Par l’image, ouvrir le poétique…

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Entretien avec Jean-Michel Van den Eeyden

Le 24 Jan 2015
Nicolas Mispelaer dans LES VILLES TENTACULAIRES d'après Émile Verhaeren, mis en scène Jean-Michel Van den Eeyden et
mise en image Dirty Monitor, 2014. Photo Leslie Artamonov.
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mise en image Dirty Monitor, 2014. Photo Leslie Artamonov.

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Nicolas Mispelaer dans LES VILLES TENTACULAIRES d'après Émile Verhaeren, mis en scène Jean-Michel Van den Eeyden et
mise en image Dirty Monitor, 2014. Photo Leslie Artamonov.
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mise en image Dirty Monitor, 2014. Photo Leslie Artamonov.
Article publié pour le numéro
124 – 125
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MERYL MOENS : Pour la Cap­i­tale européenne de la Cul­ture, vous mon­tez (dans le cadre du Fes­ti­val VIA), AMNESIA, une créa­tion entre théâtre, ciné­ma et nou­velles tech­nolo­gies, qui nous immerge au cœur de la Wal­lonie.

Jean-Michel Van den Eey­den : Le point de départ d’AMNESIA est une propo­si­tion faite par Daniel Cor­do­va et Pas­cal Keis­er autour de l’i­den­tité wal­lonne, et de l’œuvre de Jean Lou­vet. Pas­cal1 est venu avec une réflex­ion sur la qua­si-absence de l’His­toire wal­lonne sur Inter­net et sur, par con­séquent, l’ab­sence de « mémoire dig­i­tale » de cette His­toire pour l’avenir.

Avec l’équipe du pro­jet, j’ai alors com­mencé à tra­vers­er l’ensemble de l’œuvre de Jean Lou­vet. Une pièce nous a par­ti­c­ulière­ment inter­rogés : L’HOMME QUI AVAIT LE SOLEIL DANS SA POCHE (1981). Cette pièce était une com­mande de Philippe Sireuil àJean Lou­vet autour de la fig­ure de Julien Lahaut. Sireuil voulait ques­tion­ner l’i­den­tité belge fran­coph­o­ne, lui qui en était issu mais ne l’avait con­nue que de loin, par une enfance au Con­go et en ban­lieue parisi­enne. La Bel­gique était pour lui le pays des morts, puisqu’il n’y reve­nait que pour les enter­re­ments. Comme moi, il avait enten­du par­ler de l’as­sas­si­nat de cette fig­ure emblé­ma­tique belge, un crime poli­tique non-élu­cidé (et c’est tou­jours le cas presque soix­ante-cinq ans après les faits !). J’ai décou­vert Julien Lahaut — syn­di­cal­iste, antifas­ciste, résis­tant, député com­mu­niste — qui cria « Vive la République » lors du ser­ment du Roi Bau­douin et, une semaine plus tard, se fit abat­tre devant chez lui. Cet homme a eu toute sa vie la force de rassem­bler et de lut­ter (en pleine occu­pa­tion alle­mande, il a mobil­isé cent mille per­son­nes à faire grève); et quelques décen­nies plus tard, son nom est qua­si tombé dans l’ou­bli.

En Bel­gique, quand il est ques­tion d’une per­son­nal­ité social­iste majeure, on fait référence au Français Jean Jau­rès. On a beau avoir toute une série de rues Van­dervelde, qui saurait dire aujourd’hui qui était exacte­ment ce Émile Van­dervelde ?2. Il y a quelques années, sa stat­ue a été volée à Brux­elles ; il a fal­lu des semaines avant que quelqu’un ne s’en rende compte.

Peut-être que nos his­toires de lutte et de mil­i­tan­tisme nous posent des prob­lèmes de mémoire, peut-être que cette amnésie est volon­taire et typ­ique : en Bel­gique, on n’aime pas trop les vagues, faire trop de bruit ; à la rigueur, on préfère que les choses s’étouffent d’elle-même. En tout cas, il y a une amnésie. Avec ce spec­ta­cle, nous allons, par « évo­ca­tions », dessin­er le kaléi­do­scope d’une cer­taine Wal­lonie.

M. M.: Un sujet qui, dans le con­texte poli­tique actuel, a des réso­nances par­ti­c­ulières. Vous en tenez compte ?

J.-M. V. D. E.: C’est évidem­ment un ter­rain glis­sant. Mais le pro­jet ne stig­ma­tise ni n’accentue l’op­po­si­tion que cer­tains poli­tiques font entre Wal­lons et Fla­mands. Le com­bat de Lou­vet n’est pas sur le nation­al­isme — là où la ques­tion iden­ti­taire et com­mu­nau­taire est par­ti­c­ulière­ment « dan­gereuse ». Non, Lou­vet pense son rap­pott à l’His­toire. Sans volon­té passéiste, pour lui, « vous ne maîtrisez pas le présent ni le futur, si vous ne maîtrisez pas le passé ». AMNESIA ne se veut pas pour autant un cours d’His­toire ! Mais cha­cun de nous [l’ensem­ble de l’équipe du pro­jet] a dû pren­dre posi­tion par rap­port à ses sou­venirs et ses oub­lis. En par­tant de sit­u­a­tions de vie, de faits divers, de doc­u­men­taires ou de pris­es de parole directe des comé­di­ens, nous con­stru­isons une mosaïque de regards attachés et attachants sur la Wal­lonie, où le doc­u­men­taire se mélange à la pen­sée poé­tique.

Quant àlaque­s­tion de lasit­u­a­tion poli­tique actuelle, le tra­vail ne fige pas une région mais racon­te com­ment nous nous con­stru­isons face à une réal­ité, avec nos dif­fi­cultés et nos fiertés. La ques­tion du séparatisme flamand/wallon n’est donc pas directe­ment notre sujet, même s’il se retrou­ve ici ou là mal­gré tout.

M. M.: Vous par­lez de kaléi­do­scope, d’évo­ca­tions et de l’œuvre de Lou­vet. Com­ment tis­sez-vous l’écri­t­ure entre ces matières ?

J.-M. V. D. E.: Nous sommes dans une écri­t­ure col­lec­tive. Dominique Tack, acteur et auteur, nous four­nit énor­mé­ment de matière. Simon Dele­cosse, alias Mochélan, vient avec sa poésie, son « rap », son phrasé et son posi­tion­nement face à sa région. Nan­cy Nkusi reprend des frag­ments de Jean Lou­vet… C’est essen­tiel pour moi que cha­cun mette quelque chose sur la table. Je souhaite qu’il y ait le plus grand nom­bre de regards pos­si­bles. Nous avons déjà hâte d’aller vers un pub­lic pour décou­vrir ce qu’il y lit. Dans nos recherch­es, nous avons inter­rogé plusieurs per­son­nes et Les réac­tions sont vives au mot « wal­lon ». L’i­den­tité wal­lonne, pour bon nom­bre, cela n’ex­iste pas vrai­ment. Car, en somme, à quoi rat­tache-t-on son iden­tité ? À un pays, une langue, une région, une ville, une com­mune, un quarti­er ? Com­ment cha­cun com­pose-t-il, con­sciem­ment et incon­sciem­ment, ce qu’il est ?

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Écrit par Meryl Moens
En 2011, après son diplôme en mise en scène à l’IN­SAS, Meryl Moens tra­vaille aux côtés de Pas­cale...Plus d'info
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