Antoine Laubin : Quels sont les grands enjeux qui traversent actuellement l’institution théâtrale en France, sensiblement depuis juillet dernier ?
Marie-José Malis : En dehors de l’épisode symptomatique de juillet 2017, l’institution théâtrale doit pouvoir remettre à jour avec dynamisme l’inscription du théâtre dans la vie des individus et des collectifs. Il y a un travail presque historique qui s’engage : un travail de redéfinition et de ré-appropriation des catégories qui ont régi la politique théâtrale depuis des décennies. On peut constater que cela fait très longtemps que les directeurs de structures, artistes ou non, n’ont pas été à l’origine des énoncés qui régissent la politique culturelle. Qu’ils sont les héritiers ou les victimes d’un discours un peu lointain, un peu délié de la réalité. L’enjeu principal, selon moi, est de travailler à mettre au clair des catégories appropriables, dynamiques, pour pouvoir lancer une séquence expérimentale où faire travailler à plein régime de nouvelles intuitions, qui concernent à la fois la recherche en art mais également l’alliance que l’art théâtral et son institution peuvent sceller avec la population. Il faut redevenir très concret et précis. Nous devons mettre en œuvre des dispositifs « modélisant » pour que les choses se clarifient à nouveau. Depuis juillet, les CDN ont décidé de tenir des rassemblements de travail. Le deuxième a eu lieu le week-end dernier, et c’est passionnant ! On s’interroge actuellement sur la façon dont on pourrait sortir de l’économie de production/diffusion dans laquelle nous sommes, qui est une économie marchande. Comment redevenir des artistes chercheurs ? Il s’agit d’émettre des hypothèses et de les expérimenter.
AL Avez-vous l’impression que cette démarche trouve un écho auprès des pouvoirs publics, au niveau du ministère de la Culture et au niveau local ?
MJM Je pense que nous sommes entendus tant auprès du ministère de la culture et de son administration que des conseillers du Premier ministre. Il me semble que ceux-ci comprennent la nécessité politique qui est la nôtre. La France a de nouveaux besoins culturels. Les périls et les problèmes ont été tels que nous nous trouvons dans un moment proche de celui qui a débouché sur la décentralisation. Des populations exclues sont en train de dévisser. Nous sommes confrontés à un accroissement de la pauvreté et à une classe moyenne qui se sent en plein déclassement. La culture ne remplit plus pour eux la fonction d’ascenseur social. Ces constats-là sont partagés au cabinet du Premier ministre. La nécessité d’un nouveau pacte républicain pour la culture semble y trouver écho. Mais certaines déclarations de la ministre Françoise Nyssen viennent semer le doute ou la consternation. Le « Pass culture » n’est certainement pas une réponse satisfaisante !