Estival, provincial, international : Le festival au Carré àMons

Estival, provincial, international : Le festival au Carré àMons

Le 12 Jan 2015
Festival au Carré 2012. Photo Marie Godart.
Festival au Carré 2012. Photo Marie Godart.

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Festival au Carré 2012. Photo Marie Godart.
Festival au Carré 2012. Photo Marie Godart.
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DEPUIS 2000, le fes­ti­val au Car­ré est le pre­mier fes­ti­val esti­val belge. Il com­mence fin juin ou début juil­let et s’étale durant une quin­zaine de jours. Dès ses débuts, il s’est voulu atten­tif

au spec­ta­cle vivant quel qu’il soit : con­certs, var­iétés, danse, acro­batie, lec­tures, per­for­mances, théâtre de scène et de rue. Il s’est affir­mé vrai fes­ti­val en ce sens que ses organ­isa­teurs n’ont jamais eu peur de pren­dre des risques. Notam­ment en s’associant aux Musiques nou­velles de Jean-Paul Dessy, vrai puriste de la musique con­tem­po­raine.

Ses respon­s­ables, Daniel Cor­do­va en tête qui « prône la trans­ver­sal­ité sans en faire un dogme », ont souhaité aus­si une ouver­ture sur les autres con­ti­nents, entre autres Afrique et Amérique du Sud. Le panachage des gen­res et des cul­tures a donc été, dès l’origine, une préoc­cu­pa­tion per­ma­nente. Par ailleurs le lien avec l’ac­tu­al­ité — non pas en ce qu’elle a d’éphémère et de « pipole », mais plutôt dans ses rap­ports avec la pen­sée poli­tique, la démoc­ra­tie, l’analyse cri­tique — ne s’est jamais démen­ti. À tra­vers l’engagement de cer­taines troupes, il y a en effet matière, en plus du plaisir véhiculé par un spec­ta­cle, à trou­ver des pistes de réflex­ion cri­tique à pro­pos du fonc­tion­nement ou du non-fonc­tion­nement de nos sociétés. Si bien qu’à Mons le fes­tif fait joyeux ménage avec le réflexif.

Le bras­sage est resté de même dans toutes les dis­ci­plines. Quelques clas­siques (Molière, Shake­speare, Brecht, Piran­del­lo, Gogol, Flaubert, Hugo…) côtoient des œuvres con­tem­po­raines. Des spec­ta­cles et des mis­es en scène rel­a­tive­ment tra­di­tion­nels, comme la com­me­dia dell’arte, avoisi­nent des écri­t­ures et des réal­i­sa­tions en quête de nova­tion. Des tal­ents régionaux se con­fron­tent à des célébrités inter­na­tionales. Des per­son­nal­ités con­nues ici ont ren­con­tré des per­son­nal­ités réputées ailleurs. Des mécon­nus d’ici se sont révélés et des illus­tres à l’é­tranger ont éveil­lé la curiosité d’un pub­lic qui n’avait jamais eu la pos­si­bil­ité ni de les voir, ni de les enten­dre. Tout cela dans une évi­dente volon­té de ne jamais céder au pop­ulisme, tout en ne repous­sant pas le pop­u­laire à con­di­tion qu’il s’é­carte de préoc­cu­pa­tions basse­ment com­mer­ciales, et cela jusqu’à garder la dimen­sion diver­tis­sante d’un bal de clô­ture.

Pour repren­dre une con­stata­tion de Michèle Friche, qui résume bien l’ensemble de la démarche : ce fes­ti­val « a l’ex­cel­lente habi­tude de faire sor­tir de leurs gonds des artistes que l’on croy­ait san­glés dans leur dis­ci­pline ». Il pos­sède donc les atouts pour intéress­er tout pub­lic désireux de sat­is­faire de la curiosité.

Musiques actuelles

La chan­son, par exem­ple, a été bien servie. Mais pas n’im­porte laque­lle puisque c’est Higelin qui est venu chanter Trenet, Ann Gay­tan qui a repris Fer­ré. C’est encore Vic­to­ria Abril inter­pré­tant les grands de France : Bar­bara, Gains­bourg, Nougaro.. Et tel hom­mage à Dal­i­da était une bonne occa­sion de réalis­er un spec­ta­cle avec les élèves du Con­ser­va­toire roy­al de Mons. Un cabaret napoli­tain a fait part belle à des airs entrés depuis longtemps dans les mémoires.

SI C’EST CHANTÉ C’EST PAS PERDU est une antholo­gie de chants de com­bat con­tre vio­lences et guer­res, où Guy Pion et ses acolytes mélan­gent les épo­ques et les styles, de la chan­son dra­ma­tique à la caus­tique. Wen­do Kolos­soy, doyen des chanteurs de la République démoc­ra­tique du Con­go décédé depuis, est venu tit­iller les oreilles et stim­uler les jambes avec sa rum­ba con­go­laise.

Les inter­prètes qui se sont suc­cédé appor­taient leur univers plutôt que des suc­cès du hit. Même si le comé­di­en Alain Eloy a réal­isé un vieux rêve en inter­pré­tant des tubes qui ont jalon­né sa vie et signés aus­si bien Claude François et Gérard Lenor­man que Pierre Per­ret ou Renaud. Saule pos­sède un univers poé­tique et humoris­tique bien à lui, pimen­té d’une autodéri­sion salu­taire. An Pier­lé s’a­muse à faire, comme elle le pré­tend, « de l’a­vant-garde pour le peu­ple ». Moins con­nus, les six mem­bres de Camp­ing Baude­laire ne sont pas avares non plus de déri­sion. En devenir, un jeune mon­tois, Antoine Henaut, déjà paroli­er du groupe Suarez.

En musique con­tem­po­raine, Philippe Boes­mans a super­visé de jeunes com­pos­i­teurs du monde entier dont les œuvres ont été dirigées par Jean-Paul Dessy tou­jours très présent. Un Dessy qui déclare volon­tiers : « Il y a trois piliers dans le chem­ine­ment humain : le savoir, lavoir et le pou­voir. Il faut que la musique par­ticipe à la recherche de l’être ». Des groupes sou­vent aux lim­ites de l’expérimental comme Aka Moon ou Art Zoyd n’ont évidem­ment pas déparé dans ce con­texte. Léo Kup­per a pro­posé sa musique élec­tron­ique. Rodolph Burg­er a com­posé une par­ti­tion sur un film de Tod Brown­ing. Le jazz est dans les envi­rons du rap, des airs afro- cubains. Et ces alliances, voire ces alliages, ne sont jamais tombés dans ces musiques dites « du monde » qu’une cer­taine mode a affadies en les cas­trant de leur sub­stance orig­inelle.

Dieudonné Kabongo dans BAS LES MASQUES, mis en scène Lorent Wanson, Festival  au Carré 2010. Photo Éric Legrand.
Dieudon­né Kabon­go dans BAS LES MASQUES, mis en scène Lorent Wan­son, Fes­ti­val au Car­ré 2010. Pho­to Éric Legrand.

Théâtre d’hi­er et d’au­jour­d’hui

Un théâtre à la ren­con­tre de la musique, c’est cet opéra inédit au livret écrit par Michel Jam­sin et accom­pa­g­né des com­po­si­tions sonores de Jean-Paul Dessy, Stéphane Collin, Raoul Lay et Pas­cal Char­p­en­tier. Il est de veine comique, voire bur­lesque, car­i­ca­ture déli­cieuse des codes des scènes lyriques. Il sera suivi par un opéra rock, THE TRAGIC TALE OF A GENIUS, du groupe lié­geois MLCD (My lit­tle cheap dic­ta­phone). Et puis, cette adap­ta­tion du DON GIOVANNI de Mozart situé au cœur d’un décor de palace, à la porte de ses cuisines, accueil­lant le pub­lic et le nour­ris­sant de gas­tronomie ital­i­enne. Pétu­lante réal­i­sa­tion de Peter De Bie et Jo Roets, tein­tée de fémin­isme mil­i­tant et badin à souhait.

Des spec­ta­cles à con­tenu social et cri­tique n’ont pas man­qué. LA CUISINE d’Arnold Wesker et sa démon­stra­tion du stress dans les couliss­es d’un restau­rant. LE SAS de Michel Aza­ma et sa trans­po­si­tion ver­bale du mal être en prison qui ampute les chances de réin­ser­tion. ROMAN-PHOTO du Roy­al de Luxe, revu par la Com­pag­nie Gran Reyne­ta démon­trant la manip­u­la­tion de la par­alit­téra­ture pop­uliste.

Dans la mou­vance de l’ou­ver­ture cul­turelle à d’autres con­ti­nents vient se plac­er un peu à part L’INVISIBLE de Philippe Blasband:une illus­tra­tion de l’écartèlement d’un exilé africain en Bel­gique entre sa cul­ture et la nôtre inter­prété par le regret­té Dieudon­né Kabon­go qui joua aus­si par la suite BAS LES MASQUES, fable grinçante sur la coloni­sa­tion. Ajoutons‑y l’étonnant par­cours à tra­vers les bâti­ments, DOPPELGANGER, pro­posé du Col­lec­tif MéTa­mor­phoz afin d’interpeller à pro­pos des con­trôles de citoyen­neté par les appareils éta­tiques.

TORÉADORS de Jean-Marie Piemme est un duel ver­bal entre un patron de P.M.E. et un SDF immi­gré russe. On y trou­ve la plus belle col­lec­tion qui soit d’ar­gu­ments spé­cieux véhiculés par les stéréo­typés socié­taux. Le VIVARIUM de Giuseppe Lono­bile décrit le par­cours dés­espéré d’une femme ayant choisi l’autodestruction ter­ror­iste. HÊTRE de Céline Del­becq s’est focal­isé avec une grande vigueur ver­bale sur un autre sui­cide, celui d’un père qui a trau­ma­tisé sa fille. Et pour rester chez les Belges, à sig­naler UN AMI FIDÈLE de Dopagne et les très sen­si­bles con­fi­dences auto­bi­ographiques de Michèle Hguyen, VY.

Chef d’œu­vre de Jan Lauw­ers, LA CHAMBRE D’ISABELLA est un fourre-tout astu­cieux, sorte de tragi­comédie musi­cale qui tra­verse Les repères du siè­cle passé avec une verve iné­gal­able. Une plus récente créa­tion, RADICAL WRONG laisse la parole à de jeunes per­formeurs qui lacèrent les clichés, débor­dent d’én­ergie, insis­tent sur le côté rebelle de la jeunesse.

LA (TOUTE) PETITE TÉTRALOGIE, mise en scène Anne-Laure Liégeois, Festival au Carré 2010. Photo Arthur Abramo.
LA (TOUTE) PETITE TÉTRALOGIE, mise en scène Anne-Lau­re Lié­geois, Fes­ti­val au Car­ré 2010. Pho­to Arthur Abramo.

Dans LOIN DE LINDEN, Veroni­ka Mabar­di con­fronte avec sub­til­ité deux men­tal­ités, celle d’une bour­geoise fran­coph­o­ne et d’une cam­pag­narde néer­lan­do­phone à pro­pos du mariage de leurs petits-enfants. Olivi­er Pour­riol jette un regard de philosophe sur le foot­ball à tra­vers ÉLOGE DU MAUVAIS GESTE.

L’an­crage région­al fait par­tie des préoc­cu­pa­tions des organ­isa­teurs car il est essen­tiel pour l’avenir d’un ter­ri­toire de sus­citer des tal­ents, de pro­mou­voir ceux qui ont des choses à dire, d’en­cour­ager la créa­tiv­ité. Cela s’est traduit d’abord par la col­lab­o­ra­tion inin­ter­rompue avec le Con­ser­va­toire roy­al de Mons. Chaque édi­tion a vu des élèves se pro­duire dans de petits spec­ta­cles de théâtre, de cabaret.

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Écrit par Michel Voiturier
Michel Voi­turi­er est cri­tique dra­ma­tique au Cour­ri­er de l’Escaut (1967 – 2011). Rédacteur en chef Bel­gique du site www.ruedutheatre.eu., il...Plus d'info
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11 Jan 2015 — POUR SA PROCHAINE CRÉATION, Guy Cassiers s'attaque et s'attache au «Rodin Belge», et plus précisément à un de ses bas-reliefs…

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