Le point zéro de la reconstruction

Entretien
Cirque

Le point zéro de la reconstruction

Entretien avec Erwan Ha Kyoon Larcher

Le 13 Oct 2019
Ruine de Erwan Ha Kyoon Larcher. Photo Jacob Khrist.
Ruine de Erwan Ha Kyoon Larcher. Photo Jacob Khrist.

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Ruine de Erwan Ha Kyoon Larcher. Photo Jacob Khrist.
Ruine de Erwan Ha Kyoon Larcher. Photo Jacob Khrist.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 138 - Arts de la scène et arts plastique
138

Ex mem­bre du quatuor Ivan Mosjoukine, qui avait bous­culé les codes du cirque con­tem­po­rain avec De nos jours en 2012, Erwan Ha Kyoon Larcher pro­pose sa créa­tion solo. Après l’aventure cir­cassi­enne col­lec­tive, il a frayé avec Math­urin Bolze, Christophe Hon­oré ou encore Philippe Quesne, per­for­mé auprès de Rebe­ka War­rior pour le Sexy Sushi DJ Set, mon­té son groupe de musique pour homme orchestre (Tout est beau). Autant de pro­jets qui ont nour­ri son nou­veau spec­ta­cle, RUINE, créé au 104 en jan­vi­er dernier. Seul en scène, l’artiste y inter­ag­it avec pléthore d’objets dis­posés autour de lui – arc et flèch­es, parpaings, gra­vats, plantes vertes, struc­ture métallique rap­pelant tant une toise qu’une potence… En résulte une suc­ces­sion de saynètes poly­sémiques met­tant en sail­lie des formes de vio­lence banal­isée, comme les affres du dou­ble lan­gage qui ori­en­tent par­fois nos vies à notre insu. Après tout, quoi de plus logique quand on décide de tir­er des flèch­es en s’appelant Larcher ?

Julie Bor­der­nave — Avec les Mosjoukine, votre con­cep­tion du cirque con­tem­po­rain emprun­tait déjà des lignes trans­ver­sales. De quelle manière le champ des arts plas­tiques a‑t-il pris davan­tage d’importance pour votre solo ?

Erwan Ha Kyoon Larcher — Je me suis tou­jours intéressé à la per­for­mance, j’y retrou­ve une simil­i­tude avec le cirque, via des actes sim­ples et rad­i­caux. Mon solo a pris une dimen­sion plas­tique presque à mon insu, résul­tant de l’intention pre­mière. Je voulais une scéno­gra­phie organ­isée en plusieurs espaces, autour d’objets choi­sis : cara­pace de tortue en poly­styrène rés­iné, parpaings, sac de gra­vats, amphores, syn­thé­tiseurs… Leur nom­bre, leur agence­ment en série, définit une com­po­si­tion mou­vante au plateau. J’ai été aidé dans mes intu­itions par la plas­ti­ci­enne Ji Min Park.

Julie Bor­der­nave — En énonçant des phras­es inci­ta­tives qui agen­cent le déroulé des actions, la cara­pace de tortue joue un rôle prépondérant. Com­ment s’est élaborée sa fonc­tion d’oracle ?

Erwan Ha Kyoon Larcher — En tirant des flèch­es dans cette cara­pace, je déclenche la dif­fu­sion de phras­es pré enreg­istrées. Elles se présen­tent comme des injonc­tions ou des ques­tions que je pour­rais me pos­er à moi- même, aux­quelles je donne des répons­es en actes au plateau. Il peut s’agir de phras­es cour­tes et sim­ples, par­fois très prag­ma­tiques telles que « fais ton lacet », ou de réflex­ions plus ouvertes et métaphoriques, voire de titres annon­ci­a­teurs éclairant le prochain acte. Cette fonc­tion d’oracle est inspirée du Yi King, un ouvrage fon­da­teur de la pen­sée chi­noise, que l’on peut con­sul­ter dans les péri­odes de doute. Je l’interprète comme une aide extérieure, que cer­tains peu­vent trou­ver par exem­ple dans la reli­gion ou dans les addic­tions. Or sou­vent, la réponse se trou­ve dans nos ques­tions : il suf­fit d’un élé­ment extérieur qui nous con­forte dans une intu­ition pré exis­tante. La tortue joue ce rôle de dou­ble autorisant la dis­tan­ci­a­tion.

Julie Bor­der­nave — Com­ment s’effectue ensuite le choix des objets à action­ner pour chaque acte qui s’égrène ?

Erwan Ha Kyoon Larcher — Ces objets, plutôt bien dis­posés au début, ne ser­vent générale­ment qu’une seule fois, à un instant pré­cis du spec­ta­cle. J’essaie de ne pas épuis­er les objets, j’aime me can­ton­ner à une seule util­i­sa­tion, dédiée à une action unique. Cela per­met aus­si de déjouer l’attente créée par rap­port aux objets à vue sur le plateau : ain­si, sur la trentaine de parpaings, je n’en utilise qu’une dizaine. En tra­ver­sant nom­bre d’épreuves, comme dans une quête ini­ti­a­tique, mon corps con­stitue en quelque sorte l’unique agrès du spec­ta­cle. Il est mis en dif­fi­culté par des élé­ments tels que le feu, ou les graviers qui sont cen­sés m’amortir. J’aime cette dureté induite par des matéri­aux qui parais­sent hos­tiles, et provo­quent for­cé­ment des actions un peu brutes.

Julie Bor­der­nave — Sans être stricte­ment auto­bi­ographique, le spec­ta­cle évoque néan­moins un par­cours de vie, la mon­stra­tion d’une accu­mu­la­tion de savoir-faire au fil des ans. Quel est votre fil rouge interne ?

Erwan Ha Kyoon Larcher — D’un point de départ auto­bi­ographique, je voulais tir­er des ques­tions plus larges : la manière dont on décide de se con­stru­ire de façon indi­vidu­elle, en lien par­fois avec une cer­taine décon­struc­tion men­tale… Il est pour moi impor­tant d’ouvrir ces sujets, davan­tage que de racon­ter mon his­toire, même si je pars for­cé­ment d’exemples per­son­nels, tels que le lan­gage insul­tant employé envers les Asi­a­tiques, qui me per­met d’aborder une cer­taine vio­lence ordi­naire, peu remise en cause. De cette banal­i­sa­tion découlent ten­sions et désac­cords. J’aborde aus­si la sphère domes­tique, à tra­vers un dia­logue entre un père et une mère ne rece­lant pas de véri­ta­ble vio­lence appar­ente, mais dont les reg­istres de lan­gage influ­ent sur l’éducation.

Julie Bor­der­nave — De quelle manière le per­son­nage est-il mod­i­fié au cours de cette tra­ver­sée ini­ti­a­tique ?

Erwan Ha Kyoon Larcher — Par une sorte de fatigue, et par la joie qu’il éprou­ve à la déploy­er, en un para­doxe qui con­sis­terait à trou­ver une cer­taine légèreté dans l’usure. Au cours des actions, le plateau se trans­forme lui-même à vue, pour s’achever sur un décor totale­ment désor­don­né. Ma volon­té ini­tiale n’était pas de met­tre le chaos, mais à chaque espace vis­ité, la muta­tion opère ! L’état de ruine finale per­met de pro­jeter ce que l’on veut, en se deman­dant com­ment recon­stru­ire après tout ça.

Julie Bor­der­nave — C’est donc à la fin du spec­ta­cle qu’adviennent les ruines éponymes ?

Erwan Ha Kyoon Larcher — RUINE, au sin­guli­er, évoque davan­tage pour moi un état, que des ruines con­crètes telles qu’on peut les imag­in­er, con­vo­quant une image de dévas­ta­tion. Je pense que l’état cor­re­spondait à l’après col­lec­tif, comme un point zéro, ques­tion­nant la manière de bâtir autre chose après un si long temps d’élaboration. La ruine désagrégée qui appa­raît en fin de spec­ta­cle est arrivée comme un hasard, qui m’allait bien. J’ai l’impression que l’on con­stru­it par cycles, et qu’il faut sans cesse remet­tre le cou­vert.

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Erwan Ha Kyoon Larcher
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Julie Bordenave
Julie Bordenave est journaliste spécialisée dans les arts de la rue et du cirque. Elle...Plus d'info
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