CHANTAL HURAULT
À l’origine des Possédés, il y a la création d’Oncle Vania en 2002, qui reste pour beaucoup un spectacle de référence. Comment est né ce collectif d’acteurs ? Qui en a été à l’origine ?
RODOLPHE DANA Nous avons, Katja Hunsinger et moi, porté ce premier projet. Tout a commencé à la Ferme du Buisson quand José-Manuel Gonçalvès m’a proposé d’amorcer un travail. Nous avons monté un acte d’Oncle Vania, puis l’entièreté de la pièce en faisant appel aux camarades de l’aventure de la Compagnie d’Edvin(e) d’Éric Ruf. Ce qui a été la charnière, c’est que j’ai remplacé un des acteurs alors que je devais être uniquement metteur en scène. C’est ainsi, sans le préméditer, qu’est né ce collectif d’acteurs. Je ne voulais pas d’un statut de metteur en scène omniscient, d’où ma proposition que les acteurs se fassent des retours les uns les autres, des retours critiques mais dans la bienveillance afin de ne pas oublier que le seul objectif, c’est le spectacle. Un état d’esprit a émergé progressivement, chacun devenant garant de l’autre.
CH
Le terme de collectif est venu dès Oncle Vania ?
MARIE-HÉLÈNE ROIG Nous n’y avions pas pensé au moment d’Oncle Vania. Il est venu après-coup je dirais, naturellement. Il nous semblait définir au mieux notre mode de travail, le théâtre que nous voulions faire à l’avenir.
MHR Le terme de compagnie renvoyait à un dispositif plus hiérarchisé. J’ai eu très vite envie que tout le monde assiste aux répétitions et surtout s’implique dans les discussions pour que tout se fabrique concomitamment, en temps réel. Même si j’arrive avec des idées dramaturgiques, la création commence le premier jour de répétition ; c’est au plateau de révéler l’essence de ce que l’on cherche.
CH
Vous signez « création collective dirigée par ». En quoi cette terminologie se démarque-t-elle d’une « mise en scène » ?
RD Elle nous a semblé dire plus justement un mode de travail en collectif qui intègre une instance décisionnaire. J’essaye de mettre en lien plutôt que de mettre en scène les acteurs, selon un agrégat d’objectifs, la recherche d’une harmonie collective, une fluidité des enjeux dramaturgiques, un lien à créer dans le triangulaire texte-acteur-spectateur.
MHR À la différence de certains collectifs, Rodolphe a toujours décidé du texte et de la distribution, puis il nous soumettait ses propositions. Sinon ça prenait des heures, des jours, voire des semaines ! Du fait de notre passé commun avant Les Possédés – on s’était rencontré à l’école de théâtre puis on s’était retrouvé dans la Compagnie d’Edvin(e) – il y avait une amitié naissante, une complicité déjà forte. Cela a participé à ce que l’on se sente immédiatement à l’aise dans cette responsabilité que Rodolphe nous demandait d’avoir sur la globalité du projet.
CH
Avez-vous eu besoin de vous positionner contre un certain type de théâtre pour défendre celui des Possédés ?
MHR Il y avait une volonté évidente de rompre avec certains codes classiques, n’avoir aucun a priori sur le texte, ne pas catégoriser les personnages… Rodolphe laisse l’acteur proposer, il nous dit : « c’est vous qui savez, c’est vous qui sentez, à vous de tenter », puis nous en discutons. Les tg stan nous ont influencés dans la modernité avec laquelle ils cassaient les codes de la représentation, la notion de 4e mur, les entrées et sorties de scène… Je repense à Point Blank, leur adaptation de Platonov. Ils nous avaient sidérés par leur art de s’approprier un texte en le rendant très simple et naturel. On allait les voir jouer, on a beaucoup discuté avec eux…
RD Être contre a effectivement pu être moteur. Je conservais de mes expériences de comédien ma rencontre avec des gens moyennement investis hors de leurs « moments ». Pourtant, préparer, baliser le terrain pour celui qui nous succède n’est pas qu’un idéal du collectif, la qualité du spectacle s’en ressent, j’y vois un petit supplément d’âme dans la façon dont est portée l’histoire. J’irai plus loin en disant que cet état d’esprit concerne le rapport à ses partenaires mais aussi au public. On ne fait pas du théâtre pour soi, mais pour les autres.