Dans les bancs de poissons, il n’y a pas de sardine en chef ! Depuis une dizaine d’années, des physiciens interrogent ce phénomène de comportement collectif. Qu’en est-il des collectifs artistiques ? Qu’est-ce qui pousse des artistes à penser, imaginer, créer collectivement ?
Les hypothèses de réponse sont multiples :
– Remise en cause de la hiérarchie au sein même du processus créatif.
– Abolition des frontières entre la place de l’interprète et la place du metteur(se) en scène.
– Invention de sa « place » et non pas assignation à une place.
– Désir d’un engagement artistique et politique autre.
Quelque chose s’invente là.1
Géraldine Chaillou
SML
On a coutume de voir des créations proposées par des collectifs, français et belges notamment, flamands souvent, ici même au Théâtre de la Bastille. Dans ce numéro consacré aux alternatives théâtrales depuis quarante ans, nous formulons l’hypothèse que la fabrique de spectacles en collectif est une des grandes formes d’alternatives théâtrales contemporaines… Quelles sont les vôtres ?
JEAN-MARIE HORDÉ Sur cette question, je commencerai par écouter le mot. Dans alternative, il y a alter, c’est-à-dire l’autre. Si l’on prétend représenter une alternative, il faut être sûr que nous sommes vraiment un ou une autre, par rapport au contexte dans lequel on travaille. Pour nous, c’est un contexte parisien. Est-on sûrs de faire une autre proposition, au sens ontologique du terme ? De temps en temps, on y parvient…
GÉRALDINE CHAILLOU Cette question est compliquée. On ne peut pas se définir comme un théâtre alternatif. Ce serait faux, ou alors cela signifie que nous sommes un théâtre alternatif institutionnalisé ? Je pense plutôt qu’on propose des alternatives théâtrales, dans un paysage parisien, très vaste et très varié, dans un contexte où il y a une homogénéisation des propositions. De ce point de vue-là en effet, nous tentons une alternative artistique, nous ouvrons des chemins moins balisés et moins aisés…
JMH En tout cas, on essaie d’être alternatifs sur tous les plans, politique, économique – artistique souvent. Comme le dit Géraldine, nous sommes « alternatifs à l’intérieur de l’institution », puisque l’on reçoit des subventions de l’État et de la Ville.
SML
Vous vous souciez autant des formes artistiques que des modalités d’accueil, de financement et de rencontre avec le public ?
JMH Absolument. Contrairement à la plupart des théâtres parisiens, notre politique économique est au service des compagnies : nous faisons des contrats de coproduction ou de cession, et pas un simple partage de recettes. Sur le terrain politique, le Théâtre de la Bastille reste un théâtre indépendant, à savoir une société privée qui reçoit des subventions, tout en réalisant un travail de théâtre public avec une grande attention à la relation aux publics, à l’action culturelle… Nous sommes indépendants. Sur le plan artistique, nous faisons attention à ne pas être dans la répétition.
GC Il est difficile de définir une ligne artistique, mais je peux dire que tous les objets singuliers que nous invitons, interrogent à leur manière la représentation. Cela caractérise notre ancrage artistique.
SML
Vous accueillez toutes sortes de formes théâtrales, chorégraphiques, textuelles, visuelles…, des poèmes scéniques polymorphes ?
GC Oui, il y a autant de textes de répertoire revisités que de textes d’auteures et d’auteurs contemporains (Tiago Rodrigues, Céline Champinot, Florence Minder, David Geselson Baptiste Amann…), des écritures de plateau – d’ailleurs explorées par toute une vague de collectifs –, et puis évidemment la danse contemporaine et d’autre propositions qui empruntent aux arts plastiques (Pierre Meunier, Nathalie Béasse…).
SML
J’entends bien que vous n’êtes pas à proprement parler un lieu alternatif mais plutôt un théâtre indépendant, ouvert aux alternatives théâtrales. Quelles sont les vôtres ? Je pense aux chocs esthétiques marquants, aux tremblements de terre artistiques qui ont fait évoluer les codes de la représentation, aux « singulières métamorphoses » évoquées par Jacques Nichet dans sa Leçon inaugurale au Collège de France.