Du Teatrum Mundi à l’Overview effect

Entretien
Théâtre

Du Teatrum Mundi à l’Overview effect

ENTRETIEN AVEC VALÉRIE BATTAGLIA, DRAMATURGE

Le 19 Juil 2018
Teatrum mundi, Giulio Camilio, Théâtre de mémoire (1530) d’après Frances Yates L’art de la mémoire, Gallimard, 1975.
Teatrum mundi, Giulio Camilio, Théâtre de mémoire (1530) d’après Frances Yates L’art de la mémoire, Gallimard, 1975.

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Teatrum mundi, Giulio Camilio, Théâtre de mémoire (1530) d’après Frances Yates L’art de la mémoire, Gallimard, 1975.
Teatrum mundi, Giulio Camilio, Théâtre de mémoire (1530) d’après Frances Yates L’art de la mémoire, Gallimard, 1975.
Article publié pour le numéro
135
Valérie Battaglia Lebrun, École Normale Supérieure, Université de Paris III, a consacré ses études au théâtre ouvrier durant l’entre-deux-guerres et à la figure de la mise en abyme et de l’apocalyptique. Elle travaille comme coautrice et dramaturge sur de nombreux spectacles et écrit pour des œuvres contemporaines.

LVG
À quoi sert la dra­maturgie, d’un point de vue général et his­torique ?

VB G.E. Less­ing est le pre­mier à utilis­er le mot « dra­maturgie » le préférant au terme usité « didas­calies ». Il n’écrit pas un traité mais 104 « livraisons » rassem­blées dans sa Dra­maturgie de Ham­bourg entre 1767 et 1768. C’est un exer­ci­ce de pra­tique cri­tique, et déjà, comme le souligne Han­nah Arendt qui reçut le Prix Less­ing en 19591, la dra­maturgie est placée sous le triple souci de la bien­veil­lance, de l’amitié et de la lib­erté. Less­ing utilise ce mot « dra­maturgie », pour inau­gur­er un théâtre intrin­sèque­ment poli­tique. Il casse les codes pour don­ner à penser, pour laiss­er respir­er la créa­tion, pour semer ses « fer­men­ta cog­ni­tio­n­is ». La rela­tion du dra­maturge à l’auteur, au met­teur en scène, c’est le don de la con­ver­sa­tion bien­veil­lante. C’est la respon­s­abil­ité du sens à venir selon l’élégante for­mule de Jacques Der­ri­da. C’est le choix de la con­nex­ion et le rejet du sur­plomb. L’accueil de la con­tra­dic­tion et de la déviance.

LVG
Tu as tra­vail­lé comme dra­maturge sur Amor­Mun­did’après Han­nah Arendt mis en scène par Myr­i­am Saduis, et aus­si avec Emmanuel Tex­er­aud. Com­ment envis­ages-tu ton tra­vail de dra­maturge ?

VB C’est en tra­vail­lant avec Myr­i­am Saduis que m’est venu le mot « dra­maturg­er » – un verbe qui man­quait à la langue. Dra­maturg­er, c’est d’abord nous « accom­mod­er »2à un immense cor­pus de textes. Lire et échang­er, rechercher l’overview effect3, cette prise de con­science pro­fonde, ce choc cog­ni­tif provo­qué par la vision pour la pre­mière fois de la Terre sus­pendue dans le cos­mos depuis son orbite. D’emblée, j’ai voulu l’incorporer à la dra­maturgie d’Amor Mun­di. L’over view effect cor­re­spond à l’esthétique con­tem­po­raine du teatrum mun­di.

Le théâtre post-dra­ma­tique repousse le texte, le sens, et la nar­ra­tion hors du plateau. Elle les laisse seuls, livrés « tout crus » à la fureur de la société du « post ». C’est une entorse à cette doxaque je tente de provo­quer avec les met- teurs en scène. Bien sûr, il faut ques­tion­ner le « dra­ma­tique », mais je penche plutôt vers une revi­tal­i­sa­tion des proces­sus du théâtre épique, brechtien, pis­ca­to­rien… où le con­tenu se « pré­ci- pite » dans une nou­velle forme dra­maturgique qui décon­stru­it l’ancienne forme dont nous sommes les héri­tiers et les passeurs. Dra­maturg­er, c’est partager cette énergie créa­trice, cette ten­sion pour repouss­er le mur du vis­i­ble, pour « voir le lan­gage »4, voir les sphères spi­rales du teatrum mun­di. C’est la pos­si­bil­ité d’une « diplo­matie », d’une négo­ci­a­tion des répliques. La diplo­matie des répliques, cela me plaît beau­coup, car on rejoint ain­si la philoso­phie. Les deux mots impliquent la dialec­tique et le dépliement5.

Un des enjeux du dra­maturge est de ten­ter de se charg­er du poids du savoir le plus lourd. De fray­er un espace désen­com­bré, d’en retir­er tout le bavardage. De trans­former un fagot de bûch­es en con­stel­la­tion de points de con­nex­ion. Et de laiss­er advenir. Le dra­maturge engage sa respon­s­abil­ité en regard du met­teur en scène et des comé­di­ens dans la con­struc­tion et l’inter- pré­ta­tion du sens à venir, par-delà le brouha­ha de l’actualité. Il ouvre par là une qual­ité de calme où le tra­vail artis­tique peut se déploy­er. Le théâtre est art poli­tique par excel­lence et la philoso­phie est une guéril­la con­tre les dom­i­na- tions, pour­rait-on dire en asso­ciant Arendt et Deleuze en une seule for­mule. Un théâtre non poli­tique devient un théâtre de la représen­ta­tion des formes du pou­voir, ce qui ne m’intéresse pas.

LVG
Com­ment s’est passé la ren­con­tre avec Myr­i­am Saduis et pourquoi avez-vous com­mencé à tra­vailler ensem­ble ?

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Théâtre
VALÉRIE BATTAGLIA
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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