Voyage dans les échelles, à propos de Moby Dick

Entretien
Théâtre

Voyage dans les échelles, à propos de Moby Dick

Entretien avec Yngvild Aspeli et David Lejard-Ruffet

Le 20 Juil 2020
Moby Dick, mise en scène Yngvild Aspeli, vidéaste David Lejard-Ruffet, création à la Semaine d’art en Avignon, 2020. Photo David Lejard-Ruffet.
Moby Dick, mise en scène Yngvild Aspeli, vidéaste David Lejard-Ruffet, création à la Semaine d’art en Avignon, 2020. Photo David Lejard-Ruffet.
Moby Dick, mise en scène Yngvild Aspeli, vidéaste David Lejard-Ruffet, création à la Semaine d’art en Avignon, 2020. Photo David Lejard-Ruffet.
Moby Dick, mise en scène Yngvild Aspeli, vidéaste David Lejard-Ruffet, création à la Semaine d’art en Avignon, 2020. Photo David Lejard-Ruffet.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
141

Avec la com­pag­nie Plexus Polaire que tu diriges depuis 2008, vous avez prévu de créer Moby­Dickau Fes­ti­val d’Avignon en juil­let 2020, mal­heureuse­ment annulé pour cause de pandémie. Vous avez réal­isé plusieurs étapes de tra­vail en 2019 et 2020, autour de la scéno­gra­phie, de la créa­tion vidéo, musi­cale et mar­i­on­net­tique, de la dra­maturgie textuelle et visuelle… Après avoir adap­té des auteurs con­tem­po­rains pour Cen­dres1 et Cham­bre noire2, pourquoi avoir choisi ce roman épique et philosophique de Melville, ce mon­stre lit­téraire qui par­le du fab­uleux mon­stre blanc ?

YA Moby Dick, c’est un roman qui me hante depuis longtemps, une de ces his­toires qui s’incrustent dans la colonne vertébrale… Il y a quelque chose de mag­né­tique dans ce roman, où chaque phrase racon­te quelque chose de plus grand que soi. J’aime beau­coup cette cita­tion de Melville : « Les vrais lieux ne sont jamais mar­qués dans aucune carte. »

C’est bien sûr une aven­ture – en sur­face en tout cas – , mais ce qui m’intéresse par­ti­c­ulière­ment, c’est de savoir com­ment Melville utilise cette his­toire de chas­se à la baleine pour pénétr­er le fond de l’âme humaine, grâce à son style et à son choix de nar­ra­tion. C’est comme une plongée dans les par­ties obscures de l’être humain, aus­si incon­nues et mys­térieuses que la mer.

Ce pro­jet de créa­tion est-il proche de Cham­bre noire, où tu mêlais déjà les arts de la mar­i­on­nette et les images pro­jetées, entre autres…

YA Oui, cette créa­tion s’inscrit dans le cadre de mes recherch­es. Avec Cham­brenoireet Cen­dres, je me suis intéressée à la force des images, aux émo­tions, à la musique et à la mul­ti­tude de chemins qui nous sont offerts pour com­pren­dre. Com­ment faire pour per­me­t­tre au corps entier de percevoir une his­toire ? Je suis sûre que nous com­prenons cer­taines choses par les mots et d’autres par ce qui n’est pas dit, par ce qui est entre, par les choses qui ne sont pas nom­mées ou qui n’ont pas de nom… J’essaie de garder une place pour ces « non-dits » dans ma nar­ra­tion. Je souhaite aller plus loin pour faire cohab­iter les mots avec les effets visuels, inven­ter un lan­gage plus éten­du porté par des acteurs et des mar­i­on­nettes.

C’était par­faite­ment réus­si dans Cham­bre noire. Tu as réus­si à écrire un spec­ta­cle en mots, en images et en musique sans hiérar­chie entre les dis­ci­plines : une dra­maturgie com­plexe au ser­vice d’une œuvre pas­sion­nante (La Fac­ulté des rêves de Sara Strids­berg), une œuvre d’art total !

YA C’est en tout cas ce que j’essaie de faire… La mar­i­on­nette est évidem­ment cen­trale dans mon tra­vail. Mais je tra­vaille avec de nom­breux élé­ments tous égaux dans la nar­ra­tion. C’est la ren­con­tre entre ces dif­férentes expres­sions artis­tiques qui per­met le jail­lisse­ment de quelque chose de plus grand. Moby Dick me per­met de pour­suiv­re cette recherche. Avec ce roman, il est pos­si­ble d’explorer cer­taines choses qui se déroulent à fleur d’eau, et d’autres qui se passent en dessous, dans une mer sans fond dont on ignore presque tout.

La mer abyssale de Melville est habitée par des cachalots spec­tac­u­laires et han­tée par de nom­breux cadavres. La mort rôde.

YA C’est vrai, il y a beau­coup de morts dans ce roman, mais aus­si de nom­breuses espèces extra­or­di­naires. On con­naît très peu cet écosys­tème qui est pour­tant le plus vaste du monde. Moby Dick, c’est autant une expédi­tion baleinière qu’une réflex­ion sur le mys­tère de la vie.

En réfléchissant à ton adap­ta­tion du roman méta­physique de Melville, écrit en 1851, je pense à Maeter­linck qui pré­con­i­sait le recours aux mar­i­on­nettes et aux pro­jec­tions, voire à l’éviction du vivant sur scène. Dans ses Menus pro­pos sur le théâtre3 ou encore dans Le Trag­ique quo­ti­di­en4, ce dra­maturge de l’invisible songeait à la manière de « ren­dre per­cep­ti­ble le chant mys­térieux de l’infini, le silence menaçant des âmes… ».

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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