FABIÁN DIAZ

Non classé
Théâtre

FABIÁN DIAZ

Los hombres vuelven al monte (Les hommes retournent au maquis) 2014

Le 20 Avr 2019
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 137 - Noticias argentinas - Perspectives sur la scène contemporaine argentine
137

Scène 1
Août 1982
Tu n’as pas le tam­pon. Ici, sur la pho­to et l’empreinte, il doit y avoir un tam­pon. Ils ne sont pas en règle. Ils ne te les signeront pas. Ils n’ont jamais été en règle. Mes papiers d’identité n’ont aucune valid­ité depuis ces dernières années, parce qu’il manque un tam­pon sur la pho­to, qu’ils dis­ent. Faites refaire vos papiers. Recom­mencez la procé­dure. C’est ain­si qu’on décou­vre qu’on n’est pas en règle, en faisant analyser mon dossier pour com­mencer à tra­vailler à la mairie Sans papiers, pas de tra­vail. Revenez quand vous aurez la sig­na­ture. Je veux sor­tir. Et com­ment va la Vicen­ta ? Me demande la pré­posée. Je la regarde. Elle est vieille, je lui dis. La pau­vre, dit la pré­posée, tran­spi­rante. Aucune des choses que j’avais faites n’était valide. Rien, rien. Depuis mes 21 ans, rien de valide. Et qu’est-ce qu’il se passe main­tenant ? Il ne se passe rien. Per­son­ne ne peut rien vous réclamer, me dit la pré­posée. Mais si quelqu’un vous refuse une procé­dure. Vous non plus vous ne pour­riez rien réclamer. Vous me com­prenez ? Non, dis-je. Et toutes ces copies dis­tribuées par-ci par-là ? Elles ne sont pas valides. Je me suis mar­ié avec ces papiers, je dis. Rien, dit-elle. Mon fils… Rien. Ils auraient dû vous met­tre un tam­pon ici, là où il y a la pho­to et l’empreinte dig­i­tale du pouce droit. La femme est grosse et noire. Noire de soleil, brûlée. De celles qui se sont brûlées quand elles étaient gamines. Beau­coup d’enfants se brû­lent quand ils sont petits, ici. C’est comme ça qu’étaient toutes les employées munic­i­pales. C’est comme ça qu’était celle qui aurait dû lui met­tre le tam­pon, Quand mon père eut 21 ans et qu’il revint du Sud. Une femme grosse, noire et brûlée de soleil, Qui oublia de lui met­tre un tam­pon. Mon père a emmé­nagé seul. Moi je vais vivre seul. Il faut que je net­toie main­tenant. Les couteaux de la pêche, je net­toie ça… Ils sont tout rouil­lés. Je net­toie les couteaux. Avant c’est la Vicen­ta qui net­toy­ait. Elle venait et elle net­toy­ait. Elle net­toy­ait mes affaires. Elle aime les choses pro­pres, la Vicen­ta. Je préfère que les choses soient pro­pres, elle dis­ait. La Vicen­ta rangeait tout dans des tiroirs. J’y mets les choses les plus petites : des grandes cuil­lères à soupe, à dessert, à café. J’aime bien les cuil­lères. J’y mets les hameçons de pêche de Rodríguez. La Vicen­ta, c’est la femme de Rodríguez. Rodríguez est son homme chéri. Ils sont pour la mer et la riv­ière, les hameçons. Moi je ne vais jamais à la mer. Ça fait des années que je n’y vais pas. Mais il y a des hameçons, dis­ait Rodríguez. Je me suis ren­du compte que les habitu- des changeaient, dit la Vicen­ta. C’est à cause du change­ment des habi­tudes. Qu’on se rend compte des années qui passent. Rodríguez prend du poids et en perd, le temps passe. Un jour mon père décide de s’en aller dans la mon­tagne. Avant de m’en aller, j’ai vu la Vicen­ta sur les march­es de l’église. J’ai rebroussé chemin, comme pour lui dire que je ne reviendrais pas. Copi­ant ses pas, Gauche et droite, simul­tané­ment. Simul­tané­ment avec elle. C’est ici que je garde les balles, dans ce tiroir. Des vieilles et des nou­velles balles. Il y a des vieilles qui ser­vent encore, et d’autres non. Il y a des balles pour des armes et des cal­i­bres dif­férents. Rodríguez ne va plus à la chas­se, il est malade. Moi j’aime chas­s­er. Sur les escaliers du Sacré-Cœur, je l’ai vue. C’est un escalier énorme, elle allait prier pour Rodríguez, pour qu’il repose en paix, il était mort peu de temps avant, et la Vicen­ta lui adres­sait des prières pour qu’il ne l’oublie pas. Elle est très fréquen­tée les week-ends, l’église, et donc elle ne m’a pas vu. Je fais marche arrière, je me cogne con­tre tout ce que je peux. Vicen­ta, je pars dans la mon­tagne, voilà ce que je veux lui dire. Deux mètres, un mètre, cinquante cen­timètres. Elle ne se rend pas compte de ma présence, à cause du vent. Le vent doit emporter mon odeur vers l’arrière. Je sens les nouilles à la tomate, qu’elle dit. Elle ne se rend pas compte. Elle marche lente­ment, porte une sacoche, sûre- ment avec des vête­ments à recoudre. L’escalier est long. Épuisant. La Vicen­ta et moi. Elle ne me voit pas, je ne lui dis rien, et je ne la revois jamais. C’est ici que je mets les armes, dans ces tiroirs. Je n’en ai pas beau- coup. Les néces­saires. J’ai tou­jours le mode d’emploi. Un homme dis­paraît. Ils par­laient de per­ver­sion. Et de l’ab- surde. Délin­quance mar­i­tale. Quand un fait affecte l’esprit. Avec tant de force cela vaut la peine de cess­er d’y penser. Dit un arti­cle dans un jour­nal. Ils par­lent de moi. J’ai aban­don­né ma femme, mon fils, ma vieille mère et je suis venu dans la mon­tagne. Dans les tiroirs de la Vicen­ta, Des choses moins pré­cis­es, Hmmm, je ne sais ce qu’elles sont au juste. Ce sont des choses que je ne com­prends pas bien Des pho­tos, je ne com­prends pas les pho­tos, Je ne sais pas quelle sorte de choses sont les pho­tos. J’ai oublié qui m’a pris en pho­to. […]

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fabian diaz
Extrait d'œuvre théâtrale
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