Les restrictions imposées par la pandémie aux déplacements physiques et aux rassemblements, la prise en compte de l’empreinte carbone des spectacles, les inquiétudes face à la chute de la biodiversité et à l’avenir de nos écosystèmes ont déjà bouleversé le monde de l’opéra. Des modes de conception différents se font jour, dans des circuits plus courts et ménageant des liens qui se veulent plus étroits avec les spectateurs. Des voix s’élèvent qui prédisent une révolution scénique dont les conséquences seront aussi importantes pour l’opéra que la mise en scène l’a été pendant les deux siècles passés. Des projets émergent, qui rompent avec les usages, déplacent les pratiques et induisent de nouvelles formes. Des thématiques écologiques surgissent et s’imposent en moins de temps qu’il n’en faut pour monter une saison dans une grande maison d’opéra. Que reste-t-il du genre lyrique dans ces mutations ? Quelles en sont les conséquences sur la création opératique ? Il est difficile de répondre, mais ce reportage à plusieurs voix sur des expériences menées à différents endroits d’Europe (Grèce, Finlande, Monténégro, Roumanie, Russie, Irlande, Lettonie) hors de la visibilité des grandes maisons lyriques, permettent d’appréhender le phénomène sur différent plans. L’opéra essaime, se déplace, s’hybride et persiste.
Participation, tradition et durabilité.
Vers de nouveaux territoires
Celia Grau
Deux îles des Cyclades seront les heureuses élues pour le futur projet conçu par le département pédagogique de l’Opéra National de Grèce, qui placera la durabilité au cœur de la production artistique. Au fil des mois, a pris forme l’idée d’un opéra participatif, invitant les habitants des deux îles à créer et jouer une œuvre musicale. Ce n’est pas la première fois que l’équipe sort de la capitale pour inclure des communautés de la périphérie dans un processus créatif et lyrique, mais c’est son projet insulaire le plus ambitieux à ce jour. En effet, le projet aspire à une dimension durable à tous les niveaux : « Notre point de départ était de réfléchir à comment la durabilité pouvait devenir une composante de nos projets d’un point de vue pratique et technique (déplacement des personnes, production zéro déchet…), mais également d’un point de vue artistique et en relation avec le contexte local », explique Kristin Sofroniou, qui coordonnera le projet.
Depuis Athènes, Kristin et ses collègues Christina Spanou, Kallirroi Papadopoulou et Eva Karterou ont choisi de travailler sur deux îles pour inclure deux communautés différentes à la réalisation du projet mais également pour valoriser des traditions particulières propres à chaque île. À la communauté de l’île de Tinos, connue pour ses traditions de la vannerie et du travail du marbre, sera confiée le travail de conception et production des décors. L’approche durable et participative renversera le mode de production scénographique traditionnel puisque les décors seront fabriqués selon les besoins de la communauté pour que tous les objets créés aient une vie après la représentation. L’autre île n’a pas encore été définie mais permettra le recrutement des acteurs et musiciens, futurs créateurs et protagonistes de l’opéra, au sein de communautés avec une forte tradition musicale et de danse.
Si la situation le permet, la phase d’étude sur le terrain débutera en automne prochain pour définir les participants au projet et dès 2022 les workshops créatifs pourront commencer, avec l’objectif d’un résultat final pour l’hiver 2022 – 2023. À terme, l’équipe espère qu’au-delà d’un résultat artistique « ce projet mène à une prise de conscience écologique au sein de la communauté et de notre équipe, pour adapter notre méthodologie et notre mode de travail ».
Helsinki toujours plus vert
Celia Grau
À l’Opéra national finlandais, en revanche, la prise de conscience écologique semble faire partie intégrante du mode de travail depuis déjà bien longtemps. Activement engagé dans le système de certification environnementale « Ekokompassi » depuis 2011, le théâtre suit une stratégie de durabilité avec des objectifs mesurables. Il a ainsi entamé une transition vers une alimentation en énergies vertes grâce à des panneaux solaires sur son toit et l’utilisation d’énergie hydraulique plutôt que fossile ou nucléaire. Du côté de la production, l’argument écologique a pris une place croissante et guide le choix des matières et méthodes utilisées pour la fabrication des décors.
Mais pour Tapio Säkkinen, responsable des ateliers de décors et de la durabilité, des progrès sont encore à faire. Il vise la neutralité carbone du théâtre et a commencé les calculs de l’empreinte de CO2 produite par les activités de ses différents départements. « Ce n’est que le début de cette grande tâche qui connectera notre travail environnemental avec les façons de faire de chaque département. » Concentrer des efforts techniques sur le bâtiment et la production de décors n’est pas suffisant, l’élaboration d’une stratégie écologique transversale incluant chaque département, chaque employé mais aussi le public est nécessaire. Dans cette perspective, Tapio rêve d’une future production zéro déchet, encore jamais réalisée à Helsinki, peut-être sur une île de la mer du Nord, qui sait ?
La Passion selon Stella, un éco-opéra au fond de la mer
Sofija Perovic