Comment définiriez-vous votre travail de création artistique, envisagé à l’aune de la
« diversité culturelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein
des institutions culturelles ?
Je pense qu’on ne peut que se féliciter d’une volonté politique affichée de promouvoir la diversité dans les lieux culturels mais je voudrais aussi attirer l’attention sur les effets pervers que pourrait avoir l’inscription de cette « diversité » dans le cahier des charges de nos institutions culturelles.
Le risque est d’après moi de voir la diversité réduite à une case programmatique ou à la personnalité d’un artiste qui de par sa présence servirait en quelque sorte de caution. On verrait des auteurs et metteurs en scène issus des minorités programmés pour remplir la mission de l’institution et la diversité réduite à une sorte de devoir au sens scolaire du terme.
Une fois la case diversité remplie, le lieu institutionnel pourrait dès lors, à la manière d’un écolier débarrassé de ses « devoirs », se désintéresser purement et simplement d’une problématique bien plus large et s’exonérer d’une réflexion plus profonde sur une question qui devrait à mon avis être transversale et concerner tous les aspects de la vie d’un lieu culturel depuis la programmation, le choix des textes, des formes, la composition des distributions et jusqu’à la constitution des équipes techniques et administratives. Sans oublier que l’objectif est, à mon avis, de tendre vers la diversification du public.
Dans cette logique de case poussée à l’extrême, chaque lieu chercherait alors à s’attacher son « divers », doux euphémisme du langage politique pour nommer autrement ce qu’on appelait auparavant son arabe ou son noir de service. Toujours dans cette logique, l’artiste lui-même se retrouverait piégé, prisonnier d’une sorte d’assignation à résidence identitaire. Pour exister, il ne pourrait aborder que des problématiques liées à son origine, sommé de faire de l’art avec et pour « les siens » s’il veut être soutenu artistiquement et financièrement par les pouvoirs publics, au lieu de faire simplement ce qu’il veut.
Logique absurde dont l’aboutissement, en partie déjà réalisé dans certains lieux culturels de la capitale et par certains des artistes issus de ces minorités, ne pourrait être qu’une sorte de ghettoïsation artistique où l’on verrait les Noirs faire de l’art pour les Noirs, les Arabes pour les Arabes et les Chinois pour les Chinois.
Je ne remets pas ici en cause le fait que certains artistes issus des minorités puissent avoir le désir de travailler sur ces thèmes et c’est leur droit le plus strict. D’autant plus qu’ils sont sans doute les mieux placés pour aborder ces sujets d’une façon plus riche et plus complexe. Je revendique ici simplement que la possibilité puisse exister pour eux de faire tout à fait autre chose et d’être tout autant soutenus.
Une diversité réelle et effective et qui dépasserait les effets d’annonce aurait pour but de libérer les artistes issus des minorités et leur offrir une plus grande liberté de création et un meilleur accès au public plutôt que de les cloisonner dans une fonction.
Avez-vous le sentiment de subir, à titre personnel, une inégalité de traitement en tant
qu’artiste issu de l’immigration ; ou d’être victime d’une forme de stigmatisation, voire
de ségrégation culturelle qui ne s’avoue pas en tant que telle ?
Avant de répondre à cette question je voudrais d’abord dire ici que, si j’ai accepté de répondre à cette enquête, c’est pour, je l’espère, nourrir une réflexion qui me semble nécessaire au vu des évènements qui ont secoué la Belgique, la France et l’Europe occidentale ces dernières années. Loin de moi l’idée de dénoncer, de polémiquer ou simplement de me plaindre d’un état de fait qui finalement traverse notre société toute entière et dont notre profession ne saurait être exempte malgré la prétention qui et la sienne d’être plutôt ouverte et progressiste.
Et à ce titre je voudrais d’ores et déjà relever l’utilisation dans l’intitulé de la question du mot
« sentiment ».
Un sentiment est par définition subjectif.
Avoir le sentiment de quelque chose ne prouve pas que ce quelque chose soit vrai.
Et voilà précisément ce qui nous est parfois renvoyé quand nous, artistes Européens, car c’est bien ce que nous sommes, issus des « minorités », nous exprimons sur le sujet abordé dans cette enquête.
Tout cela n’est qu’un sentiment… Vous êtes paranoïaques…etc.
C’est pourquoi je voudrais au cours de cet entretien mettre tout « sentiment » de côté pour m’en tenir à ce que j’ai pu observer au cours de mes dix-sept ans de carrière.
Je voudrais donc que chacun comprenne bien que je ne suis là ni pour pleurnicher ni pour pointer un doigt vengeur sur qui que ce soit mais pour partager un constat.
En espérant qu’il puisse donner à réfléchir.
Ceci étant dit et pour répondre à votre question je ne pense pas avoir jamais été traité différemment dans le cadre de mon travail d’acteur.
J’ai toujours été considéré sur tous les spectacles dans lesquels j’ai travaillé comme un acteur parmi les autres aussi bien par mes collègues que par les différents metteurs en scène.
Et jamais je n’ai été confronté à des différences de traitement sur le plateau ou en dehors. Le problème, à mon avis, ne se situe pas dans le travail lui-même mais plutôt dans l’accès au travail.
Je m’explique :
J’ai fait mes études théâtrales en Interprétation dramatique à l’Insas entre 1997 et 2000. Durant trois ans, j’ai joué tout le répertoire sans qu’à aucun moment ne se pose la question de mon origine. J’y ai joué Racine, Shakespeare, Tchékhov, etc.
De 2000 à aujourd’hui, soit en dix-sept ans, j’ai joué, sans compter mon travail personnel, dans 21 spectacles dans le théâtre institutionnel et, sur ces 21 rôles, 17 étaient des rôles « d’Arabe ».
Soit quatre rôles non connotés en dix-sept ans…
Et je ne parle pas du cinéma où la proportion est encore pire.
Je ne peux évidemment parler que pour moi et ne voudrais pas généraliser mais de ce que j’observe autour de moi, je pense que c’est le cas pour la majorité des acteurs et actrices issus des minorités, quelles qu’elles soient.
Quand on nous appelle pour nous proposer du travail, c’est, dans la majorité des cas, pour jouer le « divers » de service dans l’une ou l’autre des rares pièces contemporaines du répertoire qui en compte.
Et même si l’ensemble de la profession crie au génie quand Peter Brook le fait, être Maghrébin ou Noir et appelé pour jouer Tchekhov, Shakespeare ou Molière, n’arrive quasiment jamais. Pour ma part, deux fois en dix-sept ans.
Le répertoire classique reste donc en grande majorité fermé aux minorités.
À moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’une relecture contemporaine de l’œuvre où « la différence » fait fonction.
Un Roméo et Juliette « urbain » où les Capulet sont blancs et les Montaigu sont noirs par exemple.
Avec du rap et des flingues…
On voit dès lors ce dont je parle quand j’évoque la difficulté d’accès au travail.
À partir du moment où on ne nous appelle que pour jouer « l’Arabe », ou « le Noir » et qu’il n’y a quasiment pas de rôles de ce type dans le répertoire classique et à peine plus dans le répertoire contemporain, que nous reste-t-il comme possibilités ?
De là à parler de stigmatisation ou de ségrégation, je préfère laisser le lecteur se faire sa propre opinion mais le métier ne saurait à mon avis s’exonérer d’un questionnement sur cette incapacité à nous voir autrement que comme des étrangers.
Alors que nous ne le sommes plus depuis longtemps.
Ma famille vit en Belgique depuis soixante ans maintenant, soit trois générations déjà.
Je suis né ici, ai été élevé dans cette langue française que je chéris, suis un pur produit de l’école européenne ce qui fait de moi, n’en déplaise à certains, un Européen comme les autres. Avec des origines différentes, certes, mais Européen tout de même.
Mais quand je regarde derrière moi et fait le bilan de ces dix-sept ans de métier, je dois bien reconnaître que, visiblement, ce n’est pas ce que voient les autres quand ils me regardent.
Y compris dans notre milieu qui se veut tellement ouvert, tolérant et progressiste.
Bien sûr, certains diront qu’il n’y avait pas de Noirs, d’Arabes et d’Asiatiques dans la Russie tchékhovienne ou l’Angleterre élisabéthaine.
Curieux souci de réalisme dans un art qui ne l’est pas par essence, où la convention même et l’accord tacite passé avec le public est que tout est faux et qui, poussé à l’extrême, interdirait à quiconque de jouer Tchekhov car à ma connaissance il n’y avait pas non plus de comédiens belges francophones, même blonds et caucasiens, dans la Russie du 19e siècle.
Pensez-vousquel’audiovisuel,oud’autressecteursduspectaclevivanttelsqueladanse oulamusiqueparexemple,remplissentdavantageleurmissiondepromotiondeladiversitéquelethéâtre ?
Je ne peux m’exprimer pour la scène musicale ou pour la danse qui sont des disciplines que je ne connais pas assez mais je peux assurément certifier que la situation est pire à l’endroit de l’audiovisuel ou la marge de manœuvre et de liberté des créateurs est fortement contrainte par les exigences de production.
Peut-on dire que le spectacle vivant en Belgique et en France est encore prisonnier d’un
« système d’emplois » d’autant plus efficace qu’il ne se déclare pas comme tel, voire qu’il
n’a pas conscience de lui-même ?
La question des emplois est intéressante en ce sens qu’elle illustre bien ce que je disais tout à l’heure. Pour nous la différence fait fonction.
Notre emploi c’est l’autre, le différent.
Tous les acteurs sont, d’une manière ou d’une autre, tributaires de leur « emploi ». Certains souffrent de leur emploi de comique, d’autres de celui de tragédien. Certains sont cantonnés aux rôles de jeune premier, d’autres ne joueront jamais que les suivantes.
Le problème pour nous, c’est que même notre emploi nous est souvent dénié.
J’ai joué tous les jeunes premiers du répertoire quand j’étais encore à l’Insas mais n’en ai pas interprété un seul depuis que j’en suis sorti.
Mon emploi « d’Arabe » prime sur tous les autres. Alors bien sûr, je ne dis pas qu’on ne m’a pas appelé durant toutes ces années uniquement du fait de mes origines.
Sans doute que beaucoup ne m’appellent pas pour une foule d’autres raisons. Parce qu’ils n’en ont tout simplement pas l’envie, parce qu’ils n’aiment pas mon travail, parce qu’ils préfèrent travailler avec d’autres ou n’ont aucune affinité avec moi…
Mais l’écart entre la proportion de rôles typés et de rôles qui ne le sont pas pose tout de même question.
Peut-on y voir la résurgence d’une histoire du théâtre marquée son incapacité à penser
l’altérité, comme le montrent les spectacles exotiques, freaks shows ou slide shows, dont
Sarah Baartman la « vénus hottentote » ou « vénus noire », le clown Chocolat et la
danseuse Joséphine Backer ne sont que les figures saillantes ? Comment vous situezvous par rapport à ces artistes pionniers cantonnés dans des rôles racisés, voire
complètement essentialistes ?
Dans la forme, on ne verrait sans doute pas du même œil aujourd’hui quelqu’un qui danserait dans une robe de bananes mais dans le fond, on continue de nous demander la même chose.
On continue d’exiger de nous que nous arborions le costume de l’étranger et que nous secouions le collier de clichés qu’on nous met autour du cou, condamnés que nous sommes à ne représenter que des personnages réduits à la seule « problématique » (parce que visiblement c’est un problème…) de leur identité, origine, ou culture différente.
Attention, je précise ici que dans le fond je n’ai pas de problème à jouer un personnage d’origine maghrébine. On a vu des acteurs comme Pacino ou De Niro faire leur carrière entière en jouant des rôles d’Italo-Américains. Mais ce sont juste des putains de rôles si vous me passez l’expression. Riches, complexes et denses.
Alors que la majorité des rôles qui nous sont proposés sont d’une affligeante médiocrité et posent effectivement la question de l’incapacité à penser l’altérité autrement que comme un ramassis de clichés.
Particulièrement au cinéma et à la télévision ou le « réalisme » est roi et où l’image première prime. Je pourrais ici égrainer les rôles qu’on m’a proposés du dealer-violeur au terroriste en passant par le grand frère qui bat sa sœur ou par le jeune qui rêve de s’intégrer mais est rattrapé par son milieu et sa famille intolérante.
Dans tous les cas, que le cliché soit positif ou négatif on continue à abreuver le public de lieux communs qui nous montrent uniquement sous le prisme identitaire vécu comme un problème plus que comme une richesse.
Les personnages qu’on nous donne à interpréter ne vivent, ne pensent, n’existent qu’à travers cette appartenance. Si nous apparaissons sur scène ou à l’écran c’est nécessairement pour raconter une histoire liée à celle-ci.
Comme si tout ce qui nous arrivait dans la vie était nécessairement lié à notre origine. Comme si nous n’étions jamais simplement malades ou amoureux.
Comme si l’une des facettes de notre identité, la plus évidente en fait, celle du faciès, primait sur toutes les autres et qu’il n’y avait que celle-là qui justifiait notre présence sur un plateau de théâtre ou de cinéma.
Heureusement, cela change un peu et on voit aujourd’hui certains acteurs comme Roshdy Zem ou Sami Bouajila jouer des rôles qui ne sont plus nécessairement de cet ordre-là mais ils sont
peut-être deux ou trois à avoir atteint ce stade d’une notoriété suffisamment grande pour faire « oublier » leur gueule.
Ils sont la pointe de l’iceberg. La grande majorité des autres acteurs et actrices issus des minorités ont encore la tête sous l’eau.
Cela prendra sans doute du temps mais on peut espérer qu’à terme plus personne ne trouvera incongru qu’un Noir ou un Arabe joue une partition qui n’ait rien à voir avec son origine.
Et quand je dis plus personne, je pense ici principalement aux producteurs et, dans une moindre mesure, aux réalisateurs. Parce que le public, lui, l’accepte tout à fait.
Jamais vous ne verrez quelqu’un sortir d’une salle de cinéma en criant au scandale parce que le personnage s’appelle Bruno et est joué par un acteur noir ou d’origine magrébine.
Par contre vous verrez des réalisateurs vous demander de jouer avec un accent pour faire plus
« crédible ». Comprenez par là qu’un Arabe qui parle correctement et sans fautes de français n’est pas réaliste…
Et vous verrez des producteurs s’opposer à ce que vous jouiez un rôle de médecin parce que même si le réalisateur vous veut, il n’était pas prévu que ce personnage soit arabe.
Le chemin est encore long.
Comment sortir d’un système de distribution où les comédiens issus de l’immigration
sont le plus souvent relégués à des rôles subalternes, ou pire, à des rôles les conduisant à
surjouer les stéréotypes ethniques ou raciaux imposés par la société, y compris quand on
s’appelle Omar Sy ?
À l’heure actuelle, je ne vois que la prise de conscience, l’envie et le courage politique des metteurs en scène et réalisateurs pour changer cet état de fait.
Ils sont ceux qui peuvent imposer les acteurs issus des minorités dans des rôles où on ne les attend pas. Ils sont ceux qui peuvent lutter avec les producteurs et les directeurs de casting pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.
Le changement viendra d’eux ou ne viendra pas.
J’ai rencontré récemment une metteuse en scène italienne qui m’expliquait qu’elle ne constituait que des distributions métissées parce qu’elle voulait coller à la réalité de la rue et qu’elle ne supportait plus le hiatus entre le réel et ses représentations qu’elles soient théâtrales ou cinématographiques.
Et bien, je pense que c’est de personnes comme elle, qui ont pris conscience de ce dont nous parlons depuis le début de cet entretien et qui ne le supportent plus, que viendra le changement.
Comment élargir le recrutement des lieux de formation aux métiers de la scène et du
plateau, sans pour autant tomber dans les travers et effets pervers d’une politique
volontariste ?
La première chose à faire, à mon avis, est de persuader ceux qui ont l’impression que ce monde leur est fermé qu’ils ont aussi leur place au théâtre et pas seulement dans la niche du stand-up. Car il y a aussi un effet de classe contre lequel il faut lutter.
Il y aurait d’un côté le théâtre d’art réservé à une certaine élite et d’autre part le théâtre
populaire souvent considéré avec mépris par le métier lui-même.
Je reste pour ma part persuadé que l’on peut faire du théâtre exigeant et de qualité et qui s’adresse en même temps au plus grand nombre.
Il faut casser l’image du théâtre qu’ont les classes populaires et en même temps casser l’image qu’a le milieu théâtral de ce que pourrait être un théâtre populaire pour tous.
Un grand chantier de réflexion devrait être mené sur ce que serait une diversité qui ne s’exprime pas seulement à travers le faciès ou le nom d’un artiste mais qui trouverait une expression dans le choix des contenus, des auteurs (pourquoi toujours les éternels mêmes anglo-saxons et pas aussi des auteurs « du sud »), des formes (théâtre classique mais aussi théâtre pauvre, et je pense ici à l’Ennemi dupeuple de Thomas Ostermeier, qui mélangeait les deux) pour créer des espaces où grands textes classiques et traditions orales et populaires pourraient coexister et se nourrir mutuellement signifiant par là même que rien n’est cloisonné et que les enfants des classes populaires souhaitant faire ce métier ne sont pas condamnés à la niche du Jamel Comedy club pour exister.
La « discrimination positive » importée du monde anglo-américain est-elle une solution efficace et légitime ?
Je suis et ai toujours été très méfiant vis-à-vis de la discrimination positive parce qu’elle peut évidemment avoir des effets pervers et pousser des propos ou des gens sans que l’exigence et la qualité soient au rendez-vous, simplement pour répondre à des quotas.
Mais quand on observe la situation des acteurs afro-américains aux États-Unis, on ne peut que reconnaître que le chemin qui a été parcouru en cinquante ans est énorme.
On peut voir aujourd’hui des acteurs issus de cette minorité mais aussi de la minorité hispanique jouer toutes sortes de rôles aussi bien au cinéma qu’à la télévision.
On les a vus passer du statut d’esclaves, à celui de meilleur ami du héros blanc qui meurt dans les vingt premières minutes du film et aujourd’hui à celui d’agent du FBI ou même de président des États-Unis sans que quiconque ne trouve à y redire.
Et même si des protestations et des exigences d’accès à tous les rôles ont été formulées ces dernières années, notamment à la cérémonie des Oscars, ils semblent jouir d’une plus grande latitude que de ce côté-ci de l’Atlantique.
On peut à mon avis encore attendre un bon moment avant de voir un président noir en France aussi bien dans la fiction que dans le réel.
Je pense que malgré le racisme qui secoue la société américaine, les Américains ont accepté, et c’est lié à leur histoire de pays d’immigration, qu’on puisse être américain et noir ou américain et latino etc., alors que l’Europe continue à se vivre comme blanche et chrétienne et refuse encore d’accepter qu’on puisse se dire Européen et avoir la tête que j’ai.
Quant à quantifier exactement l’influence de l’impact qu’a pu avoir la discrimination positive sur cette évolution…
Assiste-t-on à une crise de la représentation sur les scènes européennes, du fait de la
faible représentation d’artistes issus de l’immigration au sein de l’espace public et
médiatique ? Quelle est la responsabilité de l’artiste dans une telle configuration ?
Je pense que la réponse est évidente pour qui veut bien le voir. Que ce soit à l’assemblée nationale, dans les médias, ou sur nos scènes le monde qu’on nous donne à voir est quasiment exclusivement masculin et blanc.
Pour ma part je pense que l’art est une sorte de miroir grossissant de ce qui se passe dans la société de manière plus large.
Et ce que ce miroir nous montre en ce moment c’est d’une part une société européenne qui se vit encore comme blanche, chrétienne et caucasienne alors qu’elle ne l’est plus et refuse d’envisager qu’on puisse être européen et noir, européen et asiatique ou encore européen et musulman.
Et d’autre part des gamins d’Europe, fils d’Europe qui devant ce refus se réclament dès lors d’ailleurs et voudraient la faire crever.
Alors peut-être, dans un monde qui ne cesse de se fracturer, est-il de notre devoir en tant que miroir de renvoyer à ceux qui viennent s’y regarder une autre image d’eux-mêmes et du monde qui nous entoure. Parce que la rue, la vraie, est d’un métissage qui tranche net avec la composition des distributions de nos institutions culturelles.
Questionnaire réalisé par Martial Poirson. Propos recueillis par Christian Jade.
Entretien recueilli dans le cadre de l'enquête parue dans le #133 d’Alternatives théâtrales, Quelle diversité sur les scènes européennes ?.