Comment et pourquoi s’est imposée l’idée d’engager l’Opéra Comique dans le développement durable ?
Les responsables d’institutions doivent mettre au cœur de leur politique l’environnement, l’accessibilité, l’ouverture et l’égalité. L’épreuve que nous traversons aujourd’hui donne encore plus d’acuité à ces impératifs. On a peut-être été dans l’incantation, mais il y a maintenant un seuil à franchir pour passer des mots aux objectifs, de ceux-ci aux mises en œuvre.
Lorsque je suis arrivé à la direction de l’Opéra Comique en 2015, à l’aube de dix-huit mois de travaux, j’ai commencé par travailler sur l’accessibilité, la diversité et l’égalité, afin de mettre cette politique en œuvre à la réouverture. L’Opéra Comique est ainsi l’un des premiers établissements publics du spectacle vivant à avoir obtenu les deux labels égalité et diversité délivrés par l’afnor. Nous avions déjà commencé, sous la direction de Jérôme Deschamps dont j’étais l’adjoint, à travailler sur la question environnementale. D’abord au sein de notre atelier costumes – le seul que nous ayons, car nous travaillons avec des ateliers de décors indépendants. Pratique du réemploi et recherche militante sur la teinture naturelle s’y déroulent depuis 2008. Tout cela est devenu prioritaire, et nous a engagés dans une réflexion plus globale.
Je comprends bien, mais c’est plus facile, comme personne, comme individu, de prendre en compte la question environnementale et d’engager une série de comportements et de gestes, alors quand il s’agit d’une grande institution, j’imagine que c’est autre chose…
En effet. Prenons l’exemple de l’accessibilité des théâtres aux personnes souffrant de handicaps psychiques et mentaux. Elles goûtent la musique et le spectacle, dont on connaît les vertus thérapeutiques, mais elles peuvent manifester leurs émotions de façon inhabituelle, bruyante, ou avoir besoin par moment de quitter leur place.
Nous voulions étudier la possibilité d’accueillir ces personnes à tous nos spectacles. Accompagnés par l’association Ciné-ma différence, nous avons passé deux ans à préparer nos artistes, à former nos équipes et à informer notre public. Nos premières séances Relax ont été expérimentées en 2018. Nous en proposons maintenant quasiment une par production. Le travail a été long, certaines séances ont été houleuses, tout le monde a dû faire des efforts. Aujourd’hui, le programme est bien encadré, bien reçu, stabilisé. Nous savons même en faire la promotion chez nos partenaires.
La question environnementale vient aussi bousculer nos habitudes, nos convictions et nos pratiques. La question est moins d’être ambitieux et actifs que d’identifier à quel prix et comment. Non seulement l’Opéra Comique ne fabrique pas ses décors in situ, ni dans des ateliers proches de Paris, mais il fait voyager ses spectacles – beaucoup même, parce que notre modèle économique repose sur la tournée et la coproduction. C’est vertueux à maints égards : nous multiplions nos spectateurs et partageons le coût de la création avec les scènes partenaires. Mais cela engage beaucoup de voyages pour les artistes, les costumes, les décors. Faut-il reconstruire ceux-ci pour éviter les transports ? Ce serait plus coûteux, dispendieux en termes de matériaux. Faut-il les concevoir plus sobres dès le début, les alléger pour les tournées, les imaginer modulaires, numériques ? Avec quels impacts sur la liberté de création, sur l’ambition et l’éclectisme artistiques, sur la valorisation de nos métiers d’art, et enfin sur la satisfaction du public ?
Ainsi, ce n’est pas le tout d’identifier des solutions écoresponsables. Il faut les accompagner d’une réflexion sur les métiers d’excellence qui assurent la qualité du spectacle vivant, et ne pas perdre l’ambition artistique. Il faut donc associer créateurs et metteurs en scène à notre réflexion. Que sont-ils prêts à faire ? Comment ne pas entraver leur liberté ? On ne peut pas leur imposer un cadre scénographique prédéterminé : la création suppose la liberté esthétique. L’écoresponsabilité ne peut donc être une fin en soi pour le spectacle vivant. C’est avec les jeunes metteurs en scène, qui sont très sensibles à ces questions, que nous trouverons des voies d’avenir.