Le centquatre, à la croisée des disciplines plastiques et scéniques

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Le centquatre, à la croisée des disciplines plastiques et scéniques

Entretien avec José-Manuel Gonçalvès et Julie Sanerot

Le 28 Oct 2019
Photo Jean-François Spricigo, artiste associé au CENTQUATRE.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 138 - Arts de la scène et arts plastique
138

Sylvie Mar­tin-Lah­mani — Pour­rais-tu nous dire, José-Manuel, d’où te vient le désir d’accueillir au cen­tqua­tre-paris des oeu­vres aux formes hybrides nées de l’union des arts plas­tiques et scéniques ?

José-Manuel Gonçalvès — Je m’intéresse aux oeu­vres « pluri » ou « mul­ti » en général. Je suis d’abord attiré par la moder­nité d’un art ou d’une forme. Mon rap­port au théâtre est déter­miné par mon rap­port à la cité. Je m’intéresse à un théâtre qui se frotte à d’autres formes d’art con­tem­po­rain et qui racon­te un monde. Le théâtre m’a per­mis d’observer la vie dif­férem­ment. C’est un endroit qui aspire la société et qui m’inspire. J’ai tou­jours aimé le con­fron­ter à d’autres formes artis­tiques (plas­tiques, choré­graphiques…), et observ­er la coag­u­la­tion qui s’opère entre celles-ci, entre leurs fonc­tions péd­a­gogiques, sym­bol­iques et cri­tiques…

Sylvie Mar­tin-Lah­mani — Quels sont tes pre­miers sou­venirs scéniques et plas­tiques mar­quants ?

José-Manuel Gonçalvès - Les Heures blanch­es1, mis en scène par Didi­er Bezace et Jacques Nichet, avec des décors et cos­tumes de Yan­nis Kokkos, ont été un véri­ta­ble choc pour moi. Ce spec­ta­cle par­lait d’un homme en train de suiv­re une psy­ch­analyse, en dia­logue avec son thérapeute. Tout se pas­sait sur le plateau autour d’une Fiat 500. Un corps métallique représen­tant la société de con­som­ma­tion et un corps-cerveau essayant de sur­vivre et de trou­ver sa place dans le monde. Je garde le sou­venir d’une forme épurée plas­tique­ment, et d’un comé­di­en hors norme, Didi­er Bezace, abor­dant des ques­tions de psy­cholo­gie et de soci­olo­gie urbaine qui m’importent. Ce spec­ta­cle m’a per­mis d’évacuer l’idée qu’un spec­ta­cle doit pass­er par la réflex­ion ou l’émotion. Quand on vient d’un milieu pop­u­laire comme moi, c’était ras­sur­ant de savoir qu’on pou­vait ressen­tir une oeu­vre et ten­ter de lui don­ner du sens avec son bagage cul­turel, quel qu’il soit.
Les oeu­vres scéniques qui m’ont le plus touché, asso­cient sou­vent les arts visuels à une scéno­gra­phie épurée. J’ai été très influ­encé par les créa­tions de William Ken­tridge et notam­ment Ubu tells the Truth, mais aus­si par l’artiste pein­tre por­tu­gaise – dont je partage la cul­ture –, Maria Hele­na Vieira Da Sil­va. Au sens lit­téral : son tra­vail m’a tapé dans l’oeil, bat­tu au coeur et per­mis de réfléchir. Sa manière de livr­er bataille entre fig­u­ra­tion et abstrac­tion a forgé mon regard. Sa façon de don­ner du mou­ve­ment dans ses toiles (plutôt que de la pro­fondeur) m’a rap­proché de la scène. J’ai aus­si été pro­fondé­ment frap­pé par l’oeuvre de Patrice Chéreau, pétri par la musique jazz…
Dès mes débuts de pro­gram­ma­teur il y a plus de trente-cinq ans, j’ai cher­ché à associ­er le théâtre et la musique avec les arts plas­tiques, à don­ner une dimen­sion visuelle à l’espace pub­lic. Je pense en ter­mes d’« urban­isme cul­turel ».

Eman Hussein, artiste sélectionnée pour le projet Halaqat à La Bellone en 2022. Photo Céline Burnand.
Eman Hus­sein, artiste sélec­tion­née pour le pro­jet Halaqat à La Bel­lone en 2022. Pho­to Céline Bur­nand.
Eman Hussein, artiste sélectionnée pour le projet Halaqat à La Bellone en 2022. Photo Céline Burnand.
Eman Hus­sein, artiste sélec­tion­née pour le pro­jet Halaqat à La Bel­lone en 2022. Pho­to Céline Bur­nand.
Eman Hussein, artiste sélectionnée pour le projet Halaqat à La Bellone en 2022. Photo Céline Burnand.
Eman Hus­sein, artiste sélec­tion­née pour le pro­jet Halaqat à La Bel­lone en 2022. Pho­to Céline Bur­nand.

Sylvie Mar­tin-Lah­mani — Au cen­tqua­tre, vous accueillez aus­si bien des spec­ta­cles que des grandes expo­si­tions. Qu’est-ce qui t’intéresse dans l’évolution de l’art con­tem­po­rain ces dernières années ?

José-Manuel Gonçalvès — Je m’intéresse notam­ment à la manière dont ils s’adressent au pub­lic. Les arts plas­tiques, con­tem­po­rains ou visuels, ont longtemps ignoré le rôle du pub­lic. Comme s’ils pou­vaient unique­ment se dévelop­per grâce à un réseau de pro­fes­sion­nels, de cri­tiques et grâce à une économie, sans le regard des spec­ta­teurs-vis­i­teurs ? Je ne veux pas dire que les artistes ne voulaient pas de pub­lic, mais cette con­fronta­tion ne sem­blait pas essen­tielle. Est-ce qu’au final, en se libérant de cette con­trainte du pub­lic, on est plus créat­ifs ? J’ai répon­du à cer­taines de ces ques­tions de manière plus ou moins con­tra­dic­toire depuis que j’exerce ce méti­er. En tout cas, force est de con­stater que l’arrivée de l’art con­tem­po­rain dans des lieux emblé­ma­tiques, comme Jeff Koons au Château de Ver­sailles, ou l’avènement de man­i­fes­ta­tions comme Nuit Blanche où l’art con­tem­po­rain investit la cité à grande échelle, ont mod­i­fié ce rap­port. Depuis une ving­taine d’années, la fréquen­ta­tion mas­sive du pub­lic joue sur la notoriété de l’artiste. Sa récep­tion agit directe­ment sur sa cote. L’arrivée de l’art con­tem­po­rain dans l’espace pub­lic (« ouvert », le théâtre étant aus­si un espace pub­lic « fer­mé), est entré en con­cur­rence avec des formes de théâtre dites de rue. L’un des échecs du théâtre de rue, me sem­ble-t-il, est dû au fait que l’art con­tem­po­rain devient un art pub­lic (et donc pop­u­laire) au même titre que celui-ci, et qu’il n’est pas porté par l’intelligentsia qui accom­pa­gne l’art con­tem­po­rain.

Sylvie Mar­tin-Lah­mani — Con­traire­ment à des nom­breux lieux de pro­gram­ma­tion qui se con­cen­trent sur la présen­ta­tion de spec­ta­cles − par choix ou par con­trainte archi­tec­turale −, le cen­tqua­tre-paris sem­ble ouvert à toutes les dis­ci­plines scéniques et plas­tiques, et surtout avide de ren­con­tres inso­lites.

Julie Sanerot — Nous ne réfléchissons pas par dis­ci­pline. On n’invite jamais des plas­ti­ciens, sans songer à les emmen­er aus­si ailleurs, à leur présen­ter d’autres artistes, d’autres univers et formes… En fait, tout le pro­jet du cen­tqua­tre repose sur l’idée d’un décloi­son­nement per­ma­nent : on choisit vrai­ment des artistes qui pro­posent un pro­jet mul­ti­forme ou mul­ti-matéri­aux, et la forme finale appa­raît au fil des rési­dences, des instal­la­tions…

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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