À Schaerbeek, quartier juste un peu excentré s’affirmant néanmoins comme un pôle culturel bruxellois incontournable, La Balsamine érige discrètement à l’ombre de la place Dailly un nid pour l’émergence de « créations impossibles à enfermer dans les mots », comme le dit sa directrice Monica Gomes. C’est là que Silvio Palomo, Simon Thomas, Lucile Choquet ou Mercedes Dassy, par exemple, font bouger les lignes de la création belge francophone.
La scène est recouverte d’un tapis de plastique sublimé par un éclairage bleuté, représentation fantaisiste low-cost de l’Antarctique enneigé. Nous sommes en mars 2018 et Jean Le Peltier présente à La Balsamine son spectacle Les Loups, dans lequel les hommes côtoient pingouins et canidés à la recherche d’un nouveau langage. Quelques mois plus tard, sur la même scène, un homme et une femme s’installent pour dîner avec un ours polaire sur une banquise qui se fractionne soudain dangereusement. La pièce Origine, de Silvio Palomo, fait écho à celle de Jean Le Peltier en racontant une nordicité fantasmée comme habitat possible pour une humanité qui se réaffirme par un contact déroutant avec l’animal. Les codes scéniques, les niveaux de jeu et les propos sont certes différents, mais les esthétiques dialoguent. Pour le spectateur assidu de La Balsamine, il y a là un croisement fécond, une cohérence inespérée.
« Chez Silvio Palomo, il est question de la cohabitation comme dernier refuge possible, dans un quotidien banal dans lequel on se prépare à tout, surtout au pire », analyse Monica Gomes. « Même dans un monde étrange de froid et d’animalité, l’humain dresse des listes, prépare à manger, fait du rangement : autant d’actes quotidiens qui sont le reflet de nos obligations et des règles qui nous structurent. J’aime aussi comment il explore la tyrannie que le consensus peut provoquer : une gentillesse paralysante, désagréable et absurde aussi. »
Palomo et Le Peltier font partie, avec d’autres artistes de leur génération comme Simon Thomas et Mercedes Dassy, d’une cohorte dont le propos raconte une vie standardisée par la mondialisation et ose un regard sociopolitique affirmé, tout en évitant la prise de parole unidirectionnelle et frontale, lui préférant des formes sensibles et l’exploration des perceptions et des émotions. Mercedes Dassy, par exemple, met en scène dans B4 summer une femme seule qui ne parvient pas à s’extirper de son fauteuil en plastique. « Ainsi, avant tout par la forme, elle parle de la difficulté d’exprimer une résistance, laquelle n’arrive pas toujours à s’énoncer sans être étouffée, déviée de sa course ou récupérée. »