Que feras-tu, toi, de cette scène ?

Théâtre
Edito

Que feras-tu, toi, de cette scène ?

Le 31 Mar 2017
Que ferai-je, moi, de cette épée ? approche de la loi et du problème de la beauté, texte et mise en scène Angélica Liddell, Cloître des Carmes, Festival d’Avignon, 2016. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Que ferai-je, moi, de cette épée ? approche de la loi et du problème de la beauté, texte et mise en scène Angélica Liddell, Cloître des Carmes, Festival d’Avignon, 2016. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Que ferai-je, moi, de cette épée ? approche de la loi et du problème de la beauté, texte et mise en scène Angélica Liddell, Cloître des Carmes, Festival d’Avignon, 2016. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Que ferai-je, moi, de cette épée ? approche de la loi et du problème de la beauté, texte et mise en scène Angélica Liddell, Cloître des Carmes, Festival d’Avignon, 2016. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture de numéro 131 - Écrire, comment?
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Un soir de juil­let 2016, au Cloître des Carmes d’Avignon.
Le ref­er­en­dum sur le Brex­it a eu lieu quinze jours plus tôt. Ce soir-là, l’équipe de foot­ball du Por­tu­gal a rem­porté la finale de l’Euro. Et, qua­tre jours plus tard, l’attentat de Nice plongera la cité des Papes, comme l’Europe entière, dans la stu­peur.

Dans la nuit avi­gnon­naise, Angéli­ca Lid­dell joue sa nou­velle créa­tion, ¿Qué hare yo con esta espa­da ? Durant cinq heures, alter­nent les tableaux choraux muets et les pas­sages mono­logués per­for­més par Lid­dell elle-même. Dans les pre­miers, qua­tre acteurs japon­ais et un ensem­ble de jeunes filles blondes sont choré­graphiés avec pré­ci­sion ; dans les sec­onds la met­teuse en scène nous prend vio­lem­ment à par­tie et évoque par­al­lèle­ment le des­tin du can­ni­bale Sagawa et le drame du Bat­a­clan, dont elle tente de prou­ver qu’elle est la respon­s­able. Le tout forme un ensem­ble d’une inten­sité rare, esthé­tique­ment très maîtrisé et pas­sion­nant de bout en bout. S’y répon­dent dialec­tique­ment une écri­t­ure scénique pré­cise et pré­cieuse et un flot ver­bal toni­tru­ant. 

À l’examen du texte, pub­lié par les Soli­taires intem­pes­tifs (Que ferai-je, moi, de cette épée ? tra­duc­tion de Chris­til­la Vasserot), on con­state que cette sec­onde écri­t­ure, ample, âpre, aux qual­ités lit­téraires indé­ni­ables, ne laisse rien transparaître de la con­créti­sa­tion scénique voulue par Lid­dell. N’y fig­urent ni les nymphes blondes ni les poulpes qui fer­ont beau­coup par­ler d’eux dans les rues d’Avignon (celles-ci se mas­tur­bant à l’aide de ceux-là) ; ni le mur végé­tal ni le chœur baroque assur­ant le boulever­sant final ; ni – encore moins – l’évocation de l’invraisemblable dif­fu­sion, étrange­ment tout aus­si boulever­sante, du stan­dard kitsch L’oiseau et l’enfant de Marie Myr­i­am durant les saluts de l’équipe. En somme, n’a été imprimée dans l’ouvrage édité que la seule strate lit­téraire d’une œuvre qui en compte de mul­ti­ples autres. 

Il y a, dans ¿Qué hare yo con esta espa­da ? comme un point d’aboutissement dans le proces­sus d’écriture de Lid­dell, une fusion de ses ten­ta­tives précé­dentes en un ensem­ble cohérent et extrême­ment ambitieux. Elle s’y mon­tre autrice, dans tous les sens de ce terme – on le ver­ra dans les pages qui suiv­ent – archi-poly­sémique. À la fois pleine­ment autrice « en cham­bre » d’un texte frag­men­taire et en même temps très tenu, qui peut se lire chez soi ou être mis en scène par d’autres et qui paie sa dette à Niet­zsche et Cio­ran, et, con­join­te­ment, autrice « de plateau » d’une propo­si­tion scénique très aboutie où s’entrechoquent corps et matières, mots et sons, con­struc­tions pic­turales et partages de l’instant entre scène et salle. 

En assumant les dif­férentes fonc­tions d’autrice, met­teuse en scène et per­formeuse de ses spec­ta­cles, comme d’autres avant elle et depuis elle, Angéli­ca Lid­dell brouille les cartes. Si le ciné­ma a, depuis la Nou­velle Vague, tranché sans ambiguïté la ques­tion de la fonc­tion auc­to­ri­ale (est auteur de film celui qui le conçoit dans sa glob­al­ité, bien au-delà du strict scé­nario), les arts de la scène n’en finis­sent pas d’osciller d’une con­cep­tion à l’autre au fil des décen­nies. 

La grande ques­tion pour moi est celle de l’écriture :
qu’en est-il de l’écriture dra­ma­tique, de l’écriture de spec­ta­cles ?
C’est là qu’il est ques­tion de con­struc­tion, d’élaboration, de point de vue, de respon­s­abil­ité : à l’endroit de l’écriture. On ne remet pas une part de la respon­s­abil­ité artis­tique à la salle.

Nan­cy Del­halle

En 1999, sous la direc­tion de Joseph Danan, Alter­na­tives théâ­trales pub­li­ait une radi­ogra­phie des écri­t­ures dra­ma­tiques1. Dix-huit ans plus tard, où en est-on ? Com­ment dit-on le monde sur les scènes en 2017 ? 

Si, aujourd’hui, en France et en Bel­gique fran­coph­o­ne, de très nom­breux met­teurs en scène sont les auteurs de leurs pro­pres spec­ta­cles (de Joël Pom­mer­at à Anne-Cécile Van­dalem, de Fab­rice Mur­gia à Olivi­er Py ou David Lescot, en pas­sant par Claude Schmitz et Stéphane Arcas), que les écri­t­ures col­lec­tives se mul­ti­plient et que les divers­es approches de l’écriture de plateau con­tin­u­ent à se dévelop­per, si les écri­t­ures pluri- ou trans-dis­ci­plinaires s’imposent dans les pro­gram­ma­tions, la place de l’auteur « en cham­bre », sans avoir dis­paru, ne fait plus autorité… Si Piemme en Bel­gique et Vinaver en France con­tre­dis­ent ce con­stat rapi­de, qui sont désor­mais leurs héri­tiers ? 

Que ferai-je, moi, de cette épée ? approche de la loi et du problème de la beauté, texte et mise en scène Angélica Liddell, Cloître des Carmes, Festival d’Avignon, 2016. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Que ferai-je, moi, de cette épée ? approche de la loi et du prob­lème de la beauté, texte et mise en scène Angéli­ca Lid­dell, Cloître des Carmes, Fes­ti­val d’Avignon, 2016. Pho­to Christophe Ray­naud de Lage.

L’an dernier, lors de la table ronde qui ouvrait notre #128 con­sacré aux alter­na­tives théâ­trales aujourd’hui, notre col­lab­o­ra­trice Nan­cy Del­halle affir­mait : 

« La grande ques­tion pour moi est celle de l’écriture : qu’en est-il de l’écriture dra­ma­tique, de l’écriture de spec­ta­cles ? C’est là qu’il est ques­tion de con­struc­tion, d’élaboration, de point de vue, de respon­s­abil­ité : à l’endroit de l’écriture. On ne remet pas une part de la respon­s­abil­ité artis­tique à la salle. » 

Dans cette per­spec­tive, en envis­ageant un panora­ma des pra­tiques les plus divers­es et en lais­sant la parole aux auteurs (dans le sens le plus large du mot), c’est sous le prisme de la respon­s­abil­ité artis­tique que nous avons souhaité plac­er ce nou­v­el état des lieux des écri­t­ures dra­ma­tiques et pos­er cette ques­tion sim­ple : com­ment écrit-on pour la scène aujourd’hui ?


  1. Nous pub­lions en fin de numéro les con­stats qu’il posait à l’époque. ↩︎
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Antoine Laubin
Antoine Laubin
Metteur en scène au sein de la compagnie De Facto.Plus d'info
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