etc.

C’est ain­si que, sur les traces du Fes­ti­val d’Au­tomne de Paris, nous avons pu pro­gram­mer à Maubeuge une bonne par­tie de ce qui dans ces années-là con­sti­tu­ait la fine fleur des avant-gardes inter­na­tionales. Les Fla­mands aus­si ont débar­qué : Anne-Tere­sa de Keers­maek­er,
Wim Van­dekey­bus.. qui, une nuit, sans rien deman­der à per­son­ne, presque par effrac­tion, repeignit en noir les planch­es de notre grand plateau de chêne neuf. Mais cela fai­sait par­tie des provo­ca­tions néces­saires, un peu comme le fait de dormir dans le théâtre pen­dant les péri­odes
de créa­tion et de mon­tage. Ce sont là les symp­tômes de cette dynamique « lang­i­en­ne » qui nous offrait beau­coup de lib­erté. On était encore dans la pul­sion de la chair et du sang.

Nous tra­vail­lions beau­coup avec les Comités d’Entreprise:tout d’abord avec Jeu­mont Schnei­der. Nous étions encour­agés à ces parte­nar­i­ats par le Min­istère de la Cul­ture dont le bud­get venait d’être dou­blé. Une fer­veur pop­u­laire s’est alors embal­lée autour du Manège.

Pen­dant ce temps-là, de l’autre côté de la fron­tière, le Théâtre Roy­al de Mons con­tin­u­ait à ron­ron­ner avec ses comédies de boule­vard et ses opérettes. Seuls quelques francs-tireurs ten­taient d’im­pos­er autre chose : Michel Tan­ner avec son Cen­tre Dra­ma­tique Hain­uy­er, Bernard Debroux à la Mai­son de la Cul­ture de Tour­nai et de Namur, Jean-Louis Col­inet à Liège, Frie Ley­sen et Jo Dek­mine.

L’ac­cueil de toute une ville

Nous avons donc nous aus­si lancé les Théâ­trales en mars, que nous avons dou­blées et pro­longées l’été, au moment de la ker­messe de la bière par un autre fes­ti­val, Les Inat­ten­dus. Encore une fois la Région Nord- Pas-de-Calais et le Min­istère nous ont beau­coup soutenus en les per­son­nes Jacques Imbert, d’‘Ivan Renard puis Cather­ine Génis­son, d’Alain van der Mal­ière, Alain Brunsvick et Yves Deschamps invi­tant les artistes à venir tra­vailler et créer à Maubeuge à leur rythme. C’é­tait beau­coup plus sain. Éric Lacas­cade et Guy Alloucherie ont inau­guré ce dis­posi­tif, par­mi les nom­breux artistes nomades qui ont posé leurs valis­es à Maubeuge. Plus tard nous avons pour­suivi l’am­bi­tion encore en invi­tant Peter Stein ou Robert Lep­age, puis Bob Wil­son qui est venu trois fois et qui se sou­vient encore de l’accueil au château — il en a par­lé récem­ment dans un entre­tien pub­lié dans un quo­ti­di­en new-yorkais — grâce à l’hos­pi­tal­ité de Pier­rette Mar­i­ani, sa très cul­tivée et très généreuse pro­prié­taire.

L’ac­cueil des artistes et du pub­lic extérieur n’était pas assuré par le seul théâtre, mais par toute une ville. Les ser­vices tech­niques munic­i­paux se dépen­saient sans compter pour con­stru­ire des scènes et des gradins dans des usines, et quand on se met à la dis­po­si­tion de Matthias Lang­hoff pour accueil­lir son MACBETH, il n’est pas ques­tion de ménag­er son effort. Lors d’une panne d’élec­tric­ité qui nous a privés de chauffage en plein hiv­er, nous sommes allés chercher des cou­ver­tures chez les pom­piers, une pour deux, et nous avons impro­visé une soupe pour réchauf­fer les spec­ta­teurs à cha­cun des deux entractes. Ce sont des aven­tures inou­bli­ables et qui mar­quent pro­fondé­ment la mémoire sen­si­ble des spec­ta­teurs.

Pour la Fura dels Baus, la com­pag­nie cata­lane dont c’é­tait la pre­mière vis­ite en France, il a fal­lu trou­ver des litres et des litres de vrai sang de bœuf — on n’utilisait pas d’hé­mo­glo­bine arti­fi­cielle à l’époque — et Les spec­ta­teurs se sou­vi­en­nent encore de la force sauvage que ces litres de vrai sang ajoutaient à la représen­ta­tion. Ce n’est qu’en 1991, grâce à Bernard Faivre d’Arcier, que le Manège a pu rejoin­dre avec les Maisons de la Cul­ture, les CAC et les CDC le réseau enfin rassem­blé des 70 Scènes Nationales et jouer enfin, insti­tu­tion­nelle­ment, dans la cour des grands.

L’ob­ten­tion dès fin 1991 du Grand Prix Nation­al de l’entreprise cul­turelle salu­ait l’arrivée dans le monde cul­turel d’une dynamique nou­velle de ges­tion et de gou­ver­nance.

Avant l’euro

Soulignons aus­si l’absolue volon­té de vouloir adoss­er une ville frontal­ière à sa voi­sine belge de Mons, ten­ta­tives repoussées d’abord ce qui nous incite à jouer le jeu trans­frontal­ier avec Charleroi Dans­es et le Grand-Hor­nu, voire le Pass. Dans ce con­texte, il faut saluer l’ap­port essen­tiel des pro­grammes européens Inter­reg aux­quels nous avons par­ticipé du tout pre­mier à l’actuel n° 4.

En gran­dis­sant, nous avons donc pu nous associ­er avec Charleroi Dans­es, alors dirigé par Frédéric Fla­mand, et jeter ain­si Les bases d’une poli­tique trans­frontal­ière plus ambitieuse. Grâce à une volon­té poli­tique sans faille et tou­jours réaf­fir­mée, le dynamisme apporté par
Daniel Cor­do­va, Pas­cal Keis­er, nous avons pu créer la Scène Trans­frontal­ière :une seule bil­let­terie, une pro­gram­ma­tion et une infor­ma­tion com­munes, une poli­tique tar­i­faire iden­tique de part et d’autre de la fron­tière, à une époque où il fal­lait encore con­ver­tir les mon­naies (francs belges et francs français), com­mu­ni­quer par eurochèques et les adress­er par voie postale. Un temps d’avant l’eu­ro. Nos bus-cock­tails, où l’on offrait l’apéri­tif aux spec­ta­teurs pen­dant le tra­jet, étaient par­fois blo­qués par la police ou par la douane au poste fron­tière, le temps d’un con­trôle, et il fal­lait retarder le début du spec­ta­cle jusqu’à l’arrivée du dernier bus. Les mineurs devaient pro­duire une autori­sa­tion de sor­tie du ter­ri­toire ! Un autre âge, quoi… Mais pour voir Peter Stein, Romeo Castel­luc­ci, Reza Abdo et plus tard Alain Pla­tel, cela valait la peine de subir quelques tra­cas et de pren­dre son mal en patience.

Manèges(s)

Et petit cadeau du des­tin : il se trou­ve que les deux bâti­ments dans lesquels ont été amé­nagées nos aven­tures trans­frontal­ières, à Mons comme à Maubeuge, sont deux anciens manèges équestres recon­ver­tis. Un heureux hasard qui a créé l’homonymie, la symétrie, l’ef­fet miroir, et qui bien sûr aujourd’hui fait sens à l’heure de Mons 2015, l’événe­ment qui aujourd’hui nous réu­nit. Pour Mons comme pour Maubeuge, cet événe­ment sera l’aboutisse­ment et la récom­pense de ces vingt-cinq années de per­sévérance, d’ef­forts et de suc­cès engrangés.

Mais nous espérons aus­si que l’événe­ment sera l’occasion d’un nou­veau départ, d’un redé­ploiement, et aus­si le sym­bole voire le coup d’envoi de notre entrée dans le XXIe siè­cle. Le Fes­ti­val Via, en 2015, sera en par­ti­c­uli­er l’emblème de cette volon­té artis­tique et poli­tique com­mune.

Photo Véronique Vercheval.
Pho­to Véronique Vercheval.

Un des­tin numérique

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
1
Partager
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
#124 – 125
mai 2025

Elargir les frontières du théâtre

Précédent
31 Juil 2014 — Depuis l’indépendance de la République Démocratique du Congo en 1960, les institutions culturelles étrangères présentes à Kinshasa ont apporté un…

Depuis l’indépendance de la République Démoc­ra­tique du Con­go en 1960, les insti­tu­tions cul­turelles étrangères présentes à Kin­shasa ont apporté un appui et des bouf­fées d’oxygène pour les créa­teurs kinois. Le Cen­tre Wal­lonie- Brux­elles ouvert en…

Par Bernard Debroux
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total