GÉRALD KURDIAN ** HOT BODIES – STAND UP

Annonce
Théâtre
Critique

GÉRALD KURDIAN ** HOT BODIES – STAND UP

Le 15 Sep 2020
SommerSzene2018-GeraldKurdian_3©_SzeneSalzburg_BernhardMüller
SommerSzene2018-GeraldKurdian_3©_SzeneSalzburg_BernhardMüller
SommerSzene2018-GeraldKurdian_3©_SzeneSalzburg_BernhardMüller
SommerSzene2018-GeraldKurdian_3©_SzeneSalzburg_BernhardMüller
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
141

Gérald Kur­dian appa­raît sur scène au début du spec­ta­cle. C’est un homme grand au corps vir­il et à la voix grave, mais il est aus­si vul­nérable, sexy et féminin. Il porte un mini short en cuir noir et nous mon­tre, sur un grand écran en fond de scène, une pho­to prise au hasard de déam­bu­la­tions. Il s’agit d’un tag représen­tant à peu près ceci :

# Male

# Female

## Fucko

Il s’interroge : s’il sait ce que sig­ni­fient « Male » et « Female », « Fucko » lui est incon­nu. Il décide d’aller en chercher la déf­i­ni­tion dans la « Mai­son des enfants queer », un lieu mys­térieux où règ­nent le désir, la beauté incon­di­tion­nelle de tous les corps et une cer­taine mélan­col­ie. Kur­dian, qui est égale­ment musi­cien et chanteur, entonne Lithi­um de Nir­vana, et le ton naïf et drôle qu’il avait employé jusque-là fait place à une pro­fondeur sur­prenante, empreinte de duende, qui annonce que le périple dans lequel nous nous enga­geons ne sera ni voyeur ni amusé. Ce dont il est ques­tion ici, c’est du plaisir, mais aus­si de la vio­lence incom­préhen­si­ble de l’injonction à être autre que soi et de la noblesse d’y avoir survécu.

Pour que nous cernions mieux ce qui se passe dans la Mai­son, Kur­dian décide de nous en mon­tr­er des pho­tos. « Ma mère adore les dia­po­ra­mas » nous dit-il avant d’en lancer un sur l’écran, accom­pa­g­né d’une musak1 d’ordinateur un peu folk. Si la présen­ta­tion est ironique, les pho­tos, elles, sont extra­or­di­naires : corps ou morceaux de corps pris dans des intérieurs som­bres et sur­ex­posés, lits défaits, paysages, jambes, sex­es, douch­es, plantes, fleurs. Elles trou­blent à la fois par leur douceur et leur cru­dité, évo­quant un univers où les con­ven­tions qui enclosent le sexe sont retournées. La honte, la gêne, l’exclusivité, les rôles prédéfi­nis, la pos­ses­sion de l’autre sont évincés pour faire place à une inven­tiv­ité totale des rap­ports, des formes et des corps : les iden­tités sont flu­ides et ouvertes, le désir se meut sans attache et sans a pri­ori, le con­sen­te­ment est valeur car­di­nale. Dans cette utopie queer et fémin­iste, le jeu, la ten­dresse, la jouis­sance sont cen­trales ; le plaisir se fait à la fois artis­tique et poli­tique.

SommerSzene2018-GeraldKurdian_1©_SzeneSalzburg_BernhardMüller
SommerSzene2018-GeraldKurdian_1©_SzeneSalzburg_BernhardMüller

Ces pho­tos sur­pren­nent aus­si par leur qual­ité : pris­es sur le vif, elles sont pré­cis­es et sai­sis­santes, et leur esthé­tique fait écho à celles de Nan Goldin et Wolf­gang Till­mans. Mais le tra­vail de Kur­dian, plus ten­dre et plus drôle, s’inscrit en même temps dans une autre généalo­gie d’artistes LGBTQ, tels que les cinéastes Bar­bara Ham­mer (Dyke­tac­tics) et James Bid­good (Pink Nar­cis­sus). Ces œuvres sont délibéré­ment mar­quées par un côté bricolé, les moyens réduits faisant par­tie inté­grante du camp et de ses avatars. Bid­good a réal­isé son film dans son minus­cule apparte­ment new-yorkais ; Goldin pre­nait des pho­tos de ses ami.es en soirée, malades, drogué.es. Kur­dian se saisit de cette esthé­tique avec jubi­la­tion, par exem­ple en nous mon­trant un clip d’un cli­toris révo­lu­tion­naire en plas­ticine aux petits yeux menaçants, exigeant une éro­tique à sa mesure.

Les pho­tos, les per­son­nages, les sons vont con­tin­uer à se suc­céder : d’abord avec Tarek X (l’alter ego de Kur­dian), puis un garçon trans habité par une sagesse intem­porelle, et enfin une com­mu­nauté de sœurs-sor­cières, qui esquis­sent ensem­ble les con­tours d’un monde dans lequel le sexe se fait créa­teur et guéris­seur, puis­sance naturelle aus­si bien que vecteur par lequel la nature s’accomplit et se régénère sans cesse. Le sexe n’est plus le lieu des trans­gres­sions ou des con­ven­tions – elles n’ont plus de rai­son d’être, car il s’est fait force mys­tique, point de con­tact non seule­ment avec les corps aimés, mais aus­si avec la nature toute entière – plantes, fleurs, ani­maux. Le queer quitte le domaine du poli­tique et du con­tin­gent pour faire un avec la fécon­dité du monde.

SommerSzene2018-GeraldKurdian_4©_SzeneSalzburg_BernhardMüller
SommerSzene2018-GeraldKurdian_4©_SzeneSalzburg_BernhardMüller

Le spec­ta­cle nous invite à nous ouvrir à ce qu’il y a de plus sauvage, doux et vul­nérable en nous. Kur­dian rap­pelle que la sex­u­al­ité est tou­jours en excès des lim­ites que nous lui imposons ; nos corps récla­ment d’autres hori­zons, d’autres pos­si­bles, d’autres réc­its. D’autres images et d’autres voix. Ain­si, Hot Bod­iesStand Up dévoile un aspect secret et sen­si­ble de la cul­ture queer, loin des mirages d’une Gay Pride ven­due au plus offrant et des corps plas­tiques des séries télévisées. Nous sommes à un autre endroit : celui des cœurs qui souf­frent et des corps qui inven­tent, celui de la blessure sans nom et du plaisir qui crée, des sor­cières en man­tille, des nuits élec­triques, de la soror­ité uni­verselle des êtres. Celui aus­si d’une cul­ture infin­i­ment pré­cieuse, aus­si anci­enne que la per­sé­cu­tion et aus­si invis­i­ble au monde extérieur que le plus intime de soi.

Gérald Kur­dian per­formera le Hot Bod­ies — Stand Up au Kaaithe­ater le 29 et 30 octo­bre 2020.


  1. « Muzak » désigne la musique de fond, asep­tisée, que l’on entend partout, dans les salles d’attente, dans les grands mag­a­sins, etc. ↩︎
Annonce
Théâtre
Critique
Gérald Kurdian
558
Partager
Photo de Caroline Godart
Caroline Godart
Caroline Godart est dramaturge, autrice et enseignante. Elle accompagne des artistes de la scène tout...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements