Sept ans après son installation-performance Exhibit B, le plasticien sud-africain revient à Avignon avec Samson, une création à la scénographie vidéo percutante et hypnotique. Aborder le mythe de Samson est l’opportunité pour Bailey de retrouver des problématiques déjà très présentes dans Exhibit B : la xénophobie et le racisme, l’immigration et ses conséquences, les politiques d’oppression coloniales et néolibérales, mais aussi le nationalisme et l’insurrection, à travers une exploration esthétique très différente.
Dans Exhibit B, évocation réaliste des zoos humains, l’artiste avait présenté une série de douze tableaux, performances immobiles pour lesquelles il se servait de personnes noires en employant des images fortes, parfois très présentes dans l’inconscient collectif (les mains coupées du Congo, Angelo Soliman, la Vénus hottentote, etc.) qui renvoyaient à l’histoire coloniale et postcoloniale. L’image y était très prégnante, car outre les photographies intégrées à la scénographie, c’était à travers ces multiples tableaux, incarnés par des êtres humains immobiles et vivants, qu’elle se construisait. Ce rapport à l’autre, pouvant être perçu comme objectivé dans les installations, n’en était que plus violent pour le spectateur, que les performeurs fixaient intensément. Chaque specta- teur se retrouvait en position de voyeur et malgré tout « obligé d’observer la dérangeante beauté de ces saynètes bouleversantes, et de s’arranger avec l’inévitable sentiment de culpabilité qui l’assaille tout au long de sa déambulation1 », comme le soulignait alors Sylvie Martin-Lahmani.
Le détour mythique
Avec Samson, le projet esthétique est tout autre et extrêmement vivant, comme s’il était presque le contre-pied formel d’Exhibit B. Brett Bailey (qui a déjà revisité les figures de Médée et d’Orphée), très intéressé par « le mythe, le chamanisme, l’irrationnel et le retour du refoulé2 », quitte les représentations sociales réalistes d’Exhibit B pour s’emparer de la fiction, à travers l’un des mythes bibliques les plus célèbres dont il transpose l’histoire au XXIe siècle, en évoquant notamment, à travers la projection d’images vidéo, les guerres liées au pétrole. C’est en outre, parallèlement, à un réquisitoire féroce contre le colonialisme qu’il convoque ses spectateurs : « Je considère Samson comme un avatar de la rage refoulée d’un peuple opprimé depuis des siècles par les forces expansionnistes3 », affirme-t-il ainsi. Samson est une histoire de vengeance et de violence apocalyptique. L’histoire d’un homme mythique, doté d’une force titanesque, pour l’adaptation de laquelle Bailey mêle danse, théâtre, chant et opéra. Le personnage de Samson (le chorégraphe et danseur sud-africain Elvis Sibeko qui livre une performance aussi éreintante que remarquable) y apparaît toujours au premier plan, à la frontière entre ici et ailleurs, parfois menaçant. La représentation archétypale parfaite de l’étranger interrogée par le narrateur :