“Il ne faudrait pas que l’histoire cache le présent d’une autre fracture”

Entretien
Théâtre

“Il ne faudrait pas que l’histoire cache le présent d’une autre fracture”

Entretien avec Paul Rondin

Le 26 Juin 2017
"FIGNINTO - L'ŒIL TROUÉ" de Seydou Boro. Photo Margo Tamizé
"FIGNINTO - L'ŒIL TROUÉ" de Seydou Boro. Photo Margo Tamizé
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Alter­na­tives théâ­trales : Il est d’usage aujourd’hui de cri­ti­quer les théâtres publics au motif de leur inca­pac­ité à inté­gr­er la diver­sité cul­turelle de nos sociétés mul­ti­cul­turelles. Existe-t-il, selon vous, un prob­lème spé­ci­fique d’accès des artistes issus de l’immigration aux scènes européennes ? 

Paul Rondin : Il existe sur les scènes un incon­testable défaut de représen­ta­tion de la société comme elle est aujourd’hui : cos­mopo­lite et pluri­cul­turelle. Nos plateaux ne le sont pas assez. Cela exprimé, il est un peu rapi­de de mon­tr­er du doigt les seuls théâtres publics qui sont le reflet de la société française et de cer­tains pays européens restés très con­ser­va­teurs en matière de cos­mopolitisme. Il n’y a qu’à voir le per­son­nel poli­tique actuel.

A.T. : Com­ment se traduit l’injonction con­tra­dic­toire des pou­voirs publics sur ce qui est devenu un enjeu poli­tique d’affichage et de vis­i­bil­ité, tout en soule­vant des débats de fond au sein d’une société mar­quée par la frac­ture colo­niale ?

P. R. : En quoi l’injonction serait elle con­tra­dic­toire ? Les pou­voirs publics sont dans leur rôle lorsqu’ils font du sujet de la diver­sité un enjeu poli­tique, de même lorsqu’ils aler­tent, inci­tent, accom­pa­g­nent les opéra­teurs cul­turels publics dans la prise en main du sujet. J’ai le sen­ti­ment que la frac­ture colo­niale dont vous par­lez est une his­toire non résolue que poli­tiques, his­to­riens, artistes doivent con­tin­uer de tra­vailler, mais il ne faudrait pas que l’histoire cache le présent d’une autre frac­ture, sociale celle-ci et qui en bien des points est au cœur de la ques­tion de la diver­sité absente.

A.T. : Il sem­ble que le théâtre soit à la traine d’une ten­dance à la diver­si­fi­ca­tion des artistes sen­si­ble en par­ti­c­uli­er dans la danse ou la musique, et à plus forte rai­son dans l’audiovisuel, depuis des années ? Pourquoi une telle résis­tance ou réti­cence ?

P. R. : Peut-être que le théâtre dans sa tem­po­ral­ité lente mais durable est moins immé­di­ate­ment réac­t­if, ce qui ne jus­ti­fie rien mais peut expli­quer en par­tie ce retard. Sans doute devri­ons-nous aus­si rap­procher cet état de fait de la ques­tion socio-lin­guis­tique. Art du texte, de la parole, le théâtre pose dès le départ un obsta­cle qui est la con­fi­ance en soi et dans sa maitrise de la langue, dans un reg­istre générale­ment soutenu, celle qu’on acquiert, ou pas, dans sa famille et à l’école.

A. T. : Com­ment expli­quer la plus grande capac­ité appar­ente des théâtres privés et du show busi­ness à assur­er la pro­mo­tion des artistes issus de l’immigration, à la façon du Com­e­dy Club ini­tié par Jamel Deb­bouze ? 

P. R. : Si l’on par­le du stand-up, il s’agit sou­vent d’un genre qui tord le miroir du quo­ti­di­en et naturelle­ment se retrou­ve plus proche de la société comme elle est, moins dans une représen­ta­tion que dans une analyse immé­di­ate et per­son­nelle. Pour moi ce n’est pas com­pa­ra­ble, il s’agit de domaines égale­ment néces­saires mais rem­plis­sant des fonc­tions dif­férentes et com­plé­men­taires.

A. T. : Peut-on dire que le spec­ta­cle vivant en France est encore pris­on­nier d’un « sys­tème d’emplois » d’autant plus effi­cace qu’il ne se déclare pas comme tel, voire qu’il n’a pas con­science de lui-même ? Peut-on y voir la résur­gence d’une his­toire du théâtre mar­quée par les spec­ta­cles exo­tiques, freaks shows ou encore slide shows, dont Sarah Baart­man la « vénus hot­ten­tote » ou « vénus noire »,  le clown Choco­lat et la danseuse Joséphine Backer ne sont que les fig­ures sail­lantes ? 

P. R. : Non. Il n’y a qu’à pren­dre l’exemple de la Comédie Française dont la troupe se diver­si­fie peu à peu. Ce n’est pas pour cela que les intéressés se voient attribuer des rôles « exo­tiques ».

A. T. : Com­ment sor­tir d’un sys­tème de dis­tri­b­u­tion où les comé­di­ens issus de l’immigration sont le plus sou­vent relégués à des rôles sub­al­ternes, ou pire, à des rôles les con­duisant à sur­jouer les stéréo­types eth­niques ou raci­aux imposés par la société ?

P. R. : En con­sid­érant l’acteur non pas pour ce qu’il représente lui, mais pour l’interprétation qu’il donne au texte, com­ment il agrandit les mots par son art. C’est lorsque le théâtre veut être au plus près du réel qu’il se perd. Des comé­di­ens issus de l’immigration qui ne jouent que des stéréo­types de l’immigration cela s’appelle du mau­vais théâtre, c’est ce que le tra­duc­teur automa­tique est à la tra­duc­tion.

A. T. : Le théâtre souf­fre-t-il d’une forme d’inconscient cul­turel colo­nial ? 

P. R. : Oui comme toute la société.

Pro­pos recueil­lis par Mar­tial Poir­son et Sylvie Mar­tin-Lah­mani.

La suite de cette entretien sera prochainement publiée sur notre site, dans le dossier que nous consacrerons aux défis de la diversité sur les scènes européennes.

 

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