DEPUIS 2000, le festival au Carré est le premier festival estival belge. Il commence fin juin ou début juillet et s’étale durant une quinzaine de jours. Dès ses débuts, il s’est voulu attentif
au spectacle vivant quel qu’il soit : concerts, variétés, danse, acrobatie, lectures, performances, théâtre de scène et de rue. Il s’est affirmé vrai festival en ce sens que ses organisateurs n’ont jamais eu peur de prendre des risques. Notamment en s’associant aux Musiques nouvelles de Jean-Paul Dessy, vrai puriste de la musique contemporaine.
Ses responsables, Daniel Cordova en tête qui « prône la transversalité sans en faire un dogme », ont souhaité aussi une ouverture sur les autres continents, entre autres Afrique et Amérique du Sud. Le panachage des genres et des cultures a donc été, dès l’origine, une préoccupation permanente. Par ailleurs le lien avec l’actualité — non pas en ce qu’elle a d’éphémère et de « pipole », mais plutôt dans ses rapports avec la pensée politique, la démocratie, l’analyse critique — ne s’est jamais démenti. À travers l’engagement de certaines troupes, il y a en effet matière, en plus du plaisir véhiculé par un spectacle, à trouver des pistes de réflexion critique à propos du fonctionnement ou du non-fonctionnement de nos sociétés. Si bien qu’à Mons le festif fait joyeux ménage avec le réflexif.
Le brassage est resté de même dans toutes les disciplines. Quelques classiques (Molière, Shakespeare, Brecht, Pirandello, Gogol, Flaubert, Hugo…) côtoient des œuvres contemporaines. Des spectacles et des mises en scène relativement traditionnels, comme la commedia dell’arte, avoisinent des écritures et des réalisations en quête de novation. Des talents régionaux se confrontent à des célébrités internationales. Des personnalités connues ici ont rencontré des personnalités réputées ailleurs. Des méconnus d’ici se sont révélés et des illustres à l’étranger ont éveillé la curiosité d’un public qui n’avait jamais eu la possibilité ni de les voir, ni de les entendre. Tout cela dans une évidente volonté de ne jamais céder au populisme, tout en ne repoussant pas le populaire à condition qu’il s’écarte de préoccupations bassement commerciales, et cela jusqu’à garder la dimension divertissante d’un bal de clôture.
Pour reprendre une constatation de Michèle Friche, qui résume bien l’ensemble de la démarche : ce festival « a l’excellente habitude de faire sortir de leurs gonds des artistes que l’on croyait sanglés dans leur discipline ». Il possède donc les atouts pour intéresser tout public désireux de satisfaire de la curiosité.
Musiques actuelles
La chanson, par exemple, a été bien servie. Mais pas n’importe laquelle puisque c’est Higelin qui est venu chanter Trenet, Ann Gaytan qui a repris Ferré. C’est encore Victoria Abril interprétant les grands de France : Barbara, Gainsbourg, Nougaro.. Et tel hommage à Dalida était une bonne occasion de réaliser un spectacle avec les élèves du Conservatoire royal de Mons. Un cabaret napolitain a fait part belle à des airs entrés depuis longtemps dans les mémoires.
SI C’EST CHANTÉ C’EST PAS PERDU est une anthologie de chants de combat contre violences et guerres, où Guy Pion et ses acolytes mélangent les époques et les styles, de la chanson dramatique à la caustique. Wendo Kolossoy, doyen des chanteurs de la République démocratique du Congo décédé depuis, est venu titiller les oreilles et stimuler les jambes avec sa rumba congolaise.
Les interprètes qui se sont succédé apportaient leur univers plutôt que des succès du hit. Même si le comédien Alain Eloy a réalisé un vieux rêve en interprétant des tubes qui ont jalonné sa vie et signés aussi bien Claude François et Gérard Lenorman que Pierre Perret ou Renaud. Saule possède un univers poétique et humoristique bien à lui, pimenté d’une autodérision salutaire. An Pierlé s’amuse à faire, comme elle le prétend, « de l’avant-garde pour le peuple ». Moins connus, les six membres de Camping Baudelaire ne sont pas avares non plus de dérision. En devenir, un jeune montois, Antoine Henaut, déjà parolier du groupe Suarez.
En musique contemporaine, Philippe Boesmans a supervisé de jeunes compositeurs du monde entier dont les œuvres ont été dirigées par Jean-Paul Dessy toujours très présent. Un Dessy qui déclare volontiers : « Il y a trois piliers dans le cheminement humain : le savoir, lavoir et le pouvoir. Il faut que la musique participe à la recherche de l’être ». Des groupes souvent aux limites de l’expérimental comme Aka Moon ou Art Zoyd n’ont évidemment pas déparé dans ce contexte. Léo Kupper a proposé sa musique électronique. Rodolph Burger a composé une partition sur un film de Tod Browning. Le jazz est dans les environs du rap, des airs afro- cubains. Et ces alliances, voire ces alliages, ne sont jamais tombés dans ces musiques dites « du monde » qu’une certaine mode a affadies en les castrant de leur substance originelle.

Théâtre d’hier et d’aujourd’hui
Un théâtre à la rencontre de la musique, c’est cet opéra inédit au livret écrit par Michel Jamsin et accompagné des compositions sonores de Jean-Paul Dessy, Stéphane Collin, Raoul Lay et Pascal Charpentier. Il est de veine comique, voire burlesque, caricature délicieuse des codes des scènes lyriques. Il sera suivi par un opéra rock, THE TRAGIC TALE OF A GENIUS, du groupe liégeois MLCD (My little cheap dictaphone). Et puis, cette adaptation du DON GIOVANNI de Mozart situé au cœur d’un décor de palace, à la porte de ses cuisines, accueillant le public et le nourrissant de gastronomie italienne. Pétulante réalisation de Peter De Bie et Jo Roets, teintée de féminisme militant et badin à souhait.
Des spectacles à contenu social et critique n’ont pas manqué. LA CUISINE d’Arnold Wesker et sa démonstration du stress dans les coulisses d’un restaurant. LE SAS de Michel Azama et sa transposition verbale du mal être en prison qui ampute les chances de réinsertion. ROMAN-PHOTO du Royal de Luxe, revu par la Compagnie Gran Reyneta démontrant la manipulation de la paralittérature populiste.
Dans la mouvance de l’ouverture culturelle à d’autres continents vient se placer un peu à part L’INVISIBLE de Philippe Blasband:une illustration de l’écartèlement d’un exilé africain en Belgique entre sa culture et la nôtre interprété par le regretté Dieudonné Kabongo qui joua aussi par la suite BAS LES MASQUES, fable grinçante sur la colonisation. Ajoutons‑y l’étonnant parcours à travers les bâtiments, DOPPELGANGER, proposé du Collectif MéTamorphoz afin d’interpeller à propos des contrôles de citoyenneté par les appareils étatiques.
TORÉADORS de Jean-Marie Piemme est un duel verbal entre un patron de P.M.E. et un SDF immigré russe. On y trouve la plus belle collection qui soit d’arguments spécieux véhiculés par les stéréotypés sociétaux. Le VIVARIUM de Giuseppe Lonobile décrit le parcours désespéré d’une femme ayant choisi l’autodestruction terroriste. HÊTRE de Céline Delbecq s’est focalisé avec une grande vigueur verbale sur un autre suicide, celui d’un père qui a traumatisé sa fille. Et pour rester chez les Belges, à signaler UN AMI FIDÈLE de Dopagne et les très sensibles confidences autobiographiques de Michèle Hguyen, VY.
Chef d’œuvre de Jan Lauwers, LA CHAMBRE D’ISABELLA est un fourre-tout astucieux, sorte de tragicomédie musicale qui traverse Les repères du siècle passé avec une verve inégalable. Une plus récente création, RADICAL WRONG laisse la parole à de jeunes performeurs qui lacèrent les clichés, débordent d’énergie, insistent sur le côté rebelle de la jeunesse.

Dans LOIN DE LINDEN, Veronika Mabardi confronte avec subtilité deux mentalités, celle d’une bourgeoise francophone et d’une campagnarde néerlandophone à propos du mariage de leurs petits-enfants. Olivier Pourriol jette un regard de philosophe sur le football à travers ÉLOGE DU MAUVAIS GESTE.
L’ancrage régional fait partie des préoccupations des organisateurs car il est essentiel pour l’avenir d’un territoire de susciter des talents, de promouvoir ceux qui ont des choses à dire, d’encourager la créativité. Cela s’est traduit d’abord par la collaboration ininterrompue avec le Conservatoire royal de Mons. Chaque édition a vu des élèves se produire dans de petits spectacles de théâtre, de cabaret.



