Remarquée avec la création d’Orphelins de Dennis Kelly, spectacle lauréat du festival Impatience en 2014, la metteuse en scène Chloé Dabert est née en 1976 – l’année des Jeux olympiques de Montréal, où fut révélée Nadia Comaneci. Elle appartient donc à cette génération élargie des petites filles nées entre 1960 et 1990 qui, fascinées par le phénomène1, ont découvert la gymnastique et tenté de mimer les gestes inimaginables de la « petite fée roumaine ».
Figures d’identification
Paru en 2014 chez Actes Sud, le roman de Lola Lafon La Petite Communiste qui ne souriait jamais retrace le destin de la gymnaste à travers un dispositif singulier et fascinant. Aux réflexions d’une narratrice qui décide, de nos jours, de mener une enquête pour écrire un livre sur Nadia Comaneci, se mêlent leurs échanges à toutes les deux et le texte du livre lui-même. Si Chloé Dabert a choisi d’adapter ce roman avec son spectacle Nadia C.2, c’est tout simplement parce que le livre l’a bouleversée. Mais on comprend aussi qu’il y a dans cette narratrice, qu’elle considère comme le « personnage principal du livre », un potentiel d’identification que ne permet pas la figure de Nadia en elle-même. Cette dernière, en ce qu’elle incarne une forme de « surnormalité », suscite au contraire des réactions ambiguës, entre passion et irritation, dont le roman rend parfaitement compte.
L’adaptation d’un roman au théâtre pose des questions dramaturgiques bien spécifiques. Celle des coupes, du respect de la construction interne du livre, mais surtout de son organisation intime. En l’occurrence, le roman offre une structure complexe à appréhender, faite de niveaux de discours différents, d’une chronologie peu rigoureuse, n’offrant qu’irrégulièrement des repères dans l’histoire individuelle ou collective auxquels se raccrocher.
En collaboration avec Brigitte Ferrari, Chloé Dabert a pourtant relevé le défi de l’adaptation. Or, cette mise en abyme (le théâtre adapte le roman qui adapte la biographie) fonctionne moins comme une lecture interprétative du texte que comme un hommage. L’auteure ne tranche pas quant aux ambiguïtés du destin de Nadia Comaneci, Chloé Dabert non plus. Elle accentue même la porosité des frontières : aucune des trois comédiennes n’incarne Nadia à proprement parler et toutes endossent, à tour de rôle, différentes potentialités de Nadia, de la narratrice ou encore de toutes ces fillettes qui s’identifient à la gymnaste et aux noms desquelles, d’une certaine façon, le livre a été écrit. Réparti entre les trois comédiennes, le texte est livré tel quel, dans l’ordre de lecture mais sans que soit restituée la différence entre les niveaux de parole, qui sont mis sur le même plan.