La philosophie et le spectacle sont des domaines fondamentalement différents, quasi antithétiques. Le spectacle est saisissement d’une image et d’un sens qui frappent au cœur de l’esprit et qui le captent par le corps et la voix. La réflexion philosophique requiert au contraire un arrêt de la durée, un retour indéfini sur soi, où la pensée sans cesse revient sur les formules qu’elle élabore : elle les recompose, les affine et les affute dans une liberté verticale, sans souci d’un rythme obligé de développement. Une idée bouge dans la page, elle nage et brasse des arguments : elle allonge des théories comme on étire le réel pour atteindre son point ultime. Qu’elle soit création de concepts ou méditation sur nos questions fondamentales, l’enjeu de la philosophie est toujours la connaissance, l’analyse autant que l’intuition d’un savoir mis à disposition de la discussion et du raisonnement. Rien de tel avec la scène, où tout est immédiat, où ce qui est visé est l’émotion, le choc de la présence et l’impact des situations, où toute réflexion s’inscrit dans une action, dans un suspense ou une suspension, mais qui a toujours un rapport avec le temps compté, avec le compte à rebours de la fin du drame.
La scène nous prend à l’estomac. Des siècles d’écriture dramatique ont pu faire croire que l’incarnation des acteurs cherchait à illustrer un texte par un déploiement psychologique pour atteindre l’effet de réel dont a besoin toute narration.