Ne pas jouer la question de la diversité contre celle de l’égalité
Entretien

Ne pas jouer la question de la diversité contre celle de l’égalité

Entretien avec Maxime Tshibangu, réalisé par Lisa Guez (mai 2017)

Le 26 Mai 2017
Ruth Olaizola, Anthony Moreau, Davis Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans dans Ça ira, Fin de Louis de Joël Pommerat. Photo Elizabeth Carecchio.
Ruth Olaizola, Anthony Moreau, Davis Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans dans Ça ira, Fin de Louis de Joël Pommerat. Photo Elizabeth Carecchio.
Ruth Olaizola, Anthony Moreau, Davis Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans dans Ça ira, Fin de Louis de Joël Pommerat. Photo Elizabeth Carecchio.
Ruth Olaizola, Anthony Moreau, Davis Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans dans Ça ira, Fin de Louis de Joël Pommerat. Photo Elizabeth Carecchio.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 133 - Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes?
133
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Extraits

LG : La recette éprou­vée avec un relatif suc­cès, par cer­tains théâtres privés issus du show busi­ness et de l’industrie du diver­tisse­ment, à la façon du Com­e­dy Club ini­tié par Jamel Deb­bouze, est-elle trans­pos­able dans le cadre du théâtre d’art ?

MT : Le Com­e­dy Club est un théâtre que Djamel a ouvert avec ses fonds pro­pres. Il a don­né une vis­i­bil­ité incroy­able à des comé­di­ens qui n’en avaient aucune. Aujourd’hui, des artistes font car­rière loin du Com­e­dy Club et c’est lui qui leur a mis le pied à l’étrier. Il a fait la pro­mo­tion d’artistes issus des quartiers pop­u­laires. Donc, pour cela, bra­vo ! Est-ce que ce sys­tème est trans­pos­able dans le cadre du théâtre d’art, du théâtre pub­lic ? Cela voudrait dire qu’il y ait un lieu en France, un théâtre, qui ait à sa tête un directeur issu de « la diver­sité » qui se soit don­né con­tre celle de l’égalité pour ambi­tion de présen­ter un théâtre faisant la pro­mo­tion du tra­vail de met­teurs en scène issus de la diver­sité, des quartiers pop­u­laires… quelqu’un qui ait pour mis­sion de ten­dre la main à une soci­olo­gie iden­tique de met­teur en scène et d’artiste. Est-ce pos­si­ble, je ne sais pas. Est-ce souhaitable ? Moi, dans l’absolu je veux que les tal­ents de toutes orig­ines puis­sent s’exprimer dans des espaces, et non pas faire d’un lieu un théâtre réservé aux minorités eth­niques.

LG : Le théâtre souf­fre-t-il d’un forme d’inconscient cul­turel colo­nial et si tel est selon vous le cas, com­ment le com­bat­tre ?

MT : La société française se perçoit comme étant un pays de « blocs ». C’est une ques­tion qui dépasse le théâtre. On conçoit la mul­ti eth­nic­ité intel­lectuelle­ment, mais au quo­ti­di­en on est dans un imag­i­naire de la France comme étant un pays de Blancs. Il faudrait réus­sir à appréhen­der la société française comme étant con­sti­tuée de gens aux épi­der­mes dif­férents. Mais j’ai l’impression qu’il y a un blocage psy­chologique qui vient peut- être aus­si de la façon dont on nous enseigne notre his­toire. La manière d’appréhender la ques­tion colo­niale dans l’éducation nationale joue peut-être un rôle dans cet incon­scient col­lec­tif qui nous empêche de nous penser comme unis. Je pense qu’on est nom­breux à estimer que la France a un rap­port prob­lé­ma­tique à ses anci­ennes colonies et que cette opac­ité pose un gros prob­lème de démoc­ra­tie. La ques­tion n’est pas de cul­pa­bilis­er la France mais sim­ple­ment de trans­met­tre et d’enseigner de manière hon­nête l’histoire colo­niale. Le rap­port que l’on a avec la guerre d’Algérie, par exem­ple, est symp­to­ma­tique. On est inca­pables de met­tre les choses sur la table sim­ple­ment, et on s’étonne qu’il y ait ensuite des a pri­ori dans les esprits. Le tra­vail, c’est de se ren­dre compte que, de façon incon­sciente, on est con­stru­its d’a pri­ori qui nour­ris­sent notre rap­port à nous-même et aux autres. Si je suis stig­ma­tisé, j’aurais ten­dance à me percevoir moi-même comme quelqu’un qui doit se révolter. Mais je con­sid­ère que je n’ai pas à revendi­quer que « je suis comme vous ». Je le suis, c’est tout. Ce n’est pas à moi de chang­er ou de me bat­tre pour prou­ver aux autres que je suis leur égal, mais aux autres de chang­er leur regard sur moi. J’essaie de vivre ma vie, je n’ai pas envie d’être pol­lué par la ques­tion de ma dif­férence, parce que fon­da­men­tale­ment je ne suis pas dif­férent de vous. J’ai bien con­science que je vis dans un pays où le FN fait plus de 30% et que ce dis­cours raciste, je l’entends depuis une ving­taine d’années, voire plus, mais je n’ai pas envie de me laiss­er enfer­mer dans des prob­lé­ma­tiques eth­niques.

LG : Quels sont, selon vous, les leviers par lesquels est sus­cep­ti­ble de s’opérer la pro­mo­tion d’artistes issus de cul­tures minorées ?

MT : J’observe que depuis un an ou deux des hommes impor­tants dans le paysage théâ­tral français comme Stanis­las Nordey ou Stéphane Braun­schweig affron­tent la ques­tion. Il y a des reven­di­ca­tions qui inter­pel­lent la réal­ité. Leur démarche n’est pas banale, elle est née de la con­cer­ta­tion de plusieurs artistes, et je crois beau­coup en cette manière de procéder. Réu­nir des gens du théâtre, se con­cert­er, faire un état des lieux et voir ce qu’on peut faire ensem­ble. C’est plus intéres­sant qu’une mesure poli­tique rad­i­cale de dis­crim­i­na­tion pos­i­tive qui occul­terait le vrai prob­lème social comme un cache-mis­ère. Même si un encour­age­ment des pou­voirs pub­lic ne serait pas de trop. Je pense que le théâtre est un petit monde d’entre soi où les gens ne sont pas mal inten­tion­nés, mais il y a des habi­tudes à rompre. Fon­da­men­tale­ment, il faut con­tin­uer à débat­tre, à ques­tion­ner ce thème de « la diver­sité ». Mais, de mon point de vue, cela entre dans le cadre d’un débat beau­coup plus large sur la ques­tion de la lutte des class­es. Il faut que les caté­gories les plus pau­vres puis­sent avoir accès aux espaces les plus pres­tigieux du théâtre français.

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Écrit par Lisa Guez
Lisa Guez est doc­tor­ante en études théâ­trales, elle rédi­ge une thèse sur les mis­es en scènes con­tem­po­raines de...Plus d'info
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