Aïda par Lotte de Beer : un espace cosmopolitique

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Aïda par Lotte de Beer : un espace cosmopolitique

Le 13 Sep 2021
Scène au Temple d'Isis avec la soprano Sondra Radvanovsky, les marionnettistes et la marionnette d'Aïda, toile de Virginia Chihota en arrière plan, Aida de Giuseppe Verdi, mise en scène Lotte de Beer, Opéra de Paris, 2021. Photo Vincent Pontet.
Scène au Temple d'Isis avec la soprano Sondra Radvanovsky, les marionnettistes et la marionnette d'Aïda, toile de Virginia Chihota en arrière plan, Aida de Giuseppe Verdi, mise en scène Lotte de Beer, Opéra de Paris, 2021. Photo Vincent Pontet.
Scène au Temple d'Isis avec la soprano Sondra Radvanovsky, les marionnettistes et la marionnette d'Aïda, toile de Virginia Chihota en arrière plan, Aida de Giuseppe Verdi, mise en scène Lotte de Beer, Opéra de Paris, 2021. Photo Vincent Pontet.
Scène au Temple d'Isis avec la soprano Sondra Radvanovsky, les marionnettistes et la marionnette d'Aïda, toile de Virginia Chihota en arrière plan, Aida de Giuseppe Verdi, mise en scène Lotte de Beer, Opéra de Paris, 2021. Photo Vincent Pontet.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

Le com­pos­i­teur roman­tique ital­ien, Giuseppe Ver­di (1813 – 1901) réalise l’opéra Aïda en 1871, à la suite du perce­ment du canal de Suez, un événe­ment aux enjeux économiques, poli­tiques et envi­ron­nemen­taux impor­tants. Il a notam­ment per­mis de faciliter les tran­sits de marchan­dis­es entre l’Europe et l’Asie, sans con­tourn­er l’Afrique1. Cette œuvre car­ac­téris­tique d’une péri­ode impéri­al­iste racon­te l’histoire d’amour entre Radamès, cap­i­taine égyp­tien et Aïda, esclave éthiopi­enne. Celui-ci devra com­man­der les troupes égyp­ti­ennes dans la guerre con­tre l’Éthiopie dont cer­tains habi­tants sont faits esclaves. L’histoire est mar­quée par des con­flits et des rela­tions de pou­voir entre les peu­ples africains, qui rap­pel­lent l’assujettissement des colonies de l’Europe du XIXe siè­cle.

Pro­duite à l’Opéra Bastille, la trans­mis­sion des his­toires mul­ti­ples liées à Aïda – l’histoire de Aïda, l’histoire con­textuelle de l’opéra et le réc­it con­tem­po­rain – est ren­due pos­si­ble notam­ment grâce à cette ren­con­tre entre l’art de l’opéra et l’art de la mar­i­on­nette, qui con­stituent tous deux des espaces de représen­ta­tions cul­turelles et sociales. Lotte de Beer pré­cise de ce fait sa posi­tion poli­tique où la can­ta­trice blanche entre en rela­tion avec la pro­tag­o­niste éthiopi­enne sym­bol­isée. Imag­inées par l’artiste zim­bab­wéenne Vir­ginia Chi­ho­ta et conçues par Mervyn Mil­lar, les mar­i­on­nettes relèvent d’un dis­posi­tif non réal­iste réfléchi en dia­logue avec la voix des chanteur.euses pour l’interprétation des per­son­nages d’Aïda, de son père Amonas­ro et des esclaves éthiopi­ens. L’artiste Vir­ginia Chi­ho­ta, qui a égale­ment réal­isé cer­taines des pein­tures expres­sion­nistes pro­jetées sur scène, pro­pose une fig­ure d’Aïda en réso­nance avec son tra­vail artis­tique met­tant en valeur « les façons dont le corps féminin brise les fron­tières et sus­cite des inter­ro­ga­tions sur les dif­férentes formes d’appartenance2 ». 

Le choix de la mar­i­on­nette fut par­ti­c­ulière­ment con­tro­ver­sé. Les cri­tiques se cen­trent sur la mar­i­on­nette en tant qu’objet plutôt que sur le per­son­nage3, illus­trant la dif­fi­culté des auteurs à se pro­jeter et la façon néga­tive dont les prob­lé­ma­tiques raciales sont con­sid­érées. Se révèle un exer­ci­ce de style met­tant à l’épreuve les préjugés, les dom­i­na­tions, les oppres­sions et un racisme latent : les com­men­taires dis­ent beau­coup sur notre temps à vouloir dis­simuler les reven­di­ca­tions et les études décolo­niales. Beau­coup affichent un dés­in­térêt, voire un mépris total pour ces représen­ta­tions (certain.es ont lit­térale­ment fer­mé les yeux devant le spec­ta­cle) – phénomène symp­to­ma­tique de notre société. Lotte de Beer a donc la volon­té d’inscrire ces ques­tions dans notre temps et de nous inter­roger. Au sein de notre étude, il ne s’ag­it pas de faire le procès de cet opéra mais plutôt de voir ce qui est pro­duit aujour­d’hui pour penser l’altérité et sor­tir des sché­mas d’une altérité « naturelle ». Si la pro­duc­tion a sus­cité autant de réac­tions, c’est aus­si parce qu’elle pose le doigt sur la part som­bre de notre his­toire européenne : le colo­nial­isme et l’esclavagisme.

La marionnette Aida dans sa vitrine de musée, Aida de Giuseppe Verdi, mise en scène Lotte de Beer, Opéra de Paris, 2021. Photo Vincent Pontet.
La mar­i­on­nette Aida dans sa vit­rine de musée, Aida de Giuseppe Ver­di, mise en scène Lotte de Beer, Opéra de Paris, 2021. Pho­to Vin­cent Pon­tet.
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Adelie Le Guen
Adélie Le Guen est mastérante en études théâtrales à l'Université Paris 8 et chercheuse indépendante...Plus d'info
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