FD Le Client, votre dernier film, aurait très bien pu s’appeler « Une Séparation » ou « Le Passé » ?
AF Effectivement, ce film s’inscrit dans la continuité de mes films précédents. Il n’y a pas de rupture mais plutôt une façon de modifier mon langage cinématographique d’un film à l’autre, d’aborder les mêmes thèmes tout en ajoutant un nouveau à chaque fois.
FD Votre thème de fond, c’est la crise conjugale ?
AF Je dirais plutôt que la relation entre un homme et une femme est le terreau de mes films. À partir de cela, j’aborde différents thèmes, dans ce cas, c’était l’humiliation et l’intimité de la vie privée.
FD Pourquoi restez-vous aussi évasif sur ce qui s’est passé dans la salle de bains de cette femme ? Certains pensent qu’elle a été violée, d’autres pas ?
AF Les spectateurs sont libres de penser qu’il s’agit d’un viol. Pour moi, en tant qu’auteur, il n’y a pas de viol, pas de relations sexuelles mais le lieu le plus intime de cette femme a été violé. Des spectateurs sont persuadés qu’il ne s’est rien passé. Et puis d’autres, plus proches des voisins, projettent leurs propres inquiétudes, leurs propres fantasmes sur cette scène et sont persuadés du viol.
FD Le mari, lui, se sent déshonoré.
AF Pas au début, il a une réaction rationnelle et propose à sa femme d’aller porter plainte à la police. Mais sa femme refuse tout en attendant une réaction de sa part. Ses voisins aussi. Il se sent sous pression, il est humilié. Et cela se trans- forme en colère qui le pousse à agir.
FD Cette colère qui se mue en culpabilité était présente dans de nombreux films à Cannes, dont La Fille inconnue. Pourquoi la culpabilité est-elle dans l’air du temps ?
AF Je n’ai pas vu de films à Cannes mais ce sentiment d’une responsabilité individuelle est très présent dans les esprits de notre époque.
Il y a une prise de conscience d’une culpabilité individuelle à propos de nos faits et gestes passés. Cela va de pair avec le développement d’une société de plus en plus individualiste. Je pense que le sentiment d’appartenance à une collectivité fait partager l’idée de la responsabilité, le sentiment de culpabilité. Quand un individu prend l’initiative de mettre fin aux jours d’un autre individu, sa culpabilité est beaucoup plus lourde à porter que lorsqu’une troupe s’attaque à une autre troupe. On peut justifier son acte par le biais de la collectivité.
FD Le thème que vous avez ajouté, est-ce le théâtre ?
AF Oui, le théâtre n’est pas simplement un contexte, un décor. L’idée d’avoir un couple de comédiens, c’était une façon de montrer combien la vie et le théâtre s’entremêlent dans l’existence. À mesure que le film avance, la frontière se dissipe entre théâtre et réel.
FD Mais ce qu’Emad comprend au théâtre, il ne le comprend pas dans la réalité.
AF C’est tout le paradoxe du personnage. Sur scène, il essaie de le rendre aimable, compréhensible, de justifier sa façon d’être
auprès des spectateurs. Mais confronté au même homme dans la vraie vie, il ne peut plus ressentir aucune empathie. Il juge et il le condamne.
FD C’est un film sur les rôles que nous jouons ?
AF : Oui, c’est bien pour cela que le denier plan du film les montre en train de se faire maquiller, de se préparer à jouer un autre rôle.
FD Le théâtre intervient-il dans votre processus créatif ? On sait que vous consacrez beaucoup de temps aux répétitions, le texte se transforme au contact des acteurs ?
AF Oui, vu de l’extérieur, le cinéma et le théâtre peuvent paraître comme deux modes d’expression bien différents. Mon défi est précisément de faire entrer la dimension artificielle et très construite du théâtre dans la dimension beaucoup plus réaliste et documentaire du cinéma. Le squelette est celui d’une construction théâtrale mais avec
la chair plus vivante, plus réaliste du cinéma.
Ces répétitions, elles existent pour permettre aux acteurs de s’approprier le récit à tel point qu’ils ne semblent plus jouer.