Les récits métaphoriques d’Hayoun Kwon

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Les récits métaphoriques d’Hayoun Kwon

Le 13 Juil 2020

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Couverture du numéro 141 - Images en scène
141

Les mis­es en scène de l’artiste coréenne Hay­oun Kwon utilisent la réal­ité virtuelle pour nous inviter à un étrange tra­vail de con­fronta­tion de la mémoire. Mémoire col­lec­tive et indi­vidu­elle ? Mémoire réelle ou fan­tas­mée ? C’est autour de ces ques­tion­nements que ses réc­its et envi­ron­nements conçus en ani­ma­tion 3D nouent un dia­logue entre sit­u­a­tions vécues et inter­pré­ta­tions fic­tives, en révélant une dimen­sion métaphorique accrue, à l’image de Peach Gar­den, sa nou­velle pièce présen­tée à l’automne 2019 à New York.

Quand on est une jeune coréenne, on a tou­jours vécu en présence d’une fron­tière. Cette fron­tière bien réelle entre le Nord et le Sud, qui divise son pays depuis bien­tôt soix­ante-dix ans, mais aus­si cette fron­tière plus insi­dieuse qui ser­pente à l’intérieur comme le pro­longe­ment humain, famil­ial, social de cette scis­sion totale à l’échelle col­lec­tive. Bien qu’elle ait passé de nom­breuses années d’études en France, aux Beaux-Arts de Nantes, puis au Fres­noy, Hay­oun Kwon a gardé au fond d’elle cette mar­que d’une réal­ité prég­nante qu’elle a très tôt voulu con­fron­ter, dans son tra­vail d’artiste, à de nou­velles lec­tures, à de nou­velles remé­mora­tions, comme pour mieux aigu­is­er dans un réc­it neuf sa capac­ité à y trou­ver du sens ou à en brouiller les pistes.

Pour cela, Hay­oun Kwon s’est très vite lancée dans des exer­ci­ces de mise en scène, des dis­posi­tifs à la fois vidéo et plas­tiques, se présen­tant comme une sorte de recherche autour des mécan­ismes de con­struc­tion d’une fic­tion. La Corée, et la fameuse DMZ, la Zone Coréenne Démil­i­tarisée, bande de terre de 248 kilo­mètres de long sur env­i­ron qua­tre kilo­mètres de large séparant le Nord du Sud, y trou­vait une évi­dente cen­tral­ité. Bâtie comme une col­lec­tion d’installations con­stru­isant un lieu-décor, son expo­si­tion La Ligne Fic­tive, en 2013, invi­tait à une curieuse prom­e­nade entre faits réels et red­i­men­sion­nement fic­tif en util­isant une mul­ti­plic­ité de sup­ports. Sa pièce Le Vil­lage mélangeait ain­si film vidéo et maque­tte pour décon­stru­ire l’archétype du vil­lage de pro­pa­gande nord-coréen. Mode d’emplois doc­u­men­tait le proces­sus de con­struc­tion de cette maque­tte à tra­vers trois pho­togra­phies.

Peach Garden, installation vidéo (réalité virtuelle) Hayoun Kwon, produit par Innerspace, distribué par Diversion cinema, 2020, France.
Photo Innerspace.
Peach Gar­den, instal­la­tion vidéo (réal­ité virtuelle) Hay­oun Kwon, pro­duit par Inner­space, dis­tribué par Diver­sion cin­e­ma, 2020, France.
Pho­to Inner­space.

Déjà, Hay­oun Kwon lais­sait entrevoir un goût pour le tra­vail d’animations d’images HD (Pan Mun Jom). Un goût qui allait pro­gres­sive­ment la guider vers la con­cep­tion d’environnements immer­sifs en images 3D. La réal­ité virtuelle lui appa­raît en effet comme un excel­lent moyen de recon­stru­ire par-dessus des paysages qui, comme cette zone fron­tière coréenne, ne seraient plus con­sti­tués que d’absence ou de vide. Et la mémoire, réelle ou fan­tas­mée, serait comme le car­bu­rant des nou­veaux réc­its qui sur­gi­raient de cette con­fronta­tion graphique pour trac­er de nou­velles lignes de fuite.

489 Years, le tournant VR

489 Years, en 2016, est sa pre­mière expéri­ence de dis­posi­tif filmique VR. Son titre se réfère au nom­bre d’années qui seront néces­saires pour retir­er toutes les mines de la DMZ. Immergé dans ce qui s’apparente à une vis­ite guidée en mode jeu vidéo, le spec­ta­teur accom­pa­gne la nar­ra­tion d’un polici­er racon­tant son expéri­ence de vie aux abor­ds de la fron­tière. Un fil d’Ariane qui se retrou­ve rapi­de­ment pris dans les méan­dres des muta­tions graphiques d’un chem­ine­ment aux mul­ti­ples dimen­sions audio­vi­suelles. Dans ce sil­lage presque onirique, Hay­oun Kwon va pro­gres­sive­ment s’éloigner de la matéri­al­i­sa­tion exclu­sive­ment coréenne de son pro­pos, tout en lis­sant la sub­til­ité esthé­tique de son tra­vail. Son réc­it va donc davan­tage se tourn­er vers une extrap­o­la­tion métaphorique de ces notions de fron­tière, de migra­tion et de mémoire qui la tarau­dent.

Le réc­it [d’Hayoun
Kwon] va davan­tage
se tourn­er vers
une extrap­o­la­tion
métaphorique
de ces notions
de fron­tière, de
migra­tion et de
mémoire qui
la tarau­dent.

En 2017, en même temps qu’elle présente un film VR à 360°consacré à Paul Gau­guin, Le Voy­age intérieur de Gau­guin, elle peaufine avec la pièce The Bird Lady un envi­ron­nement d’images d’animation 3D aux humeurs encore plus cha­toy­antes et… volatiles, puisque ce sont les oiseaux qui occu­pent le cœur graphique de la matrice. Le dis­posi­tif de réal­ité virtuelle y donne vie à la mémoire d’une his­toire que lui avait racon­tée son ancien pro­fesseur de dessin alors qu’elle étu­di­ait aux Beaux- Arts de Nantes. Chargé d’aller dessin­er des plans d’un vieux bâti­ment à Paris, ce dernier s’était retrou­vé dans une pièce rem­plie d’oiseaux dont les chants mélodieux l’avaient telle­ment émer­veil­lé qu’il en avait oublié sa tâche. À cette mémoire doré­na­vant plus enchanter­esse, sa créa­tion la plus récente – Peach Gar­den, présen­tée à l’automne dernier à la Doosan Gallery de New York avant de débar­quer en octo­bre 2020 au CENTQUATRE-PARIS – emboîte le pas. Inspirée des pein­tures postim­pres­sion­nistes d’An Gyeon, pein­tre coréen du XVe siè­cle, la pièce accentue le tra­vail sur les mou­ve­ments des per­son­nages et les effets de ciné­ma­tique de The Bird Lady. Une ten­dance plas­tique et immer­sive 3D plus proche du con­te de fées, mais où le ques­tion­nement de la per­cep­tion du réel et de l’imaginaire reste plus que jamais en mémoire.

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