Programme Teatro em Comunidades : dix ans de dialogues entre université et favela

Théâtre
Parole d’artiste

Programme Teatro em Comunidades : dix ans de dialogues entre université et favela

Le 3 Oct 2021
Séance d'atelier dans le cadre du programme Teatro em Comunidades, Centro de Artes da Maré (Nova Holanda), Rio de Janeiro, 2019. Photo : Joselia Frasão.
Séance d'atelier dans le cadre du programme Teatro em Comunidades, Centro de Artes da Maré (Nova Holanda), Rio de Janeiro, 2019. Photo : Joselia Frasão.
Séance d'atelier dans le cadre du programme Teatro em Comunidades, Centro de Artes da Maré (Nova Holanda), Rio de Janeiro, 2019. Photo : Joselia Frasão.
Séance d'atelier dans le cadre du programme Teatro em Comunidades, Centro de Artes da Maré (Nova Holanda), Rio de Janeiro, 2019. Photo : Joselia Frasão.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 - Scènes du Brésil
143

Le sou­venir de l’après-midi passée avec un groupe d’adolescents à Nova Holan­da, l’une des seize com­mu­nautés qui com­posent la favela da Maré, reste encore gravé dans ma mémoire. La ren­con­tre a eu lieu en 2010. J’étais accom­pa­g­née de quelques étu­di­ants de l’Universidade Fed­er­al do Esta­do do Rio de Janeiro — UNIRIO et le but de notre vis­ite était de dis­cuter avec ce groupe d’adolescents du quarti­er sur l’idée de men­er un pro­jet théâ­tral avec eux. La propo­si­tion a été accueil­lie avec ent­hou­si­asme et, la semaine suiv­ante, nous avons entamé des cours de théâtre dans un espace de l’association Redes da Maré. Sur­gis­sait ain­si l’ébauche du pro­gramme d’extension uni­ver­si­taire Teatro em Comu­nidades1 (Théâtre dans les com­mu­nautés) qui accom­pli­ra, en 2021, une décen­nie d’existence.

Au Brésil, « exten­sion uni­ver­si­taire » désigne toutes les activ­ités pro­mues par les étab­lisse­ments d’enseignement supérieur qui visent à inter­a­gir avec d’autres sphères de la société, con­sti­tu­ant ain­si un pont per­ma­nent entre une uni­ver­sité et la ville dans laque­lle elle est située. En tant que pro­fesseur au départe­ment de licen­ciatu­ra2 en Théâtre à l’UNIRIO, j’ai été l’une des fon­da­tri­ces du pro­gramme d’extension uni­ver­si­taire Teatro em Comu­nidades en m’appuyant sur mes recherch­es et mes pra­tiques dévelop­pées au cours de plus de dix-huit ans. Des cours de théâtre, pour enfants, ado­les­cents et adultes, sont dis­pen­sés par des étu­di­ants de l’UNIRIO dans les espaces du Cen­tre d’Arts de la Maré (CAM), du Cen­tre Améri­co Veloso et de l’Arena Car­i­o­ca Dicró. Il s’agit de ren­con­tres heb­do­madaires régulières durant lesquelles la plu­part des par­tic­i­pants entrent en con­tact pour la pre­mière fois avec le lan­gage théâ­tral.

Pour que ce pro­jet prenne l’ampleur qu’il a aujourd’hui, il a été indis­pens­able d’établir des parte­nar­i­ats solides. L’une de nos insti­tu­tions parte­naires est l’Association Redes da Maré3 dont les actions s’organisent autour de qua­tre axes con­sid­érés comme struc­turants pour amélior­er la qual­ité de vie et garan­tir des droits élé­men­taires à la pop­u­la­tion du quarti­er de la Maré. Dans l’axe « Arts et Cul­ture » sont com­pris­es les activ­ités du Cen­tre des Arts de la Maré (CAM). Le pro­gramme est égale­ment soutenu par le Cen­tro Améri­co Veloso, cen­tre munic­i­pal de san­té de la ville de Rio de Janeiro où tra­vaille l’orthophoniste Clarisse Lopes qui inter­vient égale­ment dans notre pro­gramme. Enfin, nous comp­tons sur le sou­tien de l’Observatório de fave­las4 (obser­va­toire des Fave­las), l’ONG ges­tion­naire de l’Arena Car­i­o­ca Dicró située dans le quarti­er voisin, la favela de la Pen­ha.

Séance d’atelier dans le cadre du programme Teatro em Comunidades, Salle Paschoal Carlos Magno (Palcão/UNIRIO), Rio de Janeiro, 2019. Photo : Joselia Frasão.
Séance d’atelier dans le cadre du pro­gramme Teatro em Comu­nidades, Salle Paschoal Car­los Mag­no (Palcão/UNIRIO), Rio de Janeiro, 2019. Pho­to : Joselia Frasão.

Le quarti­er de la Maré est situé en bor­dure de la Baie de Gua­n­abara, entre l’avenue Brasil et la voie express Pres­i­dente João Goulart (com­muné­ment appelée par les habi­tants de la ville Lin­ha Ver­mel­ha [voie rouge]), les deux prin­ci­pales voies d’accès à la ville de Rio de Janeiro, et compte aux alen­tours de cent quar­ante mille habi­tants. Comme bien d’autres périphéries urbaines brésili­ennes, délais­sées suc­ces­sive­ment et his­torique­ment par les pou­voirs publics, son quo­ti­di­en est ponc­tué par la com­bi­nai­son d’innombrables dif­fi­cultés : un faible taux de sco­lar­i­sa­tion, une cohab­i­ta­tion avec des groupes crim­inels, des con­flits armés fréquents et une forte dis­crim­i­na­tion à l’encontre de ses habi­tants. Selon un compte-ren­du5 élaboré par l’association Redes da Maré, ce qui inter­fère le plus néga­tive­ment dans la vie de la pop­u­la­tion locale est la présence de réseaux liés au traf­ic de drogues ou de groupes para­mil­i­taires qui exploitent les ser­vices de base, monop­o­lisant les fonc­tions que l’État est cen­sé régle­menter. L’étude révèle égale­ment qu’en 2019, avec l’augmentation des opéra­tions poli­cières dans la région, il y a eu, dans la favela da Maré, 117 jours de fusil­lade au total sur une année et que toutes les semaines sur la même année, une per­son­ne au moins est morte vic­time de cette vio­lence. Ce panora­ma ren­voie à ce qu’Achille Mbe­m­be a nom­mé de « nécrop­oli­tique »6. En effet, à tra­vers cette notion, le philosophe camer­ounais ques­tionne les lim­ites d’une sou­veraineté quand un État choisit qui doit vivre et qui doit mourir.

Cepen­dant, ce tableau n’est qu’une image par­tielle que l’on peut don­ner de la Favela da Maré. Mal­gré les insuff­i­sances chroniques de l’État à assur­er des ser­vices publics de base [san­té, sécu­rité, édu­ca­tion et cul­ture], de nom­breuses organ­i­sa­tions sociales — telles que celles déjà évo­quées et avec lesquelles le pro­gramme « Teatro em comu­nidades » col­la­bore — cherchent à pro­mou­voir un réseau de développe­ment durable visant la trans­for­ma­tion struc­turelle de l’ensemble des fave­las. Le réc­it qui iden­ti­fie l’espace des fave­las à ses seules vio­lences risque de ren­forcer la stig­ma­ti­sa­tion sociale imposée à ces ter­ri­toires et leurs pop­u­la­tions. L’identification de la favela comme lieu des carences et des vio­lences a été his­torique­ment con­stru­ite et, encore aujourd’hui, elle mar­que l’imaginaire com­mun. Tout en défen­dant la « con­struc­tion d’une autre représen­ta­tion des fave­las — au-delà de leurs absences les plus vis­i­bles »7, je pense qu’il est impor­tant de dif­fuser un réc­it alter­natif qui puisse ren­dre compte de la favela telle qu’elle est : un espace de résis­tance et de créa­tiv­ité dans lequel la grande majorité de la pop­u­la­tion fait par­tie de la classe ouvrière. C’est à par­tir de cette per­spec­tive que nous dévelop­pons notre pra­tique théâ­trale dans ce pro­gramme.

Séance d'atelier dans le cadre du programme Teatro em Comunidades, Centro de Artes da Maré (Nova Holanda), Rio de Janeiro, 2019. Photo : Joselia Frasão.
Séance d’ate­lier dans le cadre du pro­gramme Teatro em Comu­nidades, Cen­tro de Artes da Maré (Nova Holan­da), Rio de Janeiro, 2019. Pho­to : Joselia Frasão.
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Parole d’artiste
Marina Henriques Coutinho
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