Something is sad in the state of Danemark…

Théâtre
Critique

Something is sad in the state of Danemark…

Compte rendu de Tristesses, d’Anne-Cécile Vandalem

Le 13 Juil 2016
Pierre Kissling et Françoise Vanhecke dans Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem, 2016. Photo Phile Deprez.
Pierre Kissling et Françoise Vanhecke dans Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem, 2016. Photo Phile Deprez.

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Pierre Kissling et Françoise Vanhecke dans Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem, 2016. Photo Phile Deprez.
Pierre Kissling et Françoise Vanhecke dans Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem, 2016. Photo Phile Deprez.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 129 - Scènes de femmes
129

Volatiles et éphémères, nos émo­tions for­gent l’essentiel de nos vies. Elles motivent ou avor­tent des départs, nous trompent allè­gre­ment ou écla­tent comme des révéla­tions… Les pou­voirs, quels qu’ils soient, l’ont bien com­pris, qui se ser­vent de notre capac­ité à nous émou­voir comme out­il sta­tis­tique, argu­ment de vente ou force de tra­vail… Dans Trist­esses, la met­teuse en scène Anne-Cécile Van­dalem veut don­ner à voir les mécan­ismes sourds de cette manip­u­la­tion.

Elle choisit un envi­ron­nement à l’imaginaire nordique : au Dane­mark, une île austère où viv­o­tent huit habi­tants. Le fer­ry ne passe que sur com­mande et les abat­toirs ont fait fail­lite, même si la femme du pas­teur (Cather­ine Mestous­sis) s’entête à les garder pro­pre. De son côté, l’homme d’église (Vin­cent Lécuy­er) affronte au quo­ti­di­en la con­cep­tion du monde assez cow­boy de son beau-frère glauque, le maire du vil­lage (Jean-Benoît Ugeux). Ce dernier et sa femme (Anne-Pas­cale Clairem­bourg) ont de la peine à join­dre les deux bouts en éle­vant leurs deux ado­les­centes (Epona et Séléné Guil­laume). Les journées des petites ne sont pas très joyeuses non plus : la seule activ­ité chou­ette du coin con­siste à pren­dre un fusil pour aller tir­er sur les étoiles. Pas chanceuse, la cadette est dev­enue muette depuis qu’elle est tombée sur les corps de ses deux oncles sui­cidés. Le doyen du vil­lage, Kär (Bernard Mar­baix), est un ancien mil­i­tant, raciste décom­plexé. Et sa femme, Ida ? La huitième habi­tante vient d’être retrou­vée morte, pen­due au mât du vil­lage, emmi­tou­flée dans le dra­peau nation­al. 

C’est dans ce con­texte que la fille d’Ida et de Kär, Martha (Anne-Cécile Van­dalem), actuelle cheffe du Par­ti d’extrême-droite du Dane­mark, annonce sa venue. Affolé, tout le vil­lage se demande avec qui Martha va venir. Faut-il pré­par­er quelque chose pour les offi­ciels ? Le Par­ti organ­is­era-t-il des funérailles nationales ? Doit-on s’attendre à la venue de la presse ? Martha a don­né ses ordres : il ne faut pas descen­dre le corps avant son arrivée. Elle veut que sa mère reste là-haut. Petersen, le maire du vil­lage, la tien­dra donc en garde. Et de com­pren­dre que ce que Martha dit fait loi. On la craint. Elle détient le pou­voir. 

Com­ment Ida a‑t-elle pu se pen­dre à un mât haut de dix mètres ? Il est pour­tant évi­dent que le corps a été hissé là-haut déjà mort… Les habi­tants savent-ils que cer­taines ques­tions sont à éviter ? 

Voilà le départ de l’intrigue qui en sus­cit­era bien d’autres. Scénique­ment, l’atmosphère de polar est accen­tuée par un dis­posi­tif où se côtoient théâtre et ciné­ma. Les scènes d’extérieur se jouent devant nous, au cœur d’une scéno­gra­phie (Ruimte­vaarders) où trois maison­nettes en bois joux­tent une église. Tan­dis que les scènes d’intérieur, filmées en temps réel dans les petites habi­ta­tions, sont retrans­mis­es sur un écran qui sur­plombe le hameau, façon Dri­ve-In. Au sol, la moquette achève la représen­ta­tion de cette vie aux relents de protes­tantisme. Par l’intermédiaire de l’écran, on accède à l’intimité des foy­ers sans per­dre de vue le cœur du vil­lage. Il appar­tient au spec­ta­teur de zoomer et dé-zoomer : à quels enjeux avons-nous véri­ta­ble­ment affaire ? Ce qu’on entend à pro­pos d’Ida, à l’occasion d’une scène de funérailles par­ti­c­ulière­ment réussie, dépeint une femme plutôt libre et empreinte de joie de vivre. Les murs de sa mai­son, recou­verts de pho­tos et de sou­venirs, con­trastent avec les intérieurs austères et imper­son­nels de ses voisins. Ida vivait seule, séparée de son mari retiré dans un chalet à l’extérieur du vil­lage. Elle accueil­lait les ado­les­centes pour chanter, con­so­lait la très dés­espérée femme du maire, cul­ti­vait des fleurs et, saoule, cri­ait à tue-tête : « Per­son­ne ne m’empêchera plus jamais d’aller où je veux. » C’est bien la fig­ure de la lib­erté qu’on a mise à mort. 

Tous les autres habi­tants restent lim­ités au cadre prévu pour eux. Vic­times d’une force d’inertie immense. Une impos­si­bil­ité de penser son futur dif­férem­ment. Inven­ter, rire, danser, autant d’activités dis­parues. La légèreté, la douceur de vivre, la sol­i­dar­ité : défini­tive­ment mortes avec Ida. 

Sur Trist­esses, puisque c’est le nom de l’île, même les morts ne quit­tent pas les lieux. Les deux oncles sui­cidés et Ida sont des fan­tômes (la chanteuse lyrique Françoise Van­hecke, Vin­cent Cahay, Pierre Kissling) qui se promè­nent sur scène et à qui toutes les fan­taisies sont per­mis­es… Blêmes, errants, mais très inspirés, ils com­posent, chantent et inter­prè­tent la bande orig­i­nale de l’histoire qui se déroule devant nous, et devant eux. Libres d’imposer leur pro­pre rythme au plateau, ces spec­tres con­tribuent à met­tre en per­spec­tive les événe­ments du présent. Ce sont eux qui sem­blent y voir le plus clair. Martha paraît – c’est bien la seule –, maîtresse de son des­tin. Politi­ci­enne, elle pos­sède l’art du sto­ry-telling et de la com­mu­ni­ca­tion. Pour gag­n­er les prochaines élec­tions, Martha sait qu’il lui faut une pro­pa­gande inédite, jeune et légère­ment arty… (Son par­ti refuse d’être assim­ilé à celui des Français « parce qu’ils salis­sent l’image du groupe »).

Quel vecteur, aujourd’hui, per­met de sou­tenir le mieux son idéolo­gie ? Le ciné­ma.

Les anciens abat­toirs doivent donc être trans­for­més illi­co en stu­dios de tour­nages.

Le Par­ti priv­ilégiera une esthé­tique du vrai, du touchant et du noir et blanc, sur fond de dunes et sol­stice d’été. Le cos­tume tra­di­tion­nel repen­sé comme acces­soire de mode. 

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Florence Minder
Artiste suisse basée à Bruxelles. Son travail se situe dans les champs du théâtre, de...Plus d'info
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