« Accéder à un corps extra-ordinaire »

Entretien
Théâtre

« Accéder à un corps extra-ordinaire »

Entretien avec Omar Porras

Le 30 Mar 2020
La Visite de la vieille dame d’après Dürrenmatt, mise en scène Omar Porras (Teatro Malandro), avec Jeanne Pasquier (la journaliste), Fanny Duret (Madame Ill), Yves Adam (le chef de train), Peggy Dias (le maire), Gabriel Sklenar (une villageoise), Olivia Dalric (le proviseur), Adrien Gygax (le curé), TKM – Théâtre Kléber-Méleau, 2015. Photo Marc Vanappelghem

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La Visite de la vieille dame d’après Dürrenmatt, mise en scène Omar Porras (Teatro Malandro), avec Jeanne Pasquier (la journaliste), Fanny Duret (Madame Ill), Yves Adam (le chef de train), Peggy Dias (le maire), Gabriel Sklenar (une villageoise), Olivia Dalric (le proviseur), Adrien Gygax (le curé), TKM – Théâtre Kléber-Méleau, 2015. Photo Marc Vanappelghem
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
140

Le masque est un objet qui éveille en l’acteur une mémoire pro­fonde. Quand en as-tu fait l’expérience ? Était-ce dans ton pays, en Colom­bie ? 

C’est ici, en France, en Europe, que j’ai décou­vert le masque. Ne pou­vant pas faire de théâtre dans mon pays, à vingt ans, j’ai décidé de gag­n­er Paris. Or, c’était l’époque où toute une con­stel­la­tion de grands maîtres qui m’avaient fait rêver était présente sur les scènes parisi­ennes : Ari­ane Mnouchkine à la Car­toucherie, Antoine Vitez à Chail­lot, Jerzy Gro­tows­ki et Peter Brook aux Bouffes du Nord, Gior­gio Strehler au Théâtre de l’Odéon, Pina Bausch et Car­o­line Carl­son au Théâtre de la Ville… En tant que tout jeune artiste, j’avais l’espoir un peu fou de les approcher, de les ren­con­tr­er, de les crois­er. C’est aus­si alors que je décou­vre le tra­vail de Mar­cel Marceau, de Jacques Lecoq et surtout ce spec­ta­cle qui se don­nait au Théâtre du Soleil et qui fut pour moi une « vision » qui allait m’accompagner dans mon aven­ture théâ­trale : L’Histoire ter­ri­ble mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cam­bodge d’Hélène Cixous, dans lequel tu jouais le roi défunt Sura­mar­it avec un masque bali­nais. Ce fut pour moi comme une épiphanie du théâtre, un corps mag­ique, une appari­tion qui dan­sait comme une flamme. Quelques semaines plus tard, je ren­con­tre un masque bali­nais chez un anti­quaire, un signe – qui m’accompagne tou­jours. Et c’est aus­si durant cette péri­ode qu’Antonio Díaz-Florián, Directeur du Théâtre de l’Épée de Bois, où j’ai fait mes pre­miers pas d’acteur, m’a per­mis de faire venir Mas Sogen pour un stage à la Car­toucherie, qui m’a trans­mis les linéa­ments du corps masqué, un sésame pour oser entr­er quelques mètres plus loin, au Théâtre du Soleil, pour un stage dirigé par Ari­ane Mnouchkine, au seuil de sa créa­tion L’Indiade ou l’Inde de leurs rêves.

Pens­es-tu, comme Antonin Artaud, que « le théâtre est ori­en­tal » ?
– Un mot que reprend volon­tiers Ari­ane Mnouchkine.

Oui, il n’y a pas de doute, le théâtre est ori­en­tal. Le théâtre, c’est l’Orient, le masque bali­nais, le masque-maquil­lage du Kathakali, le Nô, le Kabu­ki. Toutes ces formes entre l’Inde, l’Indonésie et le Japon induisent un corps total, un corps loin de l’ordinaire, extra-ordi­naire. Et c’est une fois que j’ai décou­vert ces grandes formes théâ­trales que je me suis intéressé à ce qu’il y a dans ma cul­ture colom­bi­enne, avec ses tra­di­tions en par­tie per­dues. Nous avons certes des car­navals impor­tants, avec des dans­es masquées, comme celui de Bar­ran­quil­la au Nord de la Colom­bie ou celui de Negros y Blan­cos dans le départe­ment de Nar­iño. Mais de mon pays, ce qui m’a enrichi le plus pour mon tra­vail théâ­tral, et qui con­tin­ue à me nour­rir, c’est la musique. C’est grâce la musique que j’ai con­sti­tué un entraîne­ment qui me per­met d’accéder à un corps masqué : par elle, j’ai façon­né un lan­gage qui est devenu un rit­uel dans mon tra­vail, et qui me sert à présent de pré­pa­ra­tion avant de mon­ter sur le plateau en tant que comé­di­en, ou avant de com­mencer les répéti­tions en tant que met­teur en scène.

Dans ton esthé­tique, je décèle tout de même des traces pro­fondes de ta terre d’origine, peut-être dans cette con­jonc­tion entre la démesure de la fête allant jusqu’à la folie et la dimen­sion rit­uelle, sacrée ?

Oui, tu as rai­son. C’est incon­testable. Il y a aus­si ma curiosité de car­ac­tère, et les maîtres qui m’ont for­mé et qui m’ont incité à mon­ter sur le plateau avec le sens du sacré et la con­science d’un corps extra-quo­ti­di­en. Ensuite, au Japon, j’ai ren­con­tré Tadashi Suzu­ki qui s’est intéressé à ma méth­ode de pré­pa­ra­tion des acteurs et m’a per­mis d’accéder à son train­ing – dont je me suis forte­ment inspiré. C’est avec ce type d’entraînement que je suis arrivé à la Comédie-Française, lorsque j’y fus invité par Mar­cel Bozon­net pour créer en 2006 Pedro et le com­man­deur de Lope de Vega. J’ai alors asso­cié à cette « médi­ta­tion en mou­ve­ments » les musiques et les dans­es tra­di­tion­nelles du Paci­fique colom­bi­en : con­stituer cette chaîne de mou­ve­ments, cette asso­ci­a­tion de mail­lons est tou­jours néces­saire avant d’accéder aux masques. Mar­cel Bozon­net souhaitait amen­er le masque à la Comédie-Française, car tra­vailler le masque, c’est revenir aux fon­da­men­taux du jeu de l’acteur. Ce fut un moment essen­tiel, un temps de com­mu­nion dont on par­le encore, que de voir un texte du Siè­cle d’or espag­nol joué inté­grale­ment dans l’énergie vitale du masque. Jouer un texte clas­sique avec les out­ils de la genèse du théâtre nous a con­duits à cet instant de « grâce », à cette magie, à cette lumière, à cette poésie qui éclaire le plateau et révèle sa pureté, son essence. Le masque ame­nait la dis­ci­pline de la spon­tanéité.

Toi-même, tu avais décou­vert vingt ans plus tôt ces pou­voirs cachés du masque au cours d’un stage avec Ari­ane Mnouchkine. Pour­rais-tu revenir sur cette expéri­ence ?

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Théâtre
Omar Porras
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Guy Freixe
Metteur en scène, comédien et professeur en Histoire et esthétique des Arts de la scène...Plus d'info
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